Législatives 2024 : comment le Nouveau Front populaire entend financer son programme économique
A neuf jours du premier tour des élections législatives, le Nouveau Front populaire (NFP) s'est targué, vendredi 21 juin, d'être "la seule force politique à présenter un budget et un programme". L'alliance des partis de gauche, qui rassemble notamment le Parti socialiste, La France insoumise et Les Ecologistes-EELV, a détaillé le chiffrage économique de son projet lors d'une conférence de presse à la Maison de la chimie, à Paris, puis dans un document mis en ligne (en PDF).
La coalition de gauche, qui promet un programme de "rupture", table sur 25 milliards d'euros de nouvelles dépenses publiques dès juillet. Pour "relever le pouvoir d'achat" des Français, le point d'indice des fonctionnaires serait augmenté de 10%, le smic de 14% (à 1 600 euros net), les aides aux logements (APL) de 10% et l'école publique intégralement gratuite (fournitures, cantine, périscolaire…). Deux réformes phares du deuxième quinquennat d'Emmanuel Macron seraient également abrogées : la réforme des retraites – pour ramener l'âge de départ à 60 ans – et celle de l'assurance-chômage.
Le retour de l'ISF, avec une composante climatique
Une autre phase portera les dépenses à 100 milliards d'euros à la fin de l'année 2025 avec l'embauche d'enseignants, de professionnels du soin et du médico-social, l'intensification de la rénovation thermique des bâtiments ou encore la mise en place de la "garantie d'autonomie", un revenu minimal pour les jeunes. A l'issue d'une troisième phase, fin 2027, le montant total des investissements atteindra 150 milliards, avec, notamment, des plans pour le rail et le fret, l'accès aux services publics à moins de 30 minutes de chez soi, un soutien à la filière du bio et de l'agroécologie, une loi intégrale contre les violences sexistes et sexuelles, un budget de la culture porté à 1% du PIB et celui du sport à 1% du budget de l'Etat.
Pour financer ces mesures, le Nouveau Front populaire mise sur plusieurs leviers. Le principal est fiscal, avec une ponction sur "les rentes indues du capital". Afin d'absorber les 25 milliards d'euros de dépenses dès 2024, la gauche veut une loi de finances rectificative votée le 4 août – clin d'œil au jour de la suppression des privilèges féodaux en 1789. Objectif : mettre en place une taxe sur les superprofits, notamment dans les secteurs de l'énergie et de l'agroalimentaire, et réinstaurer un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI) par Emmanuel Macron en 2018 – avec "une composante climatique". Ces deux prélèvements rapporteraient 15 milliards chacun, selon le chiffrage du NFP.
La suppression de niches fiscales et de la "flat tax"
L'année suivante, la gauche compte récupérer près de 28 milliards d'euros avec la suppression de niches fiscales "inefficaces, injustes et polluantes" et de la "flat tax" – un impôt à taux unique de 30% sur les revenus du capital.
Autre mesure de recette majeure : une réforme de la progressivité de l'impôt sur le revenu, avec la mise en place d'un barème de 14 tranches – contre cinq actuellement –et l'instauration d'une CSG (contribution sociale généralisée) évolutive en fonction des revenus. Elle rapporterait 5,5 milliards d'euros. Avant la présentation de chiffrage vendredi, la députée européenne LFI Manon Aubry avait assuré mardi sur France Inter que "tous ceux qui gagnent moins de 4 000 euros par mois, c'est-à-dire 92% des Français" paieraient "moins d'impôts".
Une révision de l'impôt sur les successions, ciblant les plus hauts patrimoines, permettrait quant à elle de générer 17 milliards d'euros de recettes supplémentaires. D'ici 2027, d'autres "réformes fiscales structurelles" sont prévues pour atteindre les 150 milliards budgétés, telles que l'application de l'impôt de 2% sur les bénéfices des multinationales, proposé par l'économiste Gabriel Zucman, "la montée en puissance" de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes et le renforcement de la taxe sur les transactions financières.
Une trajectoire budgétaire assumée
Avec ce "choc fiscal" et la hausse des salaires, l'alliance de gauche mise sur la reprise de la consommation, et donc de la croissance. Celle-ci a atteint 0,2% au premier trimestre 2024 et a fortement ralenti l'an dernier, à 0,9% (après avoir atteint 2,5% en 2022), dans un contexte d'inflation et de taux d'intérêt élevés. "Notre relance doit doper la croissance", qui pourrait atteindre avec ce programme économique 3% en 2025 et 2026, estime auprès des Echos la socialiste et ex-vice-présidente de l'Assemblée nationale Valérie Rabault.
