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Témoignages "On se demande quand est-ce qu'on va mettre la clé sous la porte" : face à l'inflation, les associations à la peine

Les associations subissent un "double ciseau" à cause de l'inflation : un nombre de bénéficiaires en hausse, et des coûts qui augmentent. Et pour certaines, cela pourrait bien se transformer en guillotine.
Article rédigé par Théo Uhart
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Face à l'inflation, de plus en plus d'associations se retrouvent avec des moyens financiers limités. (STEPHANIE BERLU / RADIOFRANCE)

Il y a eu le cri d'alarme des Restos du coeur. Un gouffre financier de 35 millions d'euros, et une inflation qui étrangle encore un peu plus les finances de l'association fondée par Coluche il y a plus de 30 ans. À tel point que, pour la première fois de son histoire, elle pense à réduire le nombre des repas qu'elle distribue. Mais derrière l'alerte du mastodonte de l'aide alimentaire en France, ce sont toutes les associations qui prennent de plein fouet l'inflation.

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Les associations d'aide alimentaire sont probablement les plus touchées par l'inflation, puisque c'est précisément sur les produits alimentaires que celle-ci a été et reste la plus importante, et parce que, de l'autre côté, les bénéficiaires, du fait de l'inflation, sont aussi de plus en plus nombreux. "C'est vraiment la double peine", réagit Catherine Fillon, fondatrice du CSE Lyon, une association d'aide alimentaire aux étudiants lyonnais. Conséquence : les associations commencent à craindre pour leur perennité. "On se demande quand est-ce qu'on va mettre la clé sous la porte", s'inquiète-t-elle. "Le coût d'une distribution a explosé". Aujourd'hui, pour 360 étudiants, une distribution leur revient à 5 500 euros, contre 4 000 à 4 500 euros il y a un an.

"Les comptes de l'association, là, nous permettent de faire deux distributions, point final."

Catherine Fillon, fondatrice du CSE Lyon

à franceinfo

À l'image du CSE Lyon, des associations plus importantes sont aussi fortement touchées par l'inflation. C'est le cas, par exemple, de Linkee qui assure elle aussi des distributions alimentaires à destination des étudiants - elle est même la première association distributrice de paniers repas à des étudiants - sans être une association étudiante. Elle a ainsi pu assurer des distributions tout l'été, et remarque une vraie surfréquentation de ses distributions : "À Lille, on attendait traditionnellement entre 300 et 400 étudiants. Il y avait 900 personnes qui étaient là. À Bordeaux, on attendait 300 ou 400 personnes. On en a eu 700", liste son président, Julien Meimon.

"On note des dépenses supplémentaires de 30% par rapport à l'année dernière", détaille-t-il. "L'enjeu, c'est de savoir si on va pouvoir continuer à faire ce qu'on fait. C'est ça la question : comment on fait pour continuer à venir en aide aux étudiants, avec le cahier des charges qui est le nôtre ? On n'a aucune marge de manœuvre financière", alerte-t-il.

Les comptes dans le rouge

Les associations d'aide alimentaire ne sont pas les seules à être à la peine face à l'inflation. C'est aussi le cas par exemple d'Utopia56, qui intervient auprès des personnes sans abri, leur distribue du matériel, et gère également plusieurs maisons qui accueillent des mineurs. Dans un communiqué, l'association alerte sur un déficit de près de 250 000 euros sur son exercice budgétaire 2023. Et elle écrit : "Le coût de l'électricité est passé de 1 275 euros au premier semestre 2022, à 4 478 euros pour la même période cette année. Pour l'achat et l'entretien de voitures d'occasion pour nos maraudes, nous sommes passés du simple au double entre 2020 et 2023".

Les frais de fonctionnement d'Utopia56 "ont ainsi augmenté de 20%. Et 20%, sur un budget de 2 millions d'euros, c'est 400 000 euros. 400 000 euros, ce sont les emplois." Yann Manzi l'assume, à contre-cœur : "On va certainement être obligés d'enlever des salariés. Mais cela va déstabiliser notre façon de travailler parce que, si notre association repose quand même en grande partie avec des bénévoles, l'encadrement par des salariés est nécessaire."

Pour la SPA, aussi, la situation s'aggrave. Les adoptions sont en baisse, les refuges "complètement saturés", dit le président de la SPA, Jean-Charles Fombonne, et tout augmente, de l'alimentation animale aux frais de vétérinaires ou d'énergie. "On a fait le calcul qu'en 2021, un animal nous coûtait à peu près 630 euros. On en est à 940", précise-t-il à franceinfo.

