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Résultats des élections régionales et départementales : pourquoi l'abstention est une nouvelle fois la grande gagnante du scrutin

Avec 66,72% d'abstention, une majorité de Français ne se sont pas exprimés dimanche lors de ces élections locales. 

Article rédigé par franceinfo
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Une carte électorale jetée à la poubelle (photo d'illustration). (GEORGES GONON-GUILLERMAS / HANS LUCAS / AFP)

L'abstention progresse une nouvelle fois. En 2015, au premier tour des élections régionales, elle s'était élevée à 50,09%, selon les résultats définitifs. En 2010, elle se situait à 53,67%, et en 2004 à 39,16%. Cette année, l'abstention atteint 66,72%, selon les données du ministère de l'Intérieur. Ce scrutin local avait pourtant un avant-goût d'élection présidentielle, mais les électeurs n'ont pas été au rendez-vous. 

Entre la conjoncture défavorable de l'épidémie de Covid-19 et la désillusion d'une partie des citoyens, franceinfo tente de comprendre pourquoi ce phénomène de l'abstention bat un nouveau record.

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Le contexte de la crise sanitaire

L'abstention "abyssale" est "en partie liée à la situation sanitaire", a estimé Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, dimanche, après l'annonce des résultats. Les courbes épidémiques sont pourtant à la baisse depuis plusieurs semaines, mais le souvenir des élections municipales 2020 reste vivace. Le premier tour des municipales s'était déroulé le 15 mars en pleine première vague de l'épidémie et de nombreux élus avaient été contaminés. Certains maires ont même payé de leur vie la tenue de ce scrutin.

Pour les régionales, la campagne de vaccination a permis de sécuriser les assesseurs des bureaux de vote, mais la peur du virus reste présente, notamment chez les électeurs les plus fragiles. "Ce n'est pas évident de mobiliser notre électorat parmi les personnes âgées", a constaté pendant la campagne Ourida Allali, candidate UDI aux départementales sur le canton de Bobigny (Seine-Saint-Denis). "Ces élections ont été reportées plusieurs fois et les Français n'avaient pas la tête à se pencher sur leurs représentants régionaux et départementaux", confirme Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

"On ne sort pas d'une telle période de confinements et de couvre-feux en se mettant dans un bain de jouvence électoral."

Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po

à franceinfo

Entre le masque, la distanciation sociale et les mesures de couvre-feu, la campagne des candidats s'est parfois résumée à une simple distribution de tracts. "Il y a eu une invisibilité de cette élection. Les candidats ont été autorisés à faire campagne avec des réunions publiques à partir du 9 juin, donc c'est un temps trop court", estime Martial Foucault. "Avec toutes les mesures, c'est difficile. On est dans une situation où le débat est un peu atrophié", confirme Florent Lacaille-Albiges, candidat LFI aux départementales sur le canton de Bobigny. 

Une élection difficile à lire

Il est en temps normal déjà ardu de mobiliser les électeurs sur des élections départementales ou régionales en comparaison d'une présidentielle. Mais les candidats n'ont pas été aidés par le contexte politique parfois difficile à comprendre. Prenons l'exemple des alliances à gauche : parfois le Parti communiste a rejoint une liste commune avec La France insoumise, comme sur la liste de Clémentine Autain en Ile-de-France, parfois il s'est rapproché du PS ou des écologistes, comme dans le Grand Est. Parfois, les alliances varient même au sein d'un territoire entre les départementales et les régionales.

Même chose du côté de LREM, qui peut aussi bien tendre la main aux listes socialistes, comme en Bretagne, ou aux listes de droite, comme en Paca, où la majorité présidentielle a même rejoint la liste du LR Renaud Muselier. Difficile de s'y retrouver, notamment pour les jeunes électeurs qui débarquent sur le marché démocratique. "Cela fait seulement quelques jours que je sais qu'il faut aller voter, du coup je ne me suis pas assez renseignée sur les candidats, sur ce qu'ils proposent, je ne me sens pas assez légitime", explique à franceinfo Lucy, une jeune abstentionniste de 23 ans

Même si une partie des forces politiques a tenté de nationaliser la campagne à un an de la présidentielle, notamment en évoquant le thème de la sécurité, les enjeux de ce double scrutin ne sont pas apparus clairs pour tous les électeurs. "Cela ne permet pas de mobiliser un électorat qui a quand même compris que les régions et les départements ne géraient pas la police nationale", analyse Olivier Rouquan, chercheur associé au Centre d'études et de recherches de sciences administratives et politiques.

