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Grand entretien Inflation : "Le niveau des prix peut difficilement revenir à celui d'avant"

Article rédigé par Mathilde Goupil - propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 13min
Une femme dans un rayon surgelés d'un supermarché Auchan, à Paris, le 21 juin 2023. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)
Le prix des produits alimentaires va-t-il baisser dès juillet ? Jusqu'où grimperont les taux des crédits immobiliers ? Les Français ont-ils perdu du pouvoir d'achat malgré les hausses de salaires ? Franceinfo a posé ces questions à l'économiste Mathieu Plane.

Vers un mieux pour le porte-monnaie des Français ? L'inflation a ralenti pour le deuxième mois d'affilée, s'établissant à 4,5% sur un an en juin, a annoncé l'Insee dans une première estimation publiée le 30 juin. Pour autant, la hausse des prix se poursuit dans l'alimentaire, tandis que les hausses de salaires peinent à compenser la perte de pouvoir d'achat.

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Alors que les interrogations sont nombreuses sur l'évolution de l'inflation, franceinfo a interrogé Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pour faire le point sur ce qui nous attend.

Franceinfo : En juin, l'inflation sur un an s'est établie à 4,5%, son plus bas niveau depuis le printemps 2022. Le pic est-il derrière nous ?

Mathieu Plane : Il faut plutôt imaginer des plateaux successifs qu'un pic. Le premier semestre 2023 était un plateau haut, et là, on est sur un deuxième plateau, plus bas. Mais je ne pense pas qu'on connaisse un reflux linéaire de l'inflation, celle-ci restera encore assez élevée ces prochains mois. 

Il faut bien noter que ce chiffre de 4,5% reflète un agrégat des prix, structurés à partir d'une pondération moyenne de la consommation des ménages (tant de % pour l'énergie, tant de % pour l'alimentation, etc.). Mais chacun a sa propre inflation, selon sa structure de consommation, qui est elle-même dépendante de son âge, son niveau de vie, du lieu d'habitation, de si on fume ou non, de sa structure familiale...

Pour autant, le fait que l'inflation ralentit ne signifie pas que les prix baissent. Pouvez-vous rappeler la différence ? 

L'inflation correspond à une hausse des prix sur une période donnée, ce n'est pas le niveau des prix. Dire que l'inflation sur un an est de 4,5% en juin, ça veut dire que l'indice des prix moyens a augmenté de 4,5% en juin 2023, par rapport à l'indice des prix moyens de juin 2022.

"Une inflation qui baisse, ça ne veut pas dire que les prix baissent, mais qu'ils augmentent moins vite." 

Mathieu Plane, économiste à l'OFCE

à franceinfo

On pourrait parler de désinflation pour évoquer ce qu'on connaît actuellement. Alors que la baisse durable des prix, c'est la déflation.

Comme l'inflation dure, on compare désormais les prix d'aujourd'hui avec des prix qui étaient déjà élevés il y a un an. Quel est le taux d'inflation auxquels les Français font face depuis le début de la crise ?

Effectivement, l'évolution de l'indice des prix sur un an peut masquer une inflation durable. Pour voir la permanence de l'inflation, il ne faut pas regarder le glissement annuel de l'indice des prix, mais son cumul. Entre juin 2021 et juin 2023, donc depuis le début de la crise, on voit que l'indice des prix a augmenté de 10,6%. Sur l'énergie, on souligne beaucoup que les prix ont baissé, mais si on regarde sur deux ans, on voit qu'ils sont à +29%.

Les prix continuent d'ailleurs d'augmenter dans certains secteurs, comme l'alimentation, même s'ils augmentent moins rapidement. Pourquoi cette hausse se poursuit-elle ?

Généralement, moins un produit est transformé et plus il est volatil, c'est-à-dire que son prix va varier rapidement. Par exemple, le prix de l'essence réagit très vite au prix du baril de pétrole, parce qu'entre l'extraction du pétrole et la vente de l'essence, il n'y a pas beaucoup d'étapes.

