Parc HLM saturé, record d'expulsions, enfants à la rue... "La bombe sociale du logement a explosé", alerte la Fondation Abbé-Pierre

L'année 2023 a été "une année noire pour les mal-logés", victimes d'une politique de "rigueur budgétaire", affirme l'organisme dans son rapport annuel sur le mal-logement.
Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
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Temps de lecture : 7min
Le logo de la Fondation Abbé-Pierre est installé sur scène avant la présentation du rapport de l'association sur l'état du mal-logement en France, le 1er février 2023, à Paris. (VINCENT ISORE / IP3 PRESS / MAXPPP)

Les mises en garde se sont succédé, au fil des ans. "On doit tous se mobiliser pour que le logement ne devienne pas la bombe sociale de demain", avertissait encore Olivier Klein, alors ministre délégué au Logement, fin 2022. La déflagration a-t-elle fini par survenir ? Au terme d'une "année noire pour les mal-logés", "la bombe sociale du logement a explosé", constate la Fondation Abbé-Pierre, dans son rapport annuel sur le mal-logement, dévoilé mercredi 31 janvier. "L'année 2023 restera celle d'une aggravation alarmante de la crise du logement", "qui est devenue une crise de l'immobilier en général", conclut l'organisme.

La Fondation Abbé-Pierre estime à 330 000 le nombre de personnes sans domicile fixe dans le pays, une population qui a "plus que doublé depuis 2012". Pour échapper à la rue, certaines vivent à l'hôtel ou dans des centres d'accueil, mais les places font de plus en plus défaut, "malgré un niveau record de places d'hébergement". En novembre, près de 8 000 personnes ont ainsi été refusées chaque soir par le 115, dont 2 400 mineurs, soit une hausse de 40% sur un an, selon le rapport.

Cette pénurie de places d'hébergement s'explique en partie par la "chute brutale" de l'accès aux logements sociaux, qui contraint les personnes hébergées à rester dans les dispositifs d'urgence, observe la Fondation Abbé-Pierre. Dans l'ensemble, les classes modestes et moyennes sont confrontées à une "saturation" du parc social, si bien que le taux de demandes HLM satisfaites chaque année a baissé de 22% à 17% en quatre ans, note le rapport. Les files d'attente s'allongent et le nombre de demandeurs a atteint un record de 2,6 millions de ménages en 2023.

Plus de 4 millions de mal-logés en France

Le mal-logement est un fléau qui gagne du terrain. En 2023, 4,2 millions de personnes étaient privées de logement personnel ou vivaient dans des conditions très difficiles, du fait de l'absence de confort minimal (eau courante, chauffage...) ou d'un surpeuplement "accentué".

Dans son rapport, la fondation attire l'attention sur la persistance du phénomène de l'habitat indigne, qui touche "plus d'un million de personnes" en France. Des bâtiments en péril menacent de s'effondrer, des appartements insalubres sont rongés par l'humidité ou exposés au plomb. Bien souvent, la santé et la sécurité des occupants sont menacées, d'où le défi d'identifier ces habitants, qu'il s'agisse d'un petit propriétaire modeste qui laisse son bien se dégrader, d'un jeune couple primo-accédant dépassé par les factures ou d'un locataire victime d'un marchand de sommeil.

Au-delà de ce noyau dur de 4,2 millions de mal-logés, quelque 12 autres millions d'habitants se trouvent "en situation de fragilité" face à la crise du logement, selon l'organisme. La moitié d'entre eux sont "appauvris par les niveaux de loyers insoutenables", tandis que d'autres vivent dans des logements trop petits ou ont froid chez eux l'hiver faute de pouvoir se chauffer correctement. "Tous les indicateurs de précarité énergétique sont au rouge en raison de la hausse des prix de l'énergie", observe la fondation, qui note "une augmentation des impayés" en 2022 et l'absence de chèque énergie exceptionnel en 2023, contrairement à 2020, 2021 et 2022.

La "rigueur budgétaire" engendre un "déni de fraternité"

Face aux alertes répétées de ces dernières années, qu'a fait l'Etat ? Pas grand-chose, répond en substance la Fondation Abbé-Pierre. En 2023, elle dit avoir vu se succéder "deux ministres sans feuille de route", qui ont poursuivi une politique "dont le fil directeur semble se résumer à la rigueur budgétaire". Elle dénonce "une chute vertigineuse" des dépenses de l'Etat et des collectivités au fil des ans, causée notamment par les "coupes importantes" sur les aides personnalisées au logement (APL). "L'effort public pour le logement n'a jamais été aussi faible", avec une baisse "équivalente à 15 milliards d'euros chaque année" depuis 2010, selon la fondation.

L'exécutif est accusé de participer d'une "forme d'abandon" des publics les plus vulnérables. Face aux besoins pourtant "prioritaires" du logement social, "le gouvernement mise sur le logement 'intermédiaire' pour loger les classes moyennes", déplore l'organisme. La production de ces biens loués "à des niveaux de loyer légèrement inférieurs au marché" a doublé en cinq ans et le logement intermédiaire "apparaît comme le grand gagnant des annonces de 2023", avec un nouveau doublement annoncé d'ici à deux ans.

A la veille du 70e anniversaire de l'appel du 1er février 1954 de l'abbé Pierre pour les sans-abri, la structure fondée par le célèbre prêtre dénonce "un déni de fraternité" en France. "Les politiques publiques ne se font pas seulement en oubliant les plus pauvres, mais en les attaquant directement", assène la fondation. Elle cite en exemple le "record historique d'expulsions locatives" battu en 2022. Pour 2023, dans l'attente des chiffres, "les remontées de terrain montrent un durcissement de cette politique", encouragée, selon elle, par l'adoption d'une loi anti-squats. Les lieux de vie informels, comme les bidonvilles, n'ont pas été épargnés, avec un record d'expulsions l'an dernier.

Un bon point pour la rénovation énergétique

Avare en compliments, la Fondation Abbé-Pierre décerne quelques bons points au gouvernement, notamment pour sa "poursuite de la politique du Logement d'abord" pour les personnes sans domicile. Mais sa principale satisfaction porte sur l'effort massif de rénovation énergétique des logements, qui fait l'objet d'une "vraie attention de l'exécutif". La fondation salue "des réformes prometteuses", avec un soutien renforcé des bailleurs sociaux et de nouvelles règles favorisant les ménages modestes et les rénovations performantes dès 2024.

"Au sein de la politique du logement, la rénovation énergétique semble la seule à l’abri des coupes budgétaires."

La Fondation Abbé-Pierre

dans son rapport annuel

En cinq ans, le budget pour la rénovation des logements privés alloué à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) a quadruplé. La Fondation Abbé-Pierre constate toutefois que la quasi-totalité de cette enveloppe a été utilisée au profit de la performance énergétique, au détriment de la lutte contre l'habitat indigne, qui n'a représenté que 2% des logements rénovés en 2022. Ce combat contre l'indignité des lieux de vie "est depuis longtemps le parent pauvre de l'action publique", déplore l'organisme, avant de faire ce vœu : "Fasse que l'anniversaire du 1er février rappelle chacun à ses responsabilités."

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