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Interdiction des armes explosives en zone urbaine : "Ces armes n'ont pas leur place dans nos villes", plaide Handicap International

L'ONG affirme qu'il y a de l'espoir. Elle rappelle que, depuis la signature du traité d'Ottawa contre les mines antipersonnel, "il y a eu dix fois moins de victimes de mines en l'espace de 15 ans".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
La ville de Borodianka près de Kiev en Ukraine défigurée par les bombardements, 5 avril 2022. (BENJAMIN THUAU / RADIO FRANCE)

Le troisième et dernier round des négociations visant à interdire l'usage des armes explosives à large rayon d'impact dans les villes s'ouvre mercredi 6 avril à Genève. Et "il y a urgence", a souligné le chargé de plaidoyer de Handicap International, Baptiste Chapuis, sur franceinfo. Selon l'ONG, 90% des victimes de ces armes sont des civils. Vendredi dernier, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a exhorté les parties du conflit en Ukraine à ne pas utiliser d'armes lourdes hautement explosives au sein de zones habitées alors que l'armée russe poursuit ses bombardements qui frappent habitations et infrastructures civiles.

>> Massacre de Boutcha, en Ukraine : peut-on parler d'un "génocide" perpétré par l'armée russe, comme le dit le président Volodymyr Zelensky ?

franceinfo : Pourquoi négocier pour interdire ces armes explosives à large rayon d'impact ?

Baptiste Chapuis : Il y a urgence. Cette urgence est symbolisée par le chiffre de 90% de victimes civiles lorsque les armes explosives dites à large rayon d'impact sont utilisées en zones peuplées. On parle d'armes conventionnelles, d'armes qui sont permises par le droit international. Elles sont activées par la détonation d'une substance hautement explosive et vont créer un effet de souffle ou de fragmentation considérable, que ce soit les bombes aériennes, les obus d'artillerie, les obus de mortier, les ogives de missiles ou de roquettes. Lorsque ces armes sont utilisées en zone urbaine, comme on le voit actuellement en Ukraine, elles ont ce qu'on appelle un large rayon d'impact, c'est-à-dire qu'elles vont quasi systématiquement aller au-delà de leurs cibles militaires et engendrer des dommages collatéraux considérables.

Les civils sont-ils devenus les premières victimes de la guerre ?

La proportion de victimes civiles dans les conflits armés a progressivement évolué au cours du dernier siècle. Il y a un siècle, 15% des victimes des conflits armés étaient civiles. Ce chiffre est monté à 50% au sortir de la Seconde Guerre mondiale et, depuis dix ans que nous collectons les données, en moyenne neuf victimes sur dix, soit 90% des victimes sont des civils lorsque des armes explosives sont utilisées dans des zones peuplées, c'est-à-dire dans des villes ou des gens comme vous et moi vivons au quotidien. L'urbanisation des conflits n'est pas un phénomène nouveau, on pense bien évidemment à Dresde, à Stalingrad, au Havre pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais aujourd'hui, quand on voit les images de Marioupol en Ukraine, de Sanaa au Yémen, d'Alep en Syrie ou de Mossoul en Irak, ce qui nous interpelle, c'est l'intensification du phénomène. La notion même de dommage collatéral est devenue une notion indécente à cause de ce chiffre de 90%.

"Les armes dont nous parlons ont été conçues et pensées pour des champs de bataille ouverts et aujourd'hui, elles se retrouvent au milieu d'hôpitaux, d'écoles, d'infrastructures vitales, qui permettent la vie en collectivité."

Baptiste Chapuis, chargé de plaidoyer de Handicap International

à franceinfo

Ce sont toutes ces raisons qui nous poussent à nous battre aujourd'hui pour arracher cet accord international pour enfin, non pas interdire, mais encadrer drastiquement l'usage des armes explosives les plus lourdes et les plus imprécises dans les zones peuplées. Ces armes n'ont pas leur place dans nos villes.

Cet accord a-t-il une chance d'aboutir ?

Bien sûr qu'il a une chance d'aboutir ! Pour plein de raisons. Cet accord cherche à modifier en profondeur les politiques et les pratiques militaires en renforçant l'application des Conventions de Genève et en excluant du champ des villes les armes les plus lourdes et les plus imprécises. 70 à 80 États discutent de ce texte-là depuis plusieurs années. Ce sont des campagnes qui se font sur le temps long et qui cherchent à affronter les causes structurelles des problèmes actuels. On ne va pas convaincre les pires États et les pires groupes armés d'ici demain, mais je vais vous donner un exemple qui nous permet d'espérer et qui est tiré de notre expérience passée : le traité d'Ottawa contre les mines antipersonnel, ces armes qui étaient utilisées par tous les pays du monde, aujourd'hui, est signé par 80% des États dans le monde. Il y a eu dix fois moins de victimes de mines en l'espace de 15 ans et même les États et les groupes récalcitrants comme les États-Unis - qui n'ont toujours pas signé le texte - ou les Farc en Colombie, ont entamé ce travail de déminage indispensable et de destruction de leurs stocks. Avec le combat que nous menons aujourd'hui, nous cherchons à répliquer la même logique. Hier, nous avons stigmatisé, rendu inacceptable l'usage de mines antipersonnel ou encore de bombes à sous-munitions. Aujourd'hui, il s'agit pour nous de stigmatiser la pratique des bombardements urbains et à en faire l'ensemble des pratiques du passé et non plus du présent.

Quelle est la position de la France à ce sujet ?

La position de la France est un peu la position du "en même temps" depuis plusieurs années. Dans son discours du 22 mars dernier au sommet humanitaire, pour la première fois, Emmanuel Macron a condamné "l'usage d'armes explosives en zones densément peuplées en Ukraine". Nous appelons la France à joindre la parole aux actes en soutenant un texte fort et notamment en ralliant la position du Comité international de la Croix-Rouge et du secrétaire général de l'ONU qui appellent désespérément les États à éviter tout usage de ces armes les plus lourdes et les plus imprécises dans les zones peuplées. La France, depuis plusieurs années, est devenue l'un des États les plus actifs dans ces négociations. Elle a fait des propositions constructives pour améliorer le cadre existant, la doctrine, les règles d'engagement, les procédures de ciblage, la formation des troupes.

"Pour autant, la France s'oppose, de façon incompréhensible et très ferme, à tout usage visant à encadrer drastiquement, à éviter l'usage de ces armes explosives les plus lourdes et les plus imprécises."

Baptiste Chapuis

à franceinfo

On espère que le discours du président Emmanuel Macron va aboutir aujourd'hui à un changement de la position française parce que la France a toute sa place à la tête de ce processus.

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