"Les Hommes de l'ombre" : Pygmalion/Bygmalion, quand la fiction anticipe la réalité
Il y a cette usine menacée de fermeture à Dorange - qui rime avec Florange -, un journal d'investigation nommé Médiamag, un président accusé de ne pas incarner la fonction… Comme dans la saison 1 des Hommes de l'ombre diffusée en 2012, la saison 2 qui démarre ce mercredi soir sur France 2 multiplie les résonnances avec l'actualité. "A partir du moment où on veut faire une série qui est un reflet du monde dans lequel on vit, et qui a l'ambition de parler de l'inconscient politique français, c'est très important qu'on parle du Parti socialiste, de l'UMP, et sans que ce soit des clins d'œil qu'on parle de Pygmalion, référence explicite à Bygmalion, ou de Mediamag, référence explicite à Mediapart ", explique le producteur Emmanuel Daucet.
"Pour que cette série, comme devraient l'être d'autres séries françaises, soit complètement encrée dans son époque, et qu'elles prennent à bras le corps l'époque, et non pas qu'elles soient une lecture très distanciée et très factice du monde dans lequel on vit ", ajoute-t-il. Et, à nouveau, dans cette saison 2, on découvre que les arcanes du pouvoir sont d'excellents ressorts de fiction, comme nous l'ont déjà prouvé des séries américaines telles que House of cards ou The West Wing .
"Nous avons été surpris d'avoir tellement raison"
Dans Les Hommes de l'ombre , la fiction est même parfois troublante de réalité. Des ressemblances avec l'actualité "assumées " explique une des scénaristes de la saison 2 Marie Guilmineau sur France Info. "Et l'actualité nous a prouvé que nous avions même anticipé, nous avons même été surpris d'avoir eu tellement raison… "
Dans cette saison 2, on découvre par exemple une première dame qui déteste l'Elysée : "Une première dame qui n'est pas bien dans ses baskets je crois qu'on a déjà vu ça, une première dame qui met en péril politiquement le président ça rappelle peut-être quelque chose, et je précise que nous avons écrit le scénario avant que Valérie Trierweiler soit répudiée et avant évidemment qu'elle ne sorte son livre ", explique la scénariste.
Une société baptisée Pygmalion, deux ans avant l'affaire Bygmalion
Mais le plus savoureux au jeu des ressemblances, est sans nul doute la boîte de communication qui travaille avec les hommes politique dans la série : Pygmalion. A une lettre près, il s'agit de la société Bygmalion, au cœur de l'enquête sur un système présumé de fausses factures durant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012, pour couvrir des dépassements de frais de campagne. Affaire qui avait notamment été à l'origine de la démission de Jean-François Copé de l'UMP. Trois cadres de Bygmalion sont d'ailleurs en garde à vue depuis lundi, présentés à un juge ce mercredi, ils ont été mis en examen. "Ca [Pygmalion] ce n'est absolument pas de moi, ça vient de Dan Franck dans la première saison ", explique la scénariste de la saison 2 Marie Guilmineau. "Evidemment on l'a gardé, c'était trop bien ", ajoute-t-elle.
A l'origine du choix de ce nom, presque prémonitoire, il y a donc le scénariste de la saison 1, Dan Franck, joint par France Info. "Je pense qu'on était très en avance ", s'amuse-t-il. Nous sommes alors en 2011, juste avant le début de la campagne électorale, lorsque Dan Franck se met à l'écriture du scénario. Il connaît un certain nombre de protagonistes de la campagne, indique-t-il, et travaille avec un "spin-doctor", l'autre nom de ces "hommes de l'ombre", conseillers en communication proche du marketing politique qui entourent les candidats ou hommes politiques.
Ecriture du scénario d'après les conseils d'un spin doctor bien informé
Celui qui le conseille alors sur l'écriture, sur les rouages de ce monde doré du pouvoir, s'appelle Régis Lefebvre, dix années dans les ministères en tant que délégué général de l'UMP, spin doctor de François Bayrou et Philippe Douste-Blazy. De quoi vous donner plus qu'une bonne connaissance du milieu et de nombreux éléments "qui m'ont permis et aider à construire le personnage de Simon Kapita ", un des héros de la série dès la saison 1, appelé à la rescousse à l'Elysée dans la saison 2, indique Dan Franck.
