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Cinq questions sur la reconnaissance d'un "sexe neutre" à l'état civil

La Cour de cassation se prononce, jeudi, sur la demande d'une personne intersexe, née sans pénis ni vagin fonctionnel, qui souhaite que la mention "sexe neutre" figure sur son état civil.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Un panneau indiquant des toilettes "neutres" lors de la conférence annuelle sur la santé des personnes trans, à Philadephie (Pennsylvanie, Etats-Unis), le 9 juin 2016. (SHANNON STAPLETON / REUTERS)

Cocher la case "M" ou "F" n'est pas une évidence pour tout le monde. Gaëtan (prénom d'emprunt) est né ni homme, ni femme, et souhaite être reconnu comme tel. La Cour de cassation se prononce, jeudi 4 mai, sur sa demande : il réclame que son état civil porte la mention "sexe neutre". Gaëtan est un psychothérapeute de 65 ans qui vit dans l'est de la France. "Affublé" d'un prénom masculin "car sa mère voulait un garçon", il vit "avec un état civil qui n'est pas le sien", explique son avocat, Bertrand Périer, à l'AFP. Acceptée par un juge des affaires familiales de Tours, puis rejetée par la cour d'appel d'Orléans, sa demande, arrivée jusqu'à la Cour de cassation, est emblématique de la situation dans laquelle se trouvent les personnes intersexuées.

Qu'est-ce que l'intersexuation ?

Intersexuation et non intersexualité. Mieux vaut parler d'intersexuation, plutôt que d'intersexualité, car cette caractéristique biologique n'est pas liée à l'orientation sexuelle. En outre, dans le jargon médical, les termes "ambiguïté", "trouble", "désordre", "anomalie", "malformation", sont courants, mais pas forcément adaptés, car l'intersexuation n'entraîne pas forcément de problèmes de santé et n'est "pas une pathologie", comme l'explique l'urologue Antoine Faix à franceinfo. Les personnes intersexuées (et le Sénat) préfèrent ainsi parler de "variations du développement sexuel", moins stigmatisant.

Des statistiques impossibles. Mais il est particulièrement difficile de savoir combien de personnes sont réellement concernées, en l'absence de statistiques précises. "Environ 200 bébés naissent chaque année en France atteints d'une malformation génétique du développement sexuel", écrit l'AFP, soit une naissance sur 4 000, mais la réalité est plus compliquée, car tout dépend du périmètre retenu pour établir ces données. "Il n'existe aucune statistique complète et fiable sur le nombre exact de naissances de personnes présentant une variation du développement sexuel", selon un rapport d'information du Sénat (en PDF), publié en février 2017.

Une variation à la naissance. Certaines personnes naissent avec ce que les médecins appellent donc une "ambiguïté sexuelle" visible. Leurs organes génitaux sont difficiles à identifier ou sont atrophiés. Il est donc impossible de se référer aux standards habituels pour attribuer à ces enfants le genre masculin ou féminin. Les médecins peuvent avoir recours à la classification de Prader pour déterminer le sexe anatomique de l'enfant à sa naissance. Elle aide à définir si les organes génitaux sont plutôt mâles ou plutôt femelles, en les classant de 1 à 5 : 1 correspond à des organes génitaux externes clairement féminins, 5 à des organes génitaux externes clairement masculins.

Hormones et chromosomes. Il arrive aussi que l'intersexuation se révèle au moment de la puberté. Les personnes intersexes peuvent posséder des organes génitaux typiquement masculins ou féminins, mais leur corps n'évolue pas comme la grande majorité des garçons et filles. L’intersexuation peut également avoir des origines chromosomiques : c’est le cas des personnes atteintes du syndrome de Klinefelter, qui possèdent un chromosome sexuel supplémentaire. 

Ni hermaphrodites, ni transsexuels. Les personnes intersexuées ont longtemps été appelées "hermaphrodites", comme le fils d’Hermès et d’Aphrodite, puni pour avoir résisté aux avances d'une naïade et doté par conséquent d'attributs sexuels féminins, en plus de ses organes masculins. Si l'hermaphrodisme existe chez certaines espèces animales, il est très éloigné de la réalité des personnes intersexes, dont les organes génitaux, la plupart du temps, ne sont pas fonctionnels. Les intersexes se différencient également des personnes trans, dont le sexe biologique est identifié, mais qui ressentent une appartenance au sexe opposé et peuvent demander de passer légalement d'un sexe à l'autre, une démarche toujours compliquée.

Que peut changer la décision de la Cour de cassation pour les intersexes ?

Si la décision de la Cour de cassation devait être négative, "je n'arrêterai pas mon combat", assure Gaëtan à l'AFP. Pour lui, cette procédure "n'est qu'une rectification de ce qui ne devrait pas être". Mais si elle casse la décision de la cour d'appel d'Orléans, la Cour de cassation reconnaît à Gaëtan le droit d'afficher un sexe neutre à l'état civil et aux autres personnes intersexes de porter leur propre dossier devant les tribunaux.

