Comment les sphères prorusses tentent d'influencer les élections législatives

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des enveloppes lors du dépouillement du premier tour des élections législatives aux Avirons (Réunion), le 30 juin 2024. (OPHELIE VINOT / HANS LUCAS / AFP)
Les élections législatives en France ont été ciblées par plusieurs tentatives d'ingérence prorusse sur les réseaux sociaux ou via des sites internet, selon plusieurs publications récentes. Objectif : favoriser l'extrême droite au détriment des autres forces politiques.

Une guerre de désinformation. A quelques jours du second tour des élections législatives, dimanche 7 juillet, plusieurs publications pointent l'existence d'une campagne d'influence menée par des acteurs prorusses sur les réseaux sociaux afin de peser sur le scrutin français. Objectif : favoriser le Rassemblement national, dont la proximité idéologique avec Moscou est plus grande que celle des autres forces politiques françaises.

Parmi ces publications, une étude (PDF) de l'Institut des systèmes complexes, une unité de recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), identifie l'émergence d'une nouvelle communauté politique "anti-système" sur le réseau social X (ex-Twitter) entre 2016 et 2022. Au sein de cette communauté, qui "semble faire une passerelle entre La France insoumise et le bloc d'extrême droite", le chercheur David Chavalarias repère des comptes "influenceurs" dont les contenus pourraient participer à "moduler le débat politico-sociétal en France". Ces dernières semaines, le sujet de prédilection de ces comptes a été le conflit israélo-palestinien, relève l'étude.

Des comptes pour cliver davantage

Cette étude, appelée "Minuit moins dix à l'horloge de Poutine", se focalise sur un compte anonyme (@FRN) très prolifique : celui-ci cumule 253 946 retweets entre le 10 juin et le 27 juin, c'est-à-dire entre la dissolution de l'Assemblée nationale et le premier tour des législatives. Ce compte, dont "l'historique est typique d'un compte opéré par le Kremlin ou du moins sous l'emprise de sa propagande", a diffusé de nombreuses vidéos "des massacres perpétrés par le gouvernement [israélien] à Gaza et de la crise humanitaire qui en découle".

Coeur de la twittosphère politique après la dissolution de l'Assemblée nationale. En rouge, la sphère d'influence du compte @FRN, et bleu les comptes préoccupés par l'antisémitisme et les actes terroristes du Hamas. Période du 10 au 27 juin 2024. (CNRS / IPC-PIF)

"Ce compte a essayé de se connecter à la communauté LFI de manière à ce qu'elle amplifie et se mobilise sur cette question, de façon plus émotionnelle que ce qu'elle n'aurait fait", explique David Chavalarias, auteur de l'étude.

"On va essayer de fracturer la société française, de manière à ce que les différents groupes qui vont se positionner, soit pour dénoncer le terrorisme du Hamas ou celui de l'Etat israélien, ne puissent ni s'entendre ni faire front républicain."

David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS

à franceinfo

Si l'étude fait état de tentatives d'influence ces dernières semaines, elle note aussi qu'elles ne sont pas nouvelles. Il existe des "stratégies de subversion (...) de basse intensité, pilotées ou influencées pour la plupart par le Kremlin", s'étirant sur une temporalité trop longue "pour que les acteurs du débat en aient conscience", assure l'étude.

Un faux "bonus Macron" de 100 euros

Pour convaincre, tous les moyens sont bons, même les plus grossiers. Une autre étude (PDF) de l'entreprise américaine de cybersécurité Recorded Future sur les réseaux d'influence russes et iraniens ciblant les élections françaises, également parue fin juin, identifie le travail d'un réseau d'influence russe nommé CopyCop pour dénigrer l'administration d'Emmanuel Macron, notamment à propos de la guerre en Ukraine.

A une semaine du premier tour, CopyCop a créé deux "sites inauthentiques" à cet effet : Véritécachée.fr et Franceencolère.fr. Ce type de sites, que le réseau a déjà utilisé par le passé, sert à publier de fausses informations générées par intelligence artificielle, en plagiant parfois la charte visuelle de médias traditionnels français pour les rendre plus crédibles. Ces sites "seront probablement utilisés pour publier des deepfakes ciblant l'administration Macron", anticipe le rapport. La paternité de ce réseau est attribuée par un autre rapport de Recorded Future à John Mark Dougan, un ancien policier américain installé en Russie.