C'est ainsi, à cette époque, en écoutant ce qui se dit autour de lui, qu'il décide du nom de la boîte de communication centrale de la série : Pygmalion. "Régis Lefebvre et moi-même savions de quoi il s'agissait", "on ne savait pas tout mais on savait en partie cette collusion entre les hommes politiques et les boîtes de communication " en général, ajoute-t-il. Mais bien sûr, "on ne savait pas quelle ampleur cela prendrait, l'affaire est sortie deux ans plus tard ", ajoute le scénariste de l'époque.
Son idée d'alors ? Montrer "la manière dont se déroule une campagne, la manière dont on fait appel à des conseillers en communciation, ces boîtes comme Pygmalion faisaient feu de tout bois, se servaient de cette étiquette pour engrenger les contrats, faire de l'argent, sans aucune conscience politique ", explique-t-il. Dans la série, "l'ancien complice de Simon Kapita, Ludovic Desmeuze, c'est un affairiste, il n'a aucune conviction politique, il veut faire du fric, gagner du pouvoir, c'est un peu ce qu'il s'est passé avec l'affaire Bygmalion, en ça on était un peu en avance ", ajoute-t-il.
"J'ai fait plein d'interviews en face de Bastien Millot, à mourir de rire quand j'y pense maintenant "
Et puis surtout, ce qui fait bien rire Dan Franck aujourd'hui c'est ce souvenir : "j'ai fait plein d'interviews en face de Bastien Millot, à mourir de rire quand j'y pense maintenant ". Bastien Millot est alors dirigeant de Bygmalion, dont il est le co-fondateur, invité en même temps que Dan Franck sur des plateaux médiatiques, pour débattre et discuter de la communication politique. Sauf que Bastien Millot est un des dirigeants de Bygmalion au cœur du scandale, mis en examen mercredi.
Le groupe France TV, diffuseur, mis en cause dans l'affaire Bygmalion
Autre élément pour le moins cocace dans cette affaire, c'est que le groupe France TV, qui diffuse la série, a lui-même été mis en cause dans cette affaire. Patrick de Carolis a été mis en examen en avril pour "favoritisme" dans l'enquête Bygmalion. Car à partir de 2008, le groupe France TV avait signé des contrats avec la société, alors que le même Bastien Millot était auparavant directeur délégué de la stratégie de France Télévisions auprès de Patrick de Carolis (son bras droit). Mais pour Dan Franck, ceci n'est que secondaire : "l'implication de France2 dans l'affaire Bygmalion est totalement incidente, elle n'a rien à voir. Ca n'a rien à voir avec quoi que ce soit de politique. L'histoire des financements des partis et la manière dont les hommes politiques se recasent ensuite grâce à des sociétés comme ça, c'est infiniment plus grave que l'implication tout à fait secondaire et très périphérique de France TV ", tient-t-il à préciser.
Cette implication du groupe a-t-elle posé question pour la diffusion ? "Je ne pense pas " répond la scénariste de la saison 2 Marie Guilmineau sur France Info. Du côté de France Télévisions, on est catégorique : cela n'a rien à voir avec la réalité. "Oubliez ", "Sachez qu'un film ou une série entre en écriture bien deux ou trois ans avant qu'ils soient a l'antenne ", "tout ceci est le fruit du hasard le plus total du début à la fin ", indique le service des fictions. "On est dans la fiction du début à la fin ", ajoute-t-on.
Ou plutôt un mélange de réalité et de fiction : "On suit la politique, on a des choses en mémoire, et puis aussi des personnages qu'on a envie de faire vivre ", complète la scénariste Marie Guilmineau, revenant sur la première dame de la saison 2. "A ma connaissance, aucune première dame n'est bipolaire ou alcoolique, du moins j'espère ".
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