: Reportage "On peut transformer l'Europe de l'intérieur" : à Marseille, les soutiens du RN approuvent l'UE à la carte proposée par Jordan Bardella
"L'espoir fait vivre !" Pour Marie-Jeanne, "Marseillaise des quartiers Nord", il fait aussi virevolter à intervalles réguliers le petit drapeau tricolore qu'elle tient fermement dans les mains, dans le fond du Parc Chanot. Comme cette retraitée, environ 8 000 personnes (selon les chiffres revendiqués par le Rassemblement national) sont venues assister au lancement de la campagne des élections européennes pour le Rassemblement national (RN), dimanche 3 mars, à deux pas du stade Vélodrome de Marseille.
Le rendez-vous est le premier des dix meetings prévus par le parti à la flamme d'ici au scrutin du dimanche 9 juin, date rabâchée à longueur d'interventions par les cadres du RN. Au contraire de la question de l'appartenance à l'Union européenne (UE), qui a presque disparue des discours officiels. "On ne quitte pas la table du jeu quand on est en train de gagner la partie", a résumé Jordan Bardella dans son discours d'une quarantaine de minutes à la tribune, alors que le RN est régulièrement accusé de défendre le "Frexit".
Il y a encore sept ans, le parti d'extrême droite portait l'idée d'un référendum pour une sortie de l'UE. En 2024, il privilégie désormais "la création d'une alliance européenne des nations qui a vocation à se substituer progressivement à l'UE". Jeudi, lors d'une conférence de presse, la tête de liste a présenté une "stratégie tricolore", avec une couleur rouge, orange ou verte en fonction de l'acceptabilité des projets menés à l'échelle européenne.
Sans reprendre la métaphore du feu de circulation, le patron du RN a vanté la capacité de la France à "influer sur la conception de l'Europe, de la conformer à sa volonté, d'en faire à la fois un levier de puissance et d'influence".
"Quitter l'Europe, c'est très compliqué"
"C'est une bonne chose de changer parce que quitter l'Europe, c'est très compliqué", salue Sandra, salariée du secteur médical de 38 ans, qui s'est encartée à la fin de l'année 2023. Selon elle, "on peut transformer l'Europe de l'intérieur". Nicolas et Jess, à peine 20 ans, approuvent l'abandon de toute référence au "Frexit". "Les gens ne sont pas prêts à se séparer de l'euro, par exemple. Même les adhérents du RN n'y sont pas favorables", souligne Jess, qui "hésite" encore entre Marine Le Pen et Eric Zemmour en vue du 9 juin.
Un changement de vision européenne autant qu'une tactique opportuniste, juge Thierry, qui dit assister à son premier meeting. A entendre ses soutiens, le "pragmatisme" et la "raison", sans cesse mis en avant par Jordan Bardella, sont désormais les bienvenus.
"Ce changement de ton a pu libérer les paroles et attirer des gens. Marine [Le Pen] peut élargir son socle, car ça fait un peu peur d'être contre l'Union européenne."
Thierry, sympathisant du Rassemblement nationalà franceinfo
"Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis", balaie Martine. Cette retraitée des forces de l'ordre, installée deux heures avant les discours de "Marine" et "Jordan", veut avant tout "dégager" une personne de son poste : Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Celle qui est candidate à sa succession à Bruxelles a donné son nom au "vonderleyisme" que pourfendent les cadres du RN depuis plusieurs mois.
Pour les partisans de Jordan Bardella, ce "vonderleyisme" s'oppose au "souverainisme" qui devrait à tout prix être réinstauré après les élections européennes. "Il faut donner la priorité à la nation, en fonction des intérêts économiques de chacun. Ensuite, on met en commun certaines règles, mais chaque pays se débrouille avec ses propres règles", tente d'expliquer Eric, "militant depuis un an et demi", mais électeur du Front national, puis du RN, depuis qu'il a "le droit de vote".
A leurs yeux, peu importe les sanctions qui pourraient s'appliquer si la France venait à déroger unilatéralement à certains traités de l'UE dans un futur proche, comme l'ont souligné plusieurs experts en droit européen. Martine y voit même un potentiel "chantage" dont serait victime la France, si elle mettait ses menaces à exécution. "Comme on est sous tutelle, ils nous font peur par rapport à l'argent. C'est comme ça qu'ils nous tiennent", lance-t-elle, sans définir précisément à qui renvoie ce "ils".
"On sait que ça ne va pas changer après les élections"
Mais avant de pouvoir mener ces chantiers colossaux en Europe, les militants veulent d'abord croire à une victoire des forces alliées du RN dans les autres pays. "Il y a une bonne dynamique au niveau de l'Europe, veut croire Eric, car c'est le bordel partout."
"On sent qu'il y a des pays qui se rebiffent, comme l'Espagne ou le Danemark. Il y a un effet collectif européen, mais à quel point va-t-il se concrétiser ?"
Eric, militant du Rassemblement nationalà franceinfo
Chez Marie-Jeanne, pourtant, "l'espoir" est tout de même mesuré à trois mois de l'échéance. "On sait que ça ne va pas changer après les élections, mais ce serait déjà une très bonne chose de gagner", explique-t-elle. Non loin de là, Nicolas et Jess, eux non plus, ne sont pas forcément plus optimistes sur la réussite du RN après le 9 juin, quand bien même les bons sondages, qui donnent le parti largement en tête, se concrétiseraient dans les urnes. Les forces d'extrême droite, dans le sillage du RN, "ne seront pas majoritaires dans tous les cas", souffle Jess.
"Une étape très importante avant 2027"
Il faut dire que le groupe parlementaire du RN au Parlement européen, Identité et démocratie (ID), est concurrencé par Conservateurs et Réformateurs européens (CRE), auquel est affilié Reconquête, le parti d'Eric Zemmour. Jeudi, dans un échange avec des journalistes, Jordan Bardella s'est montré loquace sur le poids qu'auront le RN et ses alliés après le 9 juin : "Les possibilités vont d'une absence de groupe à un super-groupe."
Il n'était nullement question de cette arithmétique parlementaire dans la bouche des militants et des sympathisants rencontrés dimanche au Parc Chanot. A l'abri de la rare pluie marseillaise, seule comptait la perspective du 9 juin. Pour Thierry, il s'agit là d"une étape très importante avant 2027", même si elle est loin de garantir, pour le RN et ses soutiens, un "grand soir" européen. Pour Sandra aussi, ce scrutin est avant tout "la première pierre" en vue de la prochaine présidentielle. Comme un écho à l'appel lancé à la tribune par Jordan Bardella, assurant que les européennes devaient être le "jour 1 de l'alternance".
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