Élections européennes : Emmanuel Macron peut-il s'impliquer comme il le veut dans la campagne ?

Article rédigé par Louis Mondot
Radio France
Publié
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De la propagande électorale pour la liste Renaissance en vue des élections européennes, montrant les portraits de Valérie Hayer, tête de liste, et Emmanuel Macron, président de la République. (FRED TANNEAU / AFP)
Critiqué par l'opposition notamment pour une vidéo dans laquelle il apparaît au côté de la candidate de la majorité, Valérie Hayer, le président de la République appelle depuis plusieurs jours à un "réveil" des électeurs face à la montée de l'extrême droite. Mais jusqu'où le chef de l'Etat peut-il s'impliquer dans cette campagne ?

"Réveillez-vous !" Emmanuel Macron hausse le ton et semble s'impliquer davantage dans la campagne des européennes. "Un vent mauvais souffle en Europe", "la Russie sera là demain, après-demain" : le chef de l'Etat a appelé, lundi 27 mai depuis Dresde, en Allemagne, les Européens à "se réveiller" face à la montée de l'extrême droite et aux menaces extérieures, à moins de deux semaines des élections européennes.

"Je ne m'habitue pas à l'idée que le Rassemblement national serait un parti comme les autres", avait-il déjà déclaré samedi lors de cette visite en Allemagne, avant de redire son souhait de débattre avec Marine Le Pen. Son camp, crédité de 16% des intentions de vote le 9 juin, est lui-même en difficulté face au Rassemblement national, le parti d'extrême droite de Marine Le Pen qui pourrait décrocher deux fois plus de suffrages.

Mais l'opposition lui a parfois reproché d'avoir enfreint certaines règles, à l'image d'un discours sur l'avenir de l'Union européenne donné par le chef de l'État à la Sorbonne, le 25 avril dernier à Paris. Mais que dit la loi sur cette question ? "La législation n’interdit pas vraiment au président de la République de faire campagne, mais elle veille simplement à ce qu'il y ait le moins de confusion possible entre les fonctions", par exemple entre candidat et président, explique Romain Rambaud, professeur de droit public à l'université Grenoble Alpes.

"Le problème, c'est qu'en droit électoral, on ne peut pas raisonner en bloc. Il y a presque une réglementation spécifique pour chaque moyen de faire campagne", ajoute-t-il. Citons en vrac les moyens audiovisuels, financiers (les comptes de campagne), les professions de foi, les réseaux sociaux, etc... Les législations se superposent et il n'est pas évident de s'y retrouver.

Mélange des genres ?

Les moindres écarts sont en tout cas scrutés par l'opposition. Mi-avril, l'Élysée publie sur X une vidéo du président de la République au côté de la tête de liste Renaissance, Valérie Hayer, à Bruxelles. Ce qui suscite l'ire de l'opposition. "On était dans un contexte présidentiel et les moyens utilisés étaient probablement ceux de l'Élysée, et il en a profité pour faire la promotion d'un candidat", note Romain Rambaud. 

"Il y a un message manifestement électoral et les coûts qui peuvent être associés en partie au déplacement ont, dans ce cas-là, vocation à être imputés sur le compte de campagne."

Romain Rambaud, professeur de droit public

à franceinfo

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a été saisie et devra juger s'il y a eu mélange des genres. La vidéo en question a été vite retirée mais l'événement en lui-même ne comporte pas beaucoup de risques, selon le professeur de droit public. "Pour que ce soit vraiment un problème, il faudrait que ça entraîne le dépassement du plafond [de dépenses légales autorisées], et en général il y a de la marge", assure-t-il.

Le discours de la Sorbonne jugé "électoral"

Le discours d'Emmanuel Macron sur l'Europe, donné à la Sorbonne le 25 avril dernier, a aussi été passé au crible. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a estimé que c'était un discours de campagne, et devait donc être "intégralement" décompté du temps de parole de la liste Renaissance. "Si les propos du président de la République n'exprimaient pas un soutien explicite à la liste conduite par Mme Valérie Hayer, ils présentaient néanmoins, dans leur intégralité, un lien direct avec l'élection", avait jugé l'autorité régulatrice.

