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Législatives : cinq questions pas si bêtes sur la proportionnelle

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Une enveloppe est placée dans l'urne d'un bureau de vote de Lille, le 11 juin 2017, pour le premier tour des élections législatives. (CITIZENSIDE/THIERRY THOREL / AFP)

Ce serpent de mer ressurgit alors que l'abstention a battu des records au premier tour des législatives, dimanche. 

Une simulation de l'Assemblée nationale à la proprotionnelle intégrale, d'après les résultats définitifs du premier tour des élections législatives du 11 juin 2017. (FRANCEINFO)

C'est le serpent de mer de la Ve République. Faut-il instaurer un peu, beaucoup, intégralement, de proportionnelle aux législatives ? La question ressurgit, au lendemain du premier tour qui s'est tenu dimanche 11 juin, marqué par une abstention record de 51,29%.

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Certes Emmanuel Macron et La République en marche semblent bien partis pour obtenir une majorité écrasante à l'Assemblée après le second tour du dimanche 18 juin. Mais sa victoire est relativisée par la démobilisation des électeurs. Que changerait la proportionnelle, mesure réclamée de droite à gauche par le Front national, le MoDem, EELV ou encore La France insoumise ? Pourquoi revient-elle au cœur de l'actualité ? A-t-elle déjà été mise en place sous la Ve République ? Franceinfo revient sur ce débat.

Pourquoi on reparle encore de la proportionnelle ?

Sans conteste, Emmanuel Macron sort grand gagnant du premier tour des législatives, avec le succès des candidats investis par La République en marche. Ce parti tout neuf devrait décrocher une très large majorité à l'Assemblée nationale, avec 415 à 455 sièges, selon une estimation Ipsos/Sopra Steria* pour France Télévisions et Radio France. Mais combien de bémols à ce triomphe puisque m oins d'un Français sur deux a voté dimanche 11 juin ? "Le divorce entre un nombre croissant de citoyens et le régime est confirmé par le taux de participation de ce premier tour, de l’ordre de 50%, niveau historiquement bas", analyse le politologue Gaël Brustier dans Libération.  Et si En marche ! pourrait rafler plus de 70% des sièges, le mouvement n'a recueilli, au premier tour, que 32,32% des suffrages.

Cet effet de levier est voulu. C'est pour assurer une majorité stable à l'exécutif que le général de Gaulle a instauré en 1958, à la création de la Ve République, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours aux législatives. Au premier, les candidats de toutes les formations peuvent participer. Mais pour accéder au second, la barre est difficile à franchir : les deux premiers sont qualifiés d'office et les autres doivent réunir sur leur nom plus de 12,5% des inscrits pour se maintenir.

Ce mode de scrutin favorise donc les candidats arrivés en tête, souvent issus des partis dits de gouvernement. Et il élimine tous les autres, privés de représentation. Ses effets sont encore amplifiés par la réforme du quinquennat adoptée en 2000 et l'inversion du calendrier électoral en 2002, depuis laquelle les législatives sont organisées dans la foulée de la présidentielle. Les électeurs, jusqu'à présent, se sont toujours montrés légitimistes, en donnant une majorité au chef de l'Etat qu'ils viennent d'élire.

C'est encore le cas cette année, mais cette fois-ci, c'est un mouvement créé ex nihilo qui rafle la mise, quand les vieux partis sont sur le déclin. Une fois de plus, donc, la proportionnelle est réclamée à cor et à cri. C'est le refrain entonné au lendemain du premier tour des élections législatives par le Front national, mais aussi par des écologistes, comme la sénatrice EELV du Val-de-Marne Esther Benbassa ou encore l'ancien eurodéputé Daniel Cohn-Bendit. "Il faut introduire la proportionnelle en France !", a martelé ce soutien d'Emmanuel Macron sur Europe 1.

Qui y gagnerait, qui y perdrait ?

Clairement, la proportionnelle permettrait de mieux représenter la diversité des opinions politiques des Français, puisque chaque parti obtiendrait des sièges en proportion du nombre de suffrages obtenu. Avec un bémol :  si le seuil de représentativité de 5% est retenu, les petits partis, en dessous de cette limite, ne seraient pas plus représentés qu'aujourd'hui.

Cas pratique : à quoi ressemblerait l'Assemblée nationale, dans l'hypothèse d'une élection à la proportionnelle intégrale ? Comme le montre notre simulation réalisée à partir des résultats du premier tour, l e bloc LREM-MoDem resterait le premier dans l'Hémicycle avec 197 sièges. Mais il n'obtiendrait pas la majorité absolue (289 sièges). Pire encore, il perdrait plus de 200 sièges par rapport aux 415 à 455 qu'il peut espérer selon les estimations d'Ipsos/Sopra Steria*.

A l'inverse, des formations très peu représentées, comme le Front national, pourraient compter jusqu'à 80 députés. Ils ne sont crédités que d'un à cinq députés avec le scrutin actuel à l'issue des législatives en cours, selon l'institut Ipsos*. Pour le PS et Les Républicains, la défaite serait, en outre, beaucoup moins sévère, comme en témoigne le graphique ci-dessous.