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Mais pour d'autres produits, c'est plus compliqué : on a beaucoup de produits transformés dans l'alimentation, qui nécessitent de transporter la matière première, de la transformer, de l'emballer, de la distribuer... Tout ça demande beaucoup d'énergie et de main-d'œuvre. Or le prix des matières premières et de l'énergie a augmenté durant la crise, et les salariés ont demandé des hausses de salaires face à l'inflation. Les entreprises voient donc leurs coûts de production augmenter, et les répercutent sur leurs prix. Et plus vous avez de composantes dans votre chaîne de production, et plus la diffusion de cette hausse des prix prend du temps.

Les industriels de l'agroalimentaire assurent que les prix de leurs matières premières continuent d'augmenter, ou restent très élevés, ce qui les empêche de rouvrir les négociations avec les distributeurs, comme le souhaitait le ministre de l'Economie, Bruno le Maire. Est-ce vraiment le cas ?

En économie, on parle d'un phénomène de "greedflation" [contraction des mots anglais "cupidité" et "inflation"] quand les prix augmentent plus rapidement que l'inflation, générant des profits. C'est arrivé dans un certain nombre de pays, mais en France, pas tellement : de manière générale, on voit que les taux de marges avant la crise et aujourd'hui sont plutôt semblables [32,3% au premier trimestre 2023, contre 31,6% au dernier trimestre 2021].

En revanche, il existe une hétérogénéité très forte selon les secteurs : les taux de marge ont beaucoup augmenté dans les secteurs de l'agroalimentaire, de l'énergie ou les services de transports. A l'inverse, on a des compressions importantes des taux de marges dans l'hôtellerie-restauration.

"L'agroalimentaire a vu ses marges compressées de façon très nette depuis le début de la crise du Covid-19. Mais, depuis plus d'un an désormais, on constate une forte augmentation, à des niveaux supérieurs à ceux d'avant 2020."

Mathieu Plane, économiste à l'OFCE

à franceinfo

Ces taux de marges plus élevés peuvent-être considérés comme de la "greedflation". Mais on peut aussi se dire que les industriels récupèrent ce qu'ils ont perdu durant la première partie de la crise. Ce qui est sûr, c'est que leurs marges ne pourront pas rester à ce niveau-là longtemps, car elles entretiennent l'inflation.

Pour forcer la main des industriels de l'agroalimentaire, Bruno Le Maire a annoncé qu'il était prêt à taxer le chiffre d'affaires de ceux qui ne baisseraient pas leurs prix. Est-ce une mesure efficace pour les contraindre à négocier ? 

Je pense que dans une négociation, il faut être crédible et donc, dire qu'on prendra une sanction si rien ne change. Mais j'ai le sentiment que ça reste un argument pour négocier. Je vois mal le gouvernement taxer le chiffre d'affaires, car cet indicateur ne mesure pas les marges réalisées, ce n'est donc pas le plus pertinent. En revanche, à un moment où les finances publiques ne sont pas en très bonne forme, une taxe sur les "superprofits" des entreprises, c'est-à-dire des profits qui ne sont pas liés à de l'innovation mais à une situation très particulière à un instant T, pourrait être une bonne solution. Mais on sait que le gouvernement ne veut pas aller sur ce terrain-là.

La hausse des marges des entreprises se fait au détriment de celle des salaires. Malgré les augmentations accordées, le salaire réel a continué de baisser ces deux dernières années. Les salariés ont-ils une chance de retrouver le pouvoir d'achat perdu ?

Cela fait plus de 30 ans que les salaires n'avaient pas autant augmenté. Mais, quand on regarde les salaires réels, c'est-à-dire en tenant compte de l'inflation, il n'y a jamais eu autant de baisse de salaire depuis 1950 ! Hors ceux qui sont payés au smic (qui est indexé sur l'inflation), les salariés n'ont donc aucune garantie du maintien de leur pouvoir d'achat.

Pourtant, même s'il existe un décalage entre les hausses de prix et celle des salaires, il n'est pas écarté que, progressivement, les salaires finissent par rattraper l'inflation. Il y a eu un retard à l'allumage, car on n'était plus habitués à avoir une inflation aussi forte. Mais on est sur un marché du travail tendu, beaucoup d'entreprises ont des difficultés de recrutement. Donc les positions de négociations des salariés sont plutôt favorables. Il est possible qu'il y ait à l'avenir une pression des salariés pour que les salaires augmentent afin de rattraper le temps perdu au début de la crise. 

