Elections législatives 2024 : comment Eric Ciotti a mis le feu chez Les Républicains en proposant une alliance avec le RN
Jusqu'au bout, ils ne voulaient pas y croire. En attendant une prise de parole médiatique d'Eric Ciotti initialement prévue à 20 heures, les poids lourds des Républicains (LR) ont multiplié toute la matinée les déclarations pour rejeter tout accord électoral avec le Rassemblement national. Peine perdue : le président du parti de droite a pris tout le monde de court en avançant son interview au JT de 13 heures de TF1, mardi 11 juin, pour annoncer son souhait d'une alliance avec le parti de Marine Le Pen lors des élections législatives anticipées.
Sur le plateau, Eric Ciotti a plaidé pour que "tous les députés LR sortants s'allient avec le RN pour préserver un groupe puissant à l'Assemblée nationale", saisissant la main tendue un peu plus tôt par Jordan Bardella. C'est la première fois qu'un président du parti de droite propose un accord avec le mouvement créé par Jean-Marie Le Pen. Cette alliance inédite a aussitôt suscité une avalanche de condamnations, d'appels à la démission d'Eric Ciotti, et même provoqué quelques départs.
"Ça tangue", lâche à franceinfo Virginie Duby-Muller, députée sortante de Haute-Savoie et vice-présidente de LR. "J'ai appris ça à la télé, comme tout le monde. C'est une décision individuelle, prise sans aucune concertation", souffle l'élue, qui se dit "déçue et en colère". Elle avait bien eu un doute, la veille, lors de la réunion du groupe. "Eric Ciotti avait pris la parole pour dire qu'on allait clarifier le fait qu'il n'y aurait pas d'alliance avec Emmanuel Macron. Un député lui avait dit qu'il fallait aussi clarifier le rejet d'une alliance avec le RN, et il était resté ambigu."
"Il nous a marché sur la tête"
Vingt-quatre heures plus tard, le député des Alpes-Maritimes est sorti de l'ambiguïté en plaidant pour un accord "sur tout le territoire", afin de reconduire les 61 députés sortants LR. Au sein du parti, on accuse le coup. "Personne n'était au courant, il nous a marché sur la tête à tous, tranche Emilie Bonnivard, députée sortante de Savoie. Sur le fond comme sur la forme, c'est n'importe quoi. Il faut tenir notre ligne d'indépendance, d'une droite gaulliste, qui résiste, même dans les moments difficiles. Je pense qu'il résiste très mal à la pression", juge-t-elle, évoquant les bons scores réalisés par le RN à Nice (près de 38%, quand LR atteint péniblement les 9%), où Eric Ciotti est élu.
Le patron de LR considère que son parti est "trop faible" pour aborder seul le scrutin provoqué par la dissolution de l'Assemblée nationale, au lendemain d'élections européennes qui ont vu LR reculer d'un point par rapport à 2019. "Dans ma circonscription aussi, le RN fait de très bons scores, mais il ne faut pas aller manger dans toutes les gamelles", tacle Emilie Bonnivard.
A moins de trois semaines du premier tour des élections législatives, le 30 juin, l'annonce d'Eric Ciotti a donc fait imploser le parti. A tel point que certains ont annoncé qu'ils quittaient le mouvement en signe de protestation, comme le sénateur de Meurthe-et-Moselle Jean-François Husson, la sénatrice des Yvelines Sophie Primas ou le député du Cantal Vincent Descoeur.
Alors qu'Eric Ciotti apparaît désormais très isolé, de rares soutiens se sont fait entendre. "Il a fait le choix du bon sens et du courage, salue la députée des Alpes-Maritimes Christelle d'Intorni, proche du président des Républicains. Les électeurs veulent l'union des droites." Il a aussi reçu l'approbation de son vice-président, Guilhem Carayon, porte-parole du parti et président des Jeunes Républicains. "Avec Eric Ciotti et des milliers de militants LR, nous faisons le choix du courage et du bon sens", a-t-il écrit sur X. Fraichement élue, l'eurodéputée Céline Imart a, elle aussi, fait part sur le réseau social de son "soutien total". Mais la division guette aussi, désormais, le contingent de six eurodéputés LR, puisque la tête de liste François-Xavier Bellamy a de son côté rejeté une alliance avec le RN dans un communiqué.
Des cadres remontés, le parti paralysé ?
A l'aune de cette nouvelle guerre interne, la majorité des cadres et des élus LR appellent Eric Ciotti à quitter la présidence du mouvement, qu'il a décrochée fin 2022 lors d'un vote des adhérents. Mais l'intéressé refuse. "Il n'est absolument pas question que je démissionne, d'autant que je sais bénéficier de la très large confiance des militants", a-t-il assuré à la sortie du plateau de TF1.
Le parti peut-il se retrouver totalement bloqué en pleine campagne électorale ? En interne, on se penche déjà sur le casse-tête d'une éventuelle procédure pour le déloger. "La situation ne peut pas rester en l'état", a constaté Annie Genevard, secrétaire générale de LR, mardi sur franceinfo. Selon nos informations, une visioconférence doit réunir mardi soir des élus autour de trois ténors de la droite, Gérard Larcher, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau. Il sera notamment question de l'avenir du président du parti. "Il faudrait convoquer un bureau politique, mais seul le président en a le pouvoir", soupire Virginie Duby-Muller. Un quart des membres de ce conseil national peut également exiger une telle réunion, qui peut ensuite se tenir jusqu'à huit jours plus tard. Trop long, toutefois, compte tenu de l'échéance du 16 juin pour déposer les candidatures aux législatives.
A défaut de pouvoir le sanctionner rapidement, les cadres ont choisi de multiplier les prises de parole et les tribunes. Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a par exemple organisé une conférence de presse durant laquelle il a accusé Eric Ciotti de "déloyauté" et d'avoir "menti, sans doute dans un but personnel". Une dizaine de poids lourds du parti ont également publié une tribune dans Le Figaro pour affirmer que la position de leur président "est une impasse, n'engage pas [leur] famille politique et ne représente en aucun cas la ligne des Républicains". Suffisant pour dissuader Eric Ciotti de saisir la main tendue du RN ?
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