Par ailleurs, l'étude a identifié un autre site promu par CopyCop, qui usurpe l'identité de la coalition présidentielle Ensemble pour la République. Le site promet aux citoyens français un "bonus Macron" de 100 euros en échange de leur vote pour le camp du président sortant. Il propose aussi d'effectuer des procurations.

Des bots prorusses affiliés au réseau Doppelgänger ont amplifié cette fake news, en accusant la coalition de corruption. Depuis 2022, ce réseau usurpe la charte de grands médias français et diffuse de la désinformation anti-Ukraine auprès d'un public européen.

Des citations erronées attribuées à des célébrités

Il existe d'autres traces de ces tentatives d'influence. En s'appuyant sur les données du collectif Antibot4navalny, spécialisé dans la surveillance des ingérences prorusses en ligne, le média suédois SVT Nyheter rapporte qu'une centaine d'articles douteux ont été relayés pendant la campagne française par plus d'un millier de robots prorusses. Emmanuel Macron y est mentionné 59 fois de façon négative : le président se soucierait davantage de la guerre en Ukraine que des problèmes domestiques, selon la propagande attribuée au réseau Doppelgänger. Marine Le Pen et Jordan Bardella y apparaissent aussi, mais jamais négativement.

Toujours selon SVT Nyheter, de fausses citations ont été attribuées à des célébrités, à travers des visuels essaimés sur la toile. L'un d'entre eux présente une photo en noir et blanc de la chanteuse américaine Beyonce, avec une citation incohérente : "Scholz [le chancelier allemand] est un pantin et Macron est aussi un pantin – l'un Américain, l'autre Britannique."

Une interview de l'acteur François Cluzet par TF1 a également été détournée, avec un faux doublage critiquant l'engagement d'Emmanuel Macron en faveur de l'Ukraine.

Un soutien russe assumé

Ces ingérences ont pour objectif, à terme, la "prise de contrôle de la France par des personnalités politiques moins hostiles au régime de Poutine", avance le rapport du CNRS. Autrement dit à aider le Rassemblement national à accéder au pouvoir. La proximité idéologique du parti d'extrême et ses liens financiers avec le Kremlin depuis une dizaine d'années ont été largement documentés. Cette stratégie d'ingérence est quasiment assumée par les politiciens russes : fin 2023, l'ex-président Dmitri Medvedev a appelé sur Telegram à soutenir les partis "antisystèmes" occidentaux afin qu'ils obtiennent "des résultats corrects aux élections".

Sur le réseau social X, début juillet, le ministère russe des Affaires étrangères a aussi clairement soutenu le parti d'extrême droite : "Le peuple de France souhaite une politique étrangère souveraine qui sert les intérêts nationaux et une rupture avec les diktats de Washington et Bruxelles", a-t-il assuré, en postant une photo de Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l'Assemblée nationale.

Ces tentatives d'ingérence ne sont d'ailleurs pas propres à la France : elles visent les démocraties occidentales idéologiquement opposées au Kremlin. Ainsi, les Etats-Unis ont déjà été ciblés dans le cadre de l'élection présidentielle de 2016, à travers le piratage du Parti démocrate et des publications sponsorisées sur Facebook, dont certaines ont débouché sur des manifestations politiques réelles. L'équipe d'En Marche a également été victime d'une cyberattaque, juste avant le second tour de l'élection présidentielle de 2017. A l'origine de ces "MacronLeaks", des hackeurs liés au renseignement russe, selon une enquête du Monde.

Des effets négligeables dans les faits

Faut-il s'alarmer pour autant ? Dans son rapport, Recorded Future estime que les dernières tentatives d'ingérences sur le scrutin, "bien que significatives", ont un "impact négligeable sur l'opinion publique et sur le comportement des votants". "Les travaux réalisés depuis 2016 sur l'influence russe vont (...) plutôt dans le sens d'un effet au mieux très limité de la plupart de ces opérations", abonde Maxime Audinet, chercheur à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire et enseignant à l'université Paris-Nanterre, sur X.

Le spécialiste des stratégies d'influences cite également une étude de 2023 publiée dans la revue Nature. Celle-ci ne fait état d'"aucune preuve d'une relation significative entre l'exposition à la campagne d'influence étrangère russe et les changements d'attitudes, la polarisation ou le comportement de vote" lors des élections américaines de 2016. Recorded Future préconise de son côté "une surveillance continue (...) pour identifier et atténuer" ces opérations d'influence, parallèlement à des "mesures réactives (....) calculées et adaptées" de façon à ne pas en aggraver les effets.

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