Il y a parfois également une confusion entre les deux élections. "Est-ce que c'était une bonne idée de combiner ces élections le même jour ?", s'interroge ainsi Martial Foucault. "Je ne vois pas à quoi ça sert un conseil régional ou départemental", confie Steven, 18 ans. Par ailleurs, le vote sanction utilisé parfois dans ce type d'élections intermédiaires ne pousse pas à la mobilisation puisque la majorité présidentielle ne gouverne aucune région.

Une tendance générale à la démobilisation

Les élections locales ne passionnent pas les foules. Le sentiment d'un scrutin qui ne va rien changer à la vie des Français est de plus en plus répandu. "Je ne vois pas trop l'utilité du vote dans ma situation. Peu importe le candidat pour qui je vote, ça ne va pas changer les choses", explique Robby, 22 ans. Les Français interrogés par les médias comme par les instituts de sondage témoignent d'un désintérêt grandissant vis-à-vis de la politique. "La droite, les communistes… ça ne change rien. Ça fait trente ans que je suis là et je suis écœuré par la politique. Du coup, je ne vote plus", ajoute Kader, 56 ans, habitant de Bobigny.

"Il y a l'approfondissement d'un décrochage, d'une fracture politique, qui est de plus en plus marqué par un désintéressement, une méfiance envers le personnel politique, analyse le politologue Olivier Rouquan. On a un approfondissement de la crise de la représentation, nous arrivons quand même à un signe alarmant pour la démocratie." Interogés par Ipsos/Sopra Steria, les électeurs confirment ce sentiment. Selon 39% des sondés, "ces élections ne changeront rien à leur vie". Selon 23% d'entre eux, il s'agit de manifester "le mécontentement à l'égard des hommes politiques en général". Enfin "aucune liste ou candidat" ne plaît à 22% des personnes questionnées.  

La baisse du nombre de candidats aux élections départementales peut également être considérée comme un symptôme de ce désintérêt croissant. A l'échelle nationale, il y a 12% de binômes en moins par rapport à 2015. En Haute-Loire par exemple, pas moins de cinq cantons sur 19 se retrouvent avec un seul binôme candidat. Dans ces territoires, les électeurs n'ont donc même plus le choix. Une situation qui ne pousse pas à la mobilisation. 

"Il y a la confirmation d'un essoufflement démocratique, estime Martial Foucault. La séquence avec le mouvement des 'gilets jaunes' et le grand débat a montré qu'on était arrivé à la fin d'un cycle de démocratie électoral, avec ce modèle qui considère que les électeurs s'expriment uniquement par les urnes. Ce modèle ne peut plus suffire à faire vivre la démocratie."

Des couacs en série

Des dysfonctionnements ont marqué le vote lors de ce premier tour. Les électeurs marseillais les plus matinaux ont parfois eu la mauvaise surprise de découvrir que leurs bureaux n'avaient pas ouvert, faute d'assesseurs pour les tenir. A Cousolre (Nord), le bureau de vote a bien ouvert, mais les bulletins de vote de la liste de gauche emmenée par l'écologiste Karima Delli étaient absents. Le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a réclamé "une commission d'enquête sur les conditions dans lesquelles s'est déroulé le vote".

Plus tôt dans la campagne, des plis électoraux ont parfois été retrouvés dans la nature, selon France 3 Hauts-de-France. L'entreprise privée Adrexo, chargée de la distribution de la propagande électorale dans sept régions, aurait eu des difficultés pour assurer sa mission. Cela concerne donc potentiellement 22 millions d'électeurs. France 2 a ainsi recensé une vingtaine d’endroits où les courriers ont parfois été mal distribués, voire jetés à la poubelle. 

Résultat : selon plusieurs élus, des personnes n'ont pas eu accès aux professions de foi des candidats. Sur Twitter, le député LFI Adrien Quatennens a interpellé le gouvernement à ce sujet : "Deux élections ont lieu dimanche. Enormément de Français ne sont pas au courant. Et pour cause, le matériel électoral n’arrive pas ou incomplet ou distribué de façon anarchique par le prestataire." 

Interrogé au Sénat sur ces couacs de campagne, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé que le marché public allait être remis en cause après ces élections. Mais pour ce double scrutin, le mal est déjà fait. Selon Ipsos/Sopra Steria, il existe ainsi une méconnaissance massive des candidats de la part des électeurs. 

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