Production d'électricité : six questions qui se posent après l'annonce de l'arrêt de trois réacteurs nucléaires supplémentaires pour suspicion de corrosion
Trois réacteurs vont être arrêtés pour être contrôlés, s'ajoutant aux huit déjà en maintenance depuis quelques mois. Avec près de 20% du parc nucléaire français temporairement hors circuit, faut-il craindre une coupure de courant cet hiver ?
C'est une mauvaise nouvelle dans un contexte d'approvisionnement électrique tendu cet hiver. Trois nouveaux réacteurs nucléaires seront bientôt arrêtés en France, a annoncé EDF mardi 8 février. Objectif : vérifier la présence d'éventuels problèmes de corrosion. Une annonce qui intervient alors que le président, Emmanuel Macron, s'apprête à faire des annonces sur l'atome, jeudi 10 février, ardemment espérées par le secteur. En amont du déplacement présidentiel, franceinfo répond aux six questions que pose l’arrêt de réacteurs nucléaires.
1Combien de réacteurs nucléaires sont arrêtés ou vont être arrêtés ?
Ces trois réacteurs vont être arrêtés pour vérifier la présence d'éventuels problèmes de corrosion. Chacun appartient à une centrale nucléaire disposant de quatre réacteurs au total. Le réacteur numéro 3 de la centrale de Chinon, en Indre-et-Loire, sera arrêté à partir du 19 février. Le réacteur numéro 3 de Cattenom (Moselle) le sera à partir du 26 mars. Enfin, le réacteur numéro 4 de la centrale du Bugey (Ain) sera stoppé le 9 avril.
Ces trois réacteurs s’ajoutent aux huit réacteurs déjà arrêtés ou qui vont l'être prochainement (sur un total de 56 en France). Des problèmes de corrosion sur des systèmes de sécurité ont en effet été confirmés ou soupçonnés sur cinq réacteurs actuellement à l'arrêt. En outre, trois autres réacteurs vont faire eux aussi l'objet de contrôles, mais durant des arrêts qui étaient déjà programmés. L'arrêt de Flamanville 2 va toutefois être prolongé de cinq semaines. Enfin, EDF a étendu de cinq mois l'arrêt des deux unités où ces problèmes de corrosion ont déjà été détectés (Penly 1) ou soupçonnés (Chooz 1). Le premier ne fonctionnera pas jusqu'au 31 octobre, et le second jusqu'au 31 décembre.
2Pourquoi sont-ils arrêtés ?
Un phénomène de corrosion "sous contrainte, détecté sur des portions de tuyauteries situées sur un circuit annexe du circuit primaire principal de plusieurs réacteurs nucléaires" a été observé, selon un communiqué d’EDF publié mardi 8 février. "On va les arrêter pour effectuer des contrôles", expliquait un porte-parole à l'AFP le même jour.
Les microfissures altèrent "un outil de sûreté essentiel", vulgarise Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting interrogé par franceinfo mardi 8 février. "Ces circuits servent à annuler les conséquences d'un potentiel accident. Ce n'est pas ce qui sert à faire fonctionner le réacteur, mais c'est ce qui sert à le noyer si jamais le cœur du réacteur fond."
3La production d'électricité va-t-elle chuter ?
Oui, et c'est une des conséquences directes de l'arrêt de ces réacteurs. EDF avait, la veille de cette annonce, déjà révisé ses estimations de production nucléaire d’électricité pour 2022. "Dans le cadre de son programme de contrôles sur le parc nucléaire (...), EDF ajuste son estimation de production nucléaire 2022 à 295-315 TWh, contre 300-330 TWh" (térawattheures), précisait le groupe dans un bref communiqué. La production d’électricité tomberait donc à son niveau le plus bas depuis 1990 (314 TWh selon l’Insee).
"L'estimation de production nucléaire pour 2023, actuellement de 340-370 TWh, sera ajustée dès que possible", a ajouté le groupe.
4Risque-t-on des coupures ?
Ces problèmes risquent d'accroître la tension sur l'approvisionnement électrique de la France cet hiver, déjà compliqué par un calendrier de maintenance perturbé par la pandémie de Covid-19. Le gestionnaire du réseau électrique RTE a indiqué, vendredi 4 février, maintenir sa "vigilance sur la fin de l'hiver", en précisant que la météo de cet hiver est plutôt clémente.
