Ursula von der Leyen candidate à sa succession : quel est le bilan de la présidente de la Commission européenne ?
Elle souhaite rempiler. Ursula von der Leyen a annoncé, lundi 19 février à Berlin (Allemagne), qu'elle briguait un nouveau mandat à la tête de la Commission européenne. Pour parvenir à conserver son fauteuil pour les cinq années à venir, l'Allemande de 65 ans doit déjà s'assurer du soutien de son groupe au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE), classé à droite. Une réunion du PPE, en sa présence, doit justement se tenir, mercredi 21 février, à Bruxelles. Le parti décidera ensuite de lui donner, ou non, son feu vert, lors d'un congrès à Bucarest (Roumanie), les 6 et 7 mars. Il lui restera ensuite à convaincre une majorité des dirigeants du continent cet été et à obtenir un vote favorable des députés européens. Avant les élections européennes qui auront lieu en juin, la dirigeante, en poste depuis décembre 2019, va donc tenter de mettre en avant son bilan très dense en tant que présidente de la Commission.
Son mandat a été marqué successivement par deux grandes crises : celle du Covid puis la guerre en Ukraine. Moins d'un an après son arrivée, la pandémie de coronavirus fige le continent et oblige l'Union européenne à répondre collectivement. Un vaste plan de relance de 750 milliards d'euros, baptisé "Next Generation EU", est proposé en mai 2020 puis adopté en décembre. "La crise du Covid-19 l'a confortée dans son autorité", assure aujourd'hui Christine Verger, vice-présidente de l'institut Jacques-Delors.
"Tâtonnant au début, elle a ensuite proposé l'achat en commun des vaccins, avec une Commission européenne très proactive."
Christine Verger, vice-présidente de l'institut Jacques-Delorsà franceinfo
Sur ce sujet, il lui est cependant reproché d'avoir négocié des vaccins par l'intermédiaire de SMS avec le patron de Pfizer, comme l'explique Le Monde Une affaire qui a perturbé la seconde moitié de son mandat.
"Faire franchir des étapes à l'Union européenne"
Fin février 2022, c'est la guerre en Ukraine qui éclate aux portes de l'Europe. "Ça a été pour elle une opportunité très forte de faire franchir des étapes à l’Union européenne", retrace l'eurodéputée socialiste Sylvie Guillaume. Depuis, le soutien continental à Kiev n'a pas faibli, avec une tranche d'aide de 50 milliards d'euros adoptée début février, malgré l'opposition initiale de la Hongrie, finalement désamorcée.
"Il y a eu des grosses crises, mais elle n'a pas complètement oublié son agenda, qui était quand même basé sur la transition numérique et le Pacte vert européen", insiste Sophie Pornschlegel, analyste politique au think tank pro-européen European Policy Centre (EPC) à Bruxelles. Sur le numérique, le Digital Services Act (DSA), qualifié par elle-même d'"historique", a pris effet le 25 août pour protéger les citoyens contre les géants du numérique et est en application pour l'ensemble des services en ligne depuis le 17 février. Cette législation vise notamment à renforcer le respect des lois européennes par les réseaux sociaux, les moteurs de recherche et les sites de commerce en ligne.
Les ambitions contrariées du Pacte vert européen
La présidente-candidate a été à l'origine du Pacte vert européen, qui vise à conduire l'Union européenne vers la neutralité carbone d'ici à 2050, conformément à l'accord de Paris de 2015. Depuis 2021, près d'une cinquantaine de textes législatifs ont été adoptés au niveau de l'UE dans le cadre du travail mené par le socialiste Frans Timmermans, commissaire chargé du Climat jusqu'en août 2023.
Parmi les mesures les plus notables de ce texte figurent la suppression des moteurs thermiques pour les voitures neuves à partir de 2035, l'introduction d'une taxe carbone aux frontières et la promotion de la rénovation énergétique des bâtiments, ce que salue Philippe Lamberts, eurodéputé écologiste.
"C'est une présidente PPE qui, sur certains plans, à commencer par le Pacte vert, a été audacieuse par rapport à sa famille politique."
Philippe Lamberts, eurodéputé écologisteà franceinfo
Mais l'élan du Pacte vert européen s'est essoufflé ces derniers mois. "Elle a initié un certain changement, mais elle a ensuite dû faire face à des pressions", observe Sylvie Guillaume. L'ambitieux paquet législatif a notamment été pointé du doigt par les agriculteurs en colère. Le 6 février, Ursula von der Leyen a annoncé son intention de retirer un projet de loi visant à réduire de moitié l'usage des pesticides dans l'Union européenne, une mesure intégrée au Pacte vert européen.