Rare bonne nouvelle sur ce front, la ministre déléguée au Commerce, Olivia Grégoire, a promis des baisses de prix sur plusieurs produits alimentaires dès juillet. Ces baisses seront-elles suffisamment nombreuses et significatives pour que les Français voient une réelle différence sur leur ticket de caisse ?

Honnêtement, je ne pense pas. Ils pourront voir l'arrêt de la hausse des prix, mais je ne pense pas qu'on aura de revirement important sur le panier moyen à court terme. Certains produits baisseront, car le cours de leur matière première aura baissé, mais le prix d'autres produits augmentera car la hausse de leur coût de production n'aura pas encore été complètement retransmise. 

Que penser des opérations commerciales des enseignes qui se sont multipliées depuis un an ? 

La consommation alimentaire a baissé de 10% en un an, c'est du jamais-vu depuis 1950. Cela traduit plusieurs choses : le fait de manger moins, mais aussi de réduire la consommation "plaisir", ou de se tourner vers les produits de premier prix. Ce qui est sûr, c'est que les gens sont assez sensibles aux promotions. Donc ces opérations ont un double effet : peut-être un effet de com', pour montrer que les enseignes s'intéressent au pouvoir d'achat de leurs clients. Et il s'agit aussi d'attirer les clients.

Après l'énergie et l'alimentation, l'inflation risque-t-elle de se diffuser encore plus aux services ? Le prix des billets d'avion a, par exemple, augmenté d'un quart depuis un an.

Effectivement, et ce pour deux raisons. Jusqu'à présent, ce sont plutôt les services qui ont vu leurs marges le plus compressées. Ce sont aussi des secteurs qui ont une composante salaires importante, car ils dépendent beaucoup de la main-d'œuvre.

Pour lutter contre l'inflation, les banques centrales ont relevé leurs taux directeurs, faisant exploser le coût des crédits immobiliers. Jusqu'à quand – et quel niveau – ces taux peuvent-ils continuer à grimper ?

La maîtrise de l'inflation est un processus qui prend du temps. On est probablement assez proche du pic de la hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE), mais les taux vont rester hauts tant qu'on n'aura pas retrouvé une inflation autour de 2%, qui est le niveau souhaité par les banques centrales.

Par ailleurs, la hausse de ces taux ne s'est pas encore totalement diffusée aux particuliers. Aujourd'hui, les taux auxquels empruntent les particuliers auprès des banques restent encore en deçà des taux pratiqués par les banques centrales auprès de ces mêmes banques. Donc, cela coûte plus cher à une banque de se refinancer auprès d'une banque centrale que d'accorder un crédit à un particulier.

Pour l'instant, ça fonctionne car les banques avaient de la trésorerie. Mais quand elles devront emprunter des fonds auprès des banques centrales, elles devront faire payer plus cher à leurs clients le fait d'emprunter.

"Un taux de crédit immobilier à 5% dans quelques mois n'est pas improbable."

Mathieu Plane, économiste à l'OFCE

à franceinfo

Les tarifs réglementés du gaz ont pris fin au 1er juillet. Les consommateurs doivent-ils s'attendre à une hausse des prix ces prochains mois ?

Pour l'instant, ça ne va rien changer car les prix spots [à court terme] sur le gaz ont beaucoup baissé, pour retrouver leur niveau du second trimestre 2021. Ça permet d'avoir le même niveau de prix avec ou sans régulation – voire même un peu plus bas sans. Le problème, c'est qu'on a bien vu que les prix peuvent changer rapidement. Mais si c'était le cas, un nouveau bouclier tarifaire pourrait être mis en place. 

En résumé, le porte-monnaie des Français devrait donc connaître un peu de répit ces prochains mois, même si la fin de l'inflation au-delà de 2% n'est pas pour demain. Retrouvera-t-on un jour le niveau des prix d'avant-crise ? 

Non, jamais. Le niveau des prix peut difficilement revenir à celui d'avant, car il existe des effets de cliquets : on ne revient pas, ou peu, en arrière sur le niveau des loyers ou le montant des salaires par exemple.

Avant cette crise, le problème des économies européennes, c'était le risque de la déflation. On est peut-être passé dans un modèle différent : entre les hausses de salaires, mais aussi avec le coût lié à la transition écologique (produire en France et de manière décarbonée coûte plus cher), l'inflation sera peut-être structurellement plus élevée qu'auparavant.

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