L'élue, qui assume des désaccords de fond avec LFI, a toutefois reconnu que les dépenses prévues creuseraient un peu plus le déficit public de la France (5,5% en 2023), alors que le pays est sous le coup d'une procédure de la Commission européenne pour non-respect des règles budgétaires européennes. Tandis que le ministre de l'Economie, Bruno le Maire, a réitéré son ambition de ramener le déficit public sous le seuil de 3% du PIB en 2027, grâce à des coupes dans les dépenses de l'Etat de 20 milliards d'euros, la "trajectoire budgétaire" de la gauche "prévoit un déficit de 5,7% du PIB cette année, puis de 5,4% en 2025 et 5,1% en 2026 avant d'atterrir à 3,6% en 2029", selon Valérie Rabault. "On ne finance pas le programme par une augmentation des déficits", a néanmoins martelé Eric Coquerel, président sortant de la commission des finances de l'Assemblée, lors de la présentation.
Un programme fustigé par les macronistes...
Sans surprise, ce programme économique est sévèrement attaqué par le camp présidentiel. L'économie française "ne résisterait pas à un tel choc fiscal et budgétaire", a estimé dans un communiqué l'équipe de campagne de Renaissance. Elle compare ce programme avec celui de l'ancien président socialiste François Hollande, sous le mandat duquel les prélèvements "avaient été augmentés de 60 milliards d'euros, déclenchant alors le 'ras-le-bol fiscal' des Français". En outre, "avec la nouvelle Nupes, l'industrie, c'est fini", selon le camp présidentiel, qui a chiffré à plus d'un million le nombre d'emplois qui seraient détruits. "C'est une broyeuse à classe moyenne, ce sont des hausses d'impôts sur la classe moyenne", a de son côté réagi le Premier ministre, Gabriel Attal.
L'autre mesure fortement critiquée par les adversaires de la gauche est l'augmentation du smic à 1 600 euros net, accusée par le gouvernement et les patrons de représenter un danger pour l'emploi dans les entreprises. "Nous les aiderons", a répondu la députée écologiste sortante Eva Sas lors de la conférence de presse, citant des mesures d'accompagnement financier pour les PME et les TPE.
… et qui divise les économistes
Du côté des économistes, les tenants d'une vision libérale, comme Lisa Thomas-Darbois, directrice adjointe des études France à l'Institut Montaigne, considèrent également que "ces mesures peuvent avoir des effets économiques délétères. Ce n'est pas neutre pour l'image de la France et son attractivité financière", a-t-elle estimé auprès de l'AFP. Elle affirme que ces mesures toucheraient non seulement les milliardaires mais aussi "les millionnaires et les gens un peu fortunés".
"Il est difficile de voir comment [ce programme] ne va pas conduire les entrepreneurs à massivement partir ailleurs", écrit pour sa part sur le réseau social X Olivier Blanchard, ex-économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI). Sur franceinfo, Olivier Rédoulès, directeur d'études de l'institut libéral Rexecode, considère que "l'orientation très claire" du NFP est "d'aller vers plus d'intervention de l'Etat dans l'économie".
Pour prévenir l'exil fiscal, la gauche prévoit un rétablissement dans sa version originelle de l'"exit tax", un impôt mis en place sous Nicolas Sarkozy en 2011 et simplifié par Emmanuel Macron en 2018. Quant au retour de l'ISF, l'économiste Julia Cagé, une des cautions économiques du Nouveau Front populaire, soutient qu'il rapportera trois fois plus que les "quatre, cinq" milliards avant sa transformation en 2018. Résultat de la "politique fiscale" du chef de l'Etat, selon elle : les 500 plus grandes fortunes représentent 50% du PIB aujourd'hui, contre 10% il y a dix ans. En 2021, un rapport du commissaire général adjoint à France Stratégie démontrait que la suppression de l'ISF et l'instauration de la "flat tax" n'avaient pas encore entraîné d'effets positifs mesurables sur l'économie.
Pour Henri Sterdyniak, économiste interrogé sur franceinfo, ce programme est "keynésien" [du nom de l'économiste britannique John Maynard Keynes] car "l'on a besoin en France et en Europe d'impulser la demande", "social car il comprend des garanties de revenus" et "écologique car on se donne comme objectif de réorienter l'activité en tenant compte des contraintes écologiques". Le spécialiste, classé à gauche, pointe toutefois des "contradictions" entre ces "contraintes" et "la relance" promise, ainsi qu'un "manque de précisions sur les mesures de financement".
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