"Un refuge nous coûte entre 500 000 et 1 million d'euros par an de frais de fonctionnement. Donc ça va très vite. S'il nous manque deux ou trois millions à la fin de l'année, ça veut dire qu'on ferme deux ou trois sites au minimum."

Jean-Charles Fombonne, président de la SPA

à franceinfo

Des projets remis en cause

Pour l'heure, les comptes de l'association de protection animale sont à peu près à l'équilibre. Et comme le souligne Jean-Charles Fombonne, les dons que reçoit la SPA sont stables. Mais avec des frais en augmentation, l'équation n'est plus tout à fait exacte. "À un moment donné, les deux courbes risquent de se croiser et là, ça risque de poser des difficultés", résume-t-il.

Mais pour les autres associations, l'augmentation des coûts engage des réflexions sur l'avenir de leur organisation. "Clairement, je ne sais pas comment on va faire pour pouvoir reproduire le même schéma que l'année dernière. Mais maintenant qu'est ce qu'on va être obligé de diminuer ? Qu'est-ce qu'on va être obligé d'enlever ? On est dans un vrai dilemme", s'alarme Yann Manzi, délégué général et cofondateur de l'association.

Linkee n'envisage de son côté ni de mettre fin aux activités de l'association - "On n'en est pas là", assure son président - ni même de réduire son cahier des charges, c'est-à-dire des colis "de 7 à 8 kilos et du frais", liste Julien Meimon, et surtout, "des distributions quotidiennes". Mais, reconnaît-il, "cela reconfigure nos hypothèses pour cette année", notamment sur l'extension dans de nouvelles villes où des étudiants sont aussi dans le besoin. "À ce stade, on n'a pas les moyens d'y aller. Alors que sans l'inflation, oui, on aurait pu plus facilement. L'impact est extrêmement lourd." 

"Un crève-cœur" pour les bénévoles

L'inflation "nous empêche d'attaquer un autre projet que l'on aurait pu faire dès l'année prochaine, d'ouvrir de nouveaux refuges", souligne encore le patron de la SPA. Quant à fermer des refuges, si l'association n'en est pas encore là, il faudra peut-être un jour y réfléchir. "Vous imaginez pour des gens, des salariés de chez nous ou des bénévoles, qui ont consacré une grande partie de leur vie à sauver les animaux ? Ce n'est pas audible", reconnaît-il. 

Ces problèmes pèsent aussi lourd sur le moral des bénévoles, qui voient leur engagement remis en cause par des questions financières. "On ne le vit pas bien du tout, admet Catherine Fillon. C'est un crève-cœur pour tous les bénévoles qui tiennent à cette activité parce qu'ils en mesurent sur le terrain le caractère vital."

"Il y a eu un moment où on a pu se dire qu'on pourrait renvoyer les étudiants vers d'autres structures si la nôtre ne peut pas faire face. Mais si toutes les autres structures sont impactées, on ne va pouvoir les renvoyer vers personne."

Catherine Fillon, fondatrice du CSE Lyon

à franceinfo

Face à l'absence de soutien de l'Etat, l'espoir d'un "sursaut citoyen"

Du côté des associations qui luttent contre la précarité étudiante, on espère encore que l'exécutif prenne enfin la mesure du problème. "C'est la responsabilité de la puissance publique de soutenir cette aide alimentaire aux étudiants", estime Julien Meimon. Et Catherine Fillon abonde : "Ce qui manque, c'est une politique publique en matière de logement étudiant. L'alimentation est une variable d'ajustement sur un budget. À Lyon, pour un placard à balais, il n'y a rien à moins de 500 ou 600 euros. Il faut une prise de conscience de la cherté des loyers."

Mais, d'une association à l'autre, on en appelle aussi au secteur privé. Du côté de Linkee, "il nous manque un soutien du secteur privé parce qu'on récupère des invendus alimentaires. Beaucoup de professionnels de l'alimentaire ont des surplus et peuvent nous les confier. Nous, on a la logistique pour les prendre en charge", assure Julien Meimon.

Et puis, face au constat d'un Etat souvent absent, chacun espère que, malgré l'inflation qui grignote partout le budget des Français, le public restera généreux. Jean-Charles Fombonne de la SPA espère un maintien des dons du public, Yann Manzi d'Utopia56, lui, souhaite un "sursaut citoyen". "C'est aussi une politique de ne pas mettre les moyens qu'il faut sur les plus vulnérables. L'Etat, je n'attends rien d'eux, fustige-t-il. Jusqu'où l'Etat va abandonner les citoyens, les ONG, les associations à être obligés de quémander pour avoir des fonds pour nourrir les plus pauvres d'entre nous ? C'est quand même le travail de l'Etat d'essayer de mettre à l'abri sa population avec un logement et qu'on puisse se nourrir décemment."

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