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Covid-19 : "Je n’accepte pas qu’il soit parti comme ça", ces familles qui portent plainte contre l'État

Depuis un an, les plaintes de familles contre l'État et sa gestion de la crise du Covid-19 s'accumulent. En plus de réparation judiciaire, certaines demandent un hommage national.

Article rédigé par David Di Giacomo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Patrick Grasset, le père de Julie, qui a travaillé pendant toute sa carrière au sein de l’hôpital public, il était cadre de la fonction hospitalière quand il a pris sa retraite. (JULIE GRASSET)

Depuis un an, certaines familles, endeuillées par le Covid-19, enchainent les procédures judiciaires, pour réclamer justice. C'est l'État qui est visé, pour sa gestion de la crise sanitaire. Cadre hospitalier à la retraite, Patrick Grasset est mort chez lui, près de Châlons-en-Champagne (Marne), le 25 mars 2020. Il avait 67 ans. Sa fille Julie, installée à 200 km, en région parisienne dénonce des dysfonctionnements graves. Elle a déposé plusieurs plaintes, notamment contre le Samu et le médecin traitant de son père diabétique.

Aujourd'hui, elle est convaincue qu'il fallait hospitaliser son père. "Quand mon papa sent que ça se dégrade, il appelle quatre fois les services de secours qui le renvoient systématiquement vers son médecin traitant, raconte Julie Grasset. Lequel ne juge pas utile de remonter les bilans de sa consultation. J’attends des réponses factuelles à cette non-prise en charge. Quand mon père écrit à mon frère : 'Ce virus est terrible, il va faire des ravages…' Je pense qu’il avait pris conscience de la dangerosité du virus pour sa propre vie."

Des regrets et de la rancœur 

Autre questionnement qui empêche Julie de faire son deuil. Pourquoi l'entreprise de pompes funèbres, qui ne l'a pas prévenue, n'a pas respecté le délai minimum de 24 heures pour incinérer son père ? "Je ne comprends pas comment mon père a pu être envoyé à la crémation 5h30 après son décès."

Cette mère de famille de 37 ans a également déposé plainte contre plusieurs ministres, pour "abstention de combattre un sinistre". "Je regrette d’avoir fait confiance aux gens qui nous dirigent", avoue Julie, qui s'en veut d'avoir suivi tous les protocoles. Je me dis parfois que j’aurais dû prendre ma voiture et aller le chercher. Et je me sens coupable de ne pas l’avoir fait. De ne pas avoir poussé les portes du crématorium qui m’étaient fermées."

"Aujourd’hui ce sont les familles qui se sentent coupables alors qu’elles n’ont fait qu’obéir. Elles n'ont fait qu'écouter les instructions qui ont été données. C’est difficile d’avoir été un citoyen exemplaire."

Julie

à franceinfo

Au-delà de son propre combat judiciaire, cette mère de famille a fondé l'association CœurVide19. Avec un double objectif : aider les proches de victimes et demander l'organisation d'un hommage national. "Qu’on puisse se rendre compte que derrière les statistiques mortifères, qu’on nous déballe comme si on s’était habitués, il y a eu des parents, des grands-parents, des oncles, des amis. Des gens qui ont eu une vie, qui ont contribué à la vie citoyenne et associative de ce pays."

Julie Grasset réclame aussi le déblocage d'un fonds d’urgence. Pour apporter un soutien psychologique aux familles endeuillées par le covid-19.

412 plaintes depuis le début de la crise

Le parquet de Paris a recensé 412 plaintes depuis le début de la crise. Elles visent des ministres, des décideurs publics ou encore des Ehpad. Quatre informations judiciaires sont ouvertes pour "mise en danger de la vie d'autrui", "homicides" et "blessures involontaires" et aussi "abstention volontaire de combattre un sinistre".

Depuis juillet 2020, les plaintes qui visent les ministres sont instruites par la Cour de justice de la république (CJR), seule habilitée à juger les ministres en fonction, de décider si ces membres du gouvernement doivent, eux aussi, faire l'objet d'enquêtes sur la gestion de l'épidémie. Sur 156 dossiers reçus, les hauts magistrats ont estimé que seuls 14 d'entre eux étaient recevables. Ces plaintes pour "abstention volontaire de combattre un sinistre" visent l'ex-Premier ministre Édouard Philippe, l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzin, mais aussi son successeur Olivier Véran.

Des auditions et des perquisitions de ministères

De nombreuses auditions se déroulent actuellement. Les ministres concernés seront entendus dans les prochains mois. Leurs domiciles et les ministères ont déjà été perquisitionnés en octobre dernier. Les plaignants espèrent la tenue d'un procès.  "J’estime au regard de ce qui a été réalisé aujourd’hui que nous disposons de toutes les charges suffisantes pour qu’un procès se tienne à l’encontre de certains ministres et de certains responsables politiques", a déclaré Yassine Bouzrou, avocat de plusieurs plaignants, dont Julie Grasset.

Deux autres plaintes sont toujours en cours d'examen : celle d'un collectif de 180 salles de sport à l'encontre de Jean Castex, d'Olivier Véran et de Roxana Maracineanu. Le collectif d'enseignants "Les stylos rouges" vient quant à lui de déposer plainte à l'encontre de Jean-Michel Blanquer pour "mise en danger de la vie d'autrui".

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