Ce dispositif se retrouve "menacé à cause d'une polarisation qui vient non seulement de l'extrême droite, mais aussi des conservateurs qui disent qu'il faut une transition plus juste, que c'est trop rapide", estime l'analyste Sophie Pornschlegel. "Avec l'approche des élections, la pression de son groupe la place dans une situation difficile si elle souhaite être la candidate du CDU ou du PPE", reprend Sylvie Guillaume.
"Les pressions se traduisent par des actes contradictoires par rapport à ce qu'elle voulait faire, comme lorsqu'elle revient en arrière sur les textes concernant la restauration de la nature."
Sylvie Guillaume, eurodéputée socialisteà franceinfo
Ursula von der Leyen s'est également heurtée à des critiques vis-à-vis de ses positions diplomatiques. Les dernières en date concernent le conflit entre Israël et le Hamas. Dans ce dossier, comme dans d'autres, elle s'est vu reprocher de dépasser ses prérogatives. Le 13 octobre 2023, la présidente s'est attiré les foudres de plusieurs dirigeants européens lorsqu'elle a effectué une visite en Israël sans en informer ses pairs. Depuis Tel-Aviv, elle a affirmé le droit d'Israël à se défendre, sans pour autant rappeler l'obligation pour l'Etat hébreu de respecter le droit international. Autre pomme de discorde : la négociation de l'accord UE-Mercosur, critiquée par certains pays européens, dont la France. Nathalie Loiseau, eurodéputée française du groupe Renew (centre), dénonce auprès de franceinfo un "entêtement" d'Ursula von der Leyen "à vouloir conclure l'accord avec le Mercosur, qu'il a fallu contrer très vivement".
Une dirigeante "assez autoritaire"
Sur le plan politique, le mandat d'Ursula von der Leyen a notamment été marqué par des rapports exécrables avec Charles Michel, le président du Conseil européen. Ce dysfonctionnement a été illustré par le "SofaGate", en avril 2021, lorsque les deux dirigeants s'étaient écharpés sur leur place protocolaire lors d'une visite conjointe en Turquie. Une partie de ses opposants ont aussi dénoncé son mépris des eurodéputés, alors qu'"il y avait l'opportunité de faire de vraies avancées et de s'appuyer sur le Parlement. Elle ne le fait pas, mais c'est peut-être parce qu'elle ne peut pas trop le faire", estime la socialiste Sylvie Guillaume.
D'autres voix lui ont reproché une pratique très verticale du pouvoir. "C'est de notoriété publique : elle est assez autoritaire et est connue pour ne pas travailler de manière très collégiale", résume Christine Verger. Mais selon elle, l'Allemande de 65 ans, qui vit dans un studio situé à côté de son bureau, compense cette verticalité par "une maîtrise extrêmement forte de sa communication". Au point d'avoir "donné un visage à l'Union européenne", renchérit l'écologiste Philippe Lamberts. "Il est certain que la Commission est plus politique que jamais", abonde Valérie Hayer, dont le nom circule pour prendre la tête de la liste du camp d'Emmanuel Macron aux élections européennes.
La défense au cœur de son futur mandat ?
Elue par surprise et de justesse en 2019, avec neuf voix d'avance, Ursula von der Leyen s'avance cette fois-ci plus confiante, avant un printemps décisif pour l'Union européenne. Si elle parvient à conserver son poste, la présidente de la Commission aura notamment à traiter la question d'une défense européenne commune, alors qu'elle s'est dite favorable à la création d'un commissaire spécifiquement chargé de ces questions. "Nous devrons bâtir une politique de défense européenne. Oui, c'est nouveau. Mais c'est essentiel", opine Valérie Hayer.
Avec ou sans "VDL" à la tête de la Commission, la guerre est toujours aux portes de l'Europe, tandis que la question brûlante de l'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine et à la Moldavie se pose avec acuité. "Une des questions qu'Ursula von der Leyen n'a pas traitées, c'est la question institutionnelle, dans la perspective des élargissements", anticipe Christine Verger, qui y voit "un des grands sujets qui vont venir sur la table". Sans oublier de gros chantiers en matière d'agriculture, d'immigration ou d'écologie, des sujets sur lesquels la présidence de la Commission européenne est sans cesse attendue au tournant.
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