La Commission des comptes de campagne doit elle aussi se prononcer, mais elle le fera après le scrutin, comme pour chaque élection. Elle devra juger si les propos tenus ont été "manifestement électoraux", c'est-à-dire si Emmanuel Macron a "fait référence de manière relativement explicite aux élections ou aux adversaires politiques, ou qu'il apporte un soutien très clair à un candidat, ou que ce qu'il dit soit exactement la même chose que ce qu'il y a dans le programme électoral d'un autre candidat", analyse Romain Rambaud. 

"Les équipes de campagne peuvent admettre qu'en réalité, c'était manifestement électoral. Si elles le déclarent et que le candidat rembourse ou prend à sa charge la dépense, ce n'est pas illégal." 

Romain Rambaud, professeur de droit public

à franceinfo

Dans l'affaire, les deux instances, indépendantes l'une de l'autre, pourraient rendre des conclusions divergentes. "Vous n'avez pas exactement la même manière de considérer les choses, selon que vous les regardiez du point de vue de l'audiovisuel ou du point de vue des comptes de campagne, précise le juriste. Par exemple, le même type de propos va pouvoir être considéré comme du débat politique national au sens de l'audiovisuel, mais ça ne veut pas dire qu'il est manifestement électoral du point de vue de la législation sur les comptes de campagne."

Un précédent lors de la campagne de 2022

En mars 2022, un mois avant le scrutin présidentiel, Emmanuel Macron diffuse sa "lettre aux Français", via ses comptes personnels sur Twitter et Facebook, des comptes suivis par des millions d'abonnés. La CNCCFP a alors estimé que la lettre comportait "des messages manifestement électoraux" et que le président-candidat avait ainsi "bénéficié d'une audience importante et constituée grâce à des moyens publics".

"Comme Emmanuel Macron utilisait depuis très longtemps sa page personnelle comme instrument officiel de communication, la CNCCFP a considéré que c'était grâce aux moyens de l'État qu'il avait 'boosté' sa page, explique Romain Rambaud. Et que c'était donc devenu sa page officielle. Ce message était manifestement électoral puisque c'était à ce moment-là qu'il a fait sa déclaration de candidature." D'où la conclusion de la CNCCFP : "L'utilisation de ces comptes, à une date proche du scrutin, constitue un avantage indirect apporté par une personne morale". Le président-candidat avait écopé notamment d'une sanction financière de 100 000 euros pour "concours de personne morale", une pratique interdite par le code électoral

Le débat sur les pages ou comptes personnels a été en partie tranché en 2022, mais "il n'est pas complètement réglé, selon Romain Rambaud, parce que vous avez plein de gens qui continuent à utiliser leur page personnelle, alors qu'à un moment donné dans leur vie, ils ont eu des postes politiques qui leur ont permis de 'booster' leur page personnelle".

Les bulletins plus réglementés que les affiches

Le professeur de droit public rappelle également l'exemple d'une tribune d'Emmanuel Macron publiée dans la presse en mars 2019, avant les élections européennes. La CNCCFP avait jugé début 2020 qu'elle revêtait un "caractère électoral", car "les thèmes énoncés dans la tribune et ceux contenus dans le programme de la liste Renaissance présent[aient] un grand nombre de points de convergence".

Qu'en est-il des règles sur le matériel de "propagande électorale" ? Certains Français ont déjà reçu des professions de foi dans leur boîte aux lettres. Sur le prospectus de la liste Renaissance, Valérie Hayer et Emmanuel Macron sont côte à côte. "Le seul endroit où ça poserait problème, ce serait sur les bulletins de vote", précise Romain Rambaud. Sur ces derniers, "il ne peut pas y avoir de nom ou de tête de quelqu'un qui n'est pas candidat", conformément au code électoral. "Donc vous ne pouvez pas avoir la tête d'Emmanuel Macron, car il n'est pas candidat", ajoute le professeur.

On pourra en revanche apercevoir des personnalités connues comme Édouard Philippe, Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou ou encore Marine Le Pen. Il suffit aux partis de les inscrire "en fin de liste parce que, juridiquement, ça permet de mettre leur tête ou leur nom sur les bulletins". Les affiches électorales, elles, ne sont pas soumises à cette réglementation.

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