La reconnaissance. "La nature n'est pas binaire. Je ne vois pas pourquoi, là où la nature n'est pas binaire, le droit le serait", a estimé Bertrand Périer, avocat de Gaëtan, devant la Cour de cassation. "Le seul objectif juridique et social" de l'état civil est de "refléter l'identité réelle" d'une personne, assure-t-il, considérant que rien, dans le droit, ne dit ainsi d'apposer "homme ou femme" après la mention sexe, "neutre" pouvant tout aussi bien être accepté.

Un "X", un "O" ou un "N" à l'état civil. Dans son jugement, le TGI de Tours constate que Gaëtan ne peut pas être classé d'un côté ou de l'autre de la division masculin-féminin et que "la mention qui figure sur son acte de naissance" est donc erronée et à corriger. "Quand je me regarde nu dans un miroir, le matin ou le soir, je vois bien que je n'appartiens pas au monde des hommes ni à celui des femmes", explique Gaëtan à l'AFP. S'il est autorisé à inscrire "sexe neutre" sur ses papiers d'identité, cela pourra prendre la forme d'une lettre comme le X, le O, ou le N. Le droit français ne le prévoit pas encore et les pratiques varient, dans les quelques pays qui reconnaissent ce type de cas.

L'arrêt des actes chirurgicaux pratiqués sur les enfants intersexes. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, les personnes nées intersexes sont massivement opérées, afin de correspondre à l'un ou l'autre des genres reconnus par le droit. Dès l'enfance et tout au long de leur vie, elles subissent des traitements chirurgicaux et médicaux irréversibles, souvent douloureux et vécus comme des "mutilations", comme le raconte Gabriel à franceinfo. La France a d'ailleurs été condamnée à trois reprises en 2016 par l'ONU pour ces opérations : par le Comité des droits de l'enfant, le Comité contre la torture et le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. En cas de reconnaissance d'un "sexe neutre", la justification légale de ces opérations s'effondre. Le Sénat, sans se prononcer sur leur état civil, préconise par ailleurs l'indemnisation des personnes mutilées.

Quels arguments leur sont opposés ?

La création d'un "troisième sexe". La cour d'appel d'Orléans, qui a rejeté la demande de Gaëtan, s'est justifiée par la crainte de "reconnaître, sous couvert d'une simple rectification d'état civil, l'existence d'une autre catégorie sexuelle". Il s'agit donc, selon la cour d'appel, de modifier profondément le système d’état civil français, ce qui "excède l'office du juge"

L'incertitude. "L'indisponibilité et l’immutabilité de l’état civil existent pour des raisons de sécurité, afin de permettre l’identification fiable des personnes", estime le premier avocat général de la Cour de cassation, Philippe Ingall-Montagnier, qui demande le rejet du pourvoi. La "dualité sexuelle, bien que ne faisant pas l'objet d'une définition légale spécifique, fait bien l'objet d'une prise en compte juridique généralisée", poursuit-il. Pour le magistrat, il y a ainsi "une position de la loi" sur cette question, "parce que c'est un état de fait, un état de nature". Il réclame le règlement de cette question "fondamentale" par le pouvoir législatif et non une décision de justice.

D'autres pays reconnaissent-ils déjà une identité non-binaire ?

Nombre de pays et de cultures considèrent certains citoyens comme appartenant à un troisième genre, plus ou moins bien perçu et valorisé dans la société. Ceux-ci n'ont pas pour autant d'existence légale. Toutefois, la législation a évolué ces dernières années, dans plusieurs pays occidentaux.

L'Allemagne. L'Allemagne accorde depuis 2013 aux parents le droit de ne pas indiquer le sexe de leur nouveau-né intersexué et aux adultes de faire supprimer la mention du sexe à l'état civil. Précisément, ils peuvent choisir la mention "sexe indéterminé" qui peut être modifiée plus tard. Mais "très peu de parents optent finalement pour ce choix", explique La Croix.

L'Inde. La Cour suprême indienne a reconnu, en 2014, l'existence d'un "troisième genre", ni masculin, ni féminin. Mais il s'agit pour le pays de donner un statut légal aux personnes transgenres et aux eunuques, nommés "hijras", qui vivent en marge de la société.

L'Australie. En 2014, la plus haute juridiction d'Australie a décidé qu'une personne pouvait être reconnue légalement comme étant de "genre non spécifique", se voyant apposer un "X" sur ses papiers d'identité. C'est aussi le cas en Nouvelle-Zélande et au Népal, où le "O" de "other" (ou "autre") remplace le "X".

L'Ontario (Canada). Sur leur carte de Sécurité sociale, les Canadiens de la province de l'Ontario ont le droit de ne pas indiquer leur sexe. Sur leur permis, ils peuvent apposer un "X" au lieu du traditionnel "M" ou "F", s'ils ne "s'identifient pas exclusivement comme homme ou femme". Le permis reste tout de même une pièce d'identité valable, précise le gouvernement local.

Quelques cas aux Etats-Unis. Il n'y a pas eu de décision fédérale, mais au moins deux personnes, Jamie Shupe dans l'Oregon et Sara Kelly Keenan en Californie, ont obtenu le droit d'inscrire la mention "non-binaire" sur leur état civil.

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