Mais "il n'y a pas de risque de black-out en France", a rassuré la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, sur franceinfo, mardi 8 février. "Nous avons mis en place un certain nombre de mécanismes pour éviter cela", notamment remonter "un petit peu le quota de charbon, parce qu'on a besoin de marges de manœuvre", a-t-elle expliqué.
5Quelles sont les conséquences sur le marché de l'électricité ?
À court terme, les prix du marché de l’électricité ont bondi à l’annonce du nouvel arrêt de trois réacteurs nucléaires par EDF mardi, selon le journal financier britannique Bloomberg (article en anglais) : la projection du prix au mégawattheure pour l’année prochaine devrait monter de 7% pour atteindre 162 euros. Le même jour, le cours de l’action d’EDF a baissé de 4,5%. Pour les consommateurs, l'augmentation des tarifs d'électricité est limitée à 4% depuis la mi-janvier.
À plus long terme, la poursuite des examens sur le parc pourrait avoir des conséquences "au-delà de cet hiver", assurait RTE à l'AFP mardi 8 février. C’est aussi l’avis de Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting, interrogé par franceinfo. "On savait que l'hiver prochain serait tendu. Là, on accumule les mauvaises nouvelles qui vont de plus en plus loin dans l'année, prévient-il. Depuis la crise sanitaire, on repousse un petit peu le tas de sable chaque année. On a en plus ce problème de corrosion sur certains réacteurs qui n'était pas prévu, qui est arrivé mi-décembre, et qui fait qu'on accumule une dette technique sur le parc nucléaire." A terme, si ces problèmes techniques concernaient davantage de réacteurs, le risque serait "d’arrêter une grande partie du parc nucléaire" et d’arbitrer "entre la sûreté du nucléaire et la sécurité de l'approvisionnement", souligne Nicolas Goldberg.
6Quelles solutions pour anticiper ces arrêts ?
L'objectif est désormais de s'assurer qu'une telle situation ne se répète pas. "J'ai demandé un audit à EDF parce que nous avons un problème sur ce trop grand nombre de réacteurs arrêtés, a déclaré la ministre Barbara Pompili sur franceinfo, mardi 8 février. EDF doit me rendre un premier rapport en mars."
Pour l'avenir, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) demande de son côté que "les préoccupations de sûreté nucléaire soient dès à présent intégrées dans les choix de politique énergétique, au même niveau que les préoccupations de production d'électricité décarbonée à horizon 2050". Pour son président, Bernard Doroszczuk, la prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de 50 ans n'est pas "acquise". "Il ne faudrait pas que, faute d'anticipation suffisante, la poursuite de fonctionnement des réacteurs nucléaires résulte d'une décision subie au regard des besoins électriques, ou hasardeuse en matière de sûreté", a-t-il confié à l'AFP.
Faut-il construire davantage de nouveaux réacteurs ? En novembre, le président Emmanuel Macron avait annoncé son intention de construire plusieurs réacteurs en France, mais sans donner plus de précision. "Si le nucléaire fait partie des choix faits pour assurer un mix énergétique décarboné et robuste à horizon 2050, la filière nucléaire devra mettre en place un véritable plan Marshall pour rendre industriellement soutenable cette perspective, et disposer des compétences lui permettant de faire face à l'ampleur des projets et à leur durée", avait déclaré le président de la République. La filière, qui propose de construire six nouveaux EPR, espère des annonces dans ce sens lors du prochain déplacement du président de la République, jeudi, à Belfort, alors que ce sujet agite la campagne présidentielle.
Selon Nicolas Goldberg, l’arrêt des réacteurs "n’est pas tellement la conséquence du vieillissement [du parc nucléaire]", qui pourrait être résolu par la construction de nouveaux EPR. Il s'agirait plutôt "d'une conséquence de la perte de maîtrise technique. Puisque les premiers réacteurs sur lesquels on a trouvé ces problèmes, ce sont les réacteurs les plus jeunes dans le parc. Ce sont des réacteurs qui ont à peine 20 ans."
"Il y a toute une filière à remonter, pour reconstituer les compétences, l'écosystème de prestataires, les relations entre EDF et l'ASN. On l'avait bien vu avec Flamanville. Là, ce qui interroge un peu plus, c'est la capacité à maintenir une base installée dans des conditions de sûreté satisfaisantes, retrace-t-il. Mais politiquement (...), au moment où l'on annonce relancer une filière, c'est clair que ça ne vient pas au bon moment."
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