Une simulation de l'Assemblée nationale à la proprotionnelle intégrale, d'après les résultats définitifs du premier tour des élections législatives du 11 juin 2017. (FRANCEINFO)

Pour gouverner, le président serait contraint de former une coalition plus large que celle prévue aujourd'hui avec le seul MoDem et donc de composer avec d'autres partis. C'est d'ailleurs ce qui hérisse certains adversaires de la proportionelle. "A quoi servirait l’élection présidentielle si une fois élu, le président n’a pas de majorité pour faire appliquer son programme", s'interroge Bernard Debré dans une tribune sur franceinfo. Le député LR sortant brandit le spectre de la IVe République et de son "instabilité mortifère". "La proportionnelle y était la règle et elle a montré son inefficacité, argue-t-il. Les gouvernements ne duraient en moyenne que six mois."

Je rêve, ou ça a déjà été testé sous la Ve République ?

Oui, une fois et une seule. C'était en 1986, lors du premier septennat de François Mitterrand. Après des élections cantonales perdues, le président socialiste choisit d'appliquer la proportionnelle intégrale aux législatives. Les listes s'affrontent au niveau départemental, et le nombre de députés élus est proportionnel au nombre de suffrages obtenus par sa liste. 

D'évidence, la décision de François Mitterrand n'est pas exempte d'arrière-pensées. Ce "recours à la proportionnelle intégrale, accompagné d'une hausse du nombre de députés de 491 à 577, permet à la gauche d'espérer atténuer une défaite électorale quasi-assurée, quitte à laisser entrer le Front national dans l'Hémicycle", analyse Le Figaro.

Mais le changement de scrutin n'empêche pas la droite de l'emporter, provoquant la première cohabitation de la Ve République. Il permet aussi à l'extrême droite d'entrer en force à l'Assemblée nationale, du jamais-vu depuis 1958. Trente-cinq députés du Front national sont élus, suffisamment pour former un groupe parlementaire, qui sera présidé par le fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen. Une performance que le FN n'a jamais pu rééditer aux législatives, malgré des scores de plus en plus importants aux différentes élections. Car, en 1986, dès qu'il est nommé Premier ministre, Jacques Chirac s'empresse de supprimer la proportionnelle.

Mais François Hollande avait promis de la remettre en place, non ?

Partiellement oui. François Hollande avait en effet assuré en 2012 qu'il introduirait "une part de proportionnelle" pour les élections législatives de 2017, rappelle le site Lui président . Mais la promesse de campagne a été abandonnée après les régionales de 2015.  L'ex-chef de l'Etat, explique Europe 1, craignait que la mesure ne profite au Front national. Emmanuel Macron a repris la promesse à son compte durant sa campagne d'entre-deux-tours. 

Je mènerai très rapidement une réforme qui permettra d'instiller une dose de proportionnelle, parce que je souhaite que toutes les forces politiques, y compris celles qui me combattent, puissent figurer au Parlement.

Emmanuel Macron

le 5 mai 2017

L'introduction d'une dose de proportionnelle est réclamée depuis longtemps par le président du MoDem, François Bayrou, avec lequel Emmanuel Macron a conclu une alliance. Le président va-t-il oublier cet engagement, maintenant qu'il est quasi-certain de disposer à l'Assemblée d'une majorité de rêve ? Non, "le débat va s'ouvrir", a affirmé le porte-parole de La République en marche, Benjamin Griveaux, sur RTL, lundi 12 juin. Mais pas tout de suite : l'exécutif ne lancera finalement pas ce chantier avant 2018, a indiqué une source gouvernementale, proche du chef de l'Etat, à franceinfo. Avant son élection, Emmanuel Macron avait promis de la mener cette réforme "avant décembre". 

Cette évolution est "urgente" pour relégitimer l'Assemblée nationale, estime le professeur de sciences politiques Olivier Ihl, dans une tribune publiée lundi 12 juin sur franceinfo. "L’abstention record de ce 11 juin fragilise la légitimité des élections parlementaires, argue-t-il. Ce qui importe en cette période de réalignement partisan, c’est de déboucher sur un système qui permette aux électeurs de clairement connaître et reconnaître leurs représentants."

Pourquoi parle-t-on, comme Emmanuel Macron, d'une "dose" de proportionnelle ?

La mise en place de la proportionnelle intégrale est une des possibilités pour modifier le mode de scrutin. Mais elle ne fait pas partie des scénarios les plus volontiers retenus par les candidats ou les chefs de l'Etat de la Ve République. Ils privilégient plus volontiers l'introduction d'"une dose de proportionnelle", c'est-à-dire qu'une partie seulement des députés serait élue à la proportionnelle. L'objectif reste celui du fondateur de la Ve République : garder une majorité stable.

Emmanuel Macron est resté assez flou dans sa promesse de campagne, évoquant lui aussi une "dose de proportionnelle". Quelle proportion ? Quelles modalités ? Dans son rapport sur "la rénovation et la déontologie de la vie publique", rendu au président François Hollande en novembre 2012, Lionel Jospin avait ainsi proposé que 10% des députés soient élus à la proportionnelle. Soit  58 députés sur 577 pour être précis. L'accord PS-EELV conclu avant la campagne de 2012 évoquait une part de proportionnelle plus importante, "entre 15 et 20%", remarque Le JDD.

Un tel dispositif permettrait au président élu de s'assurer plus facilement une majorité, tout en permettant de mettre en place une Assemblée plus représentative du choix des électeurs. A titre d'exemple, avec une dose de proportionnelle de 25%, La République en marche et le MoDem auraient tout de même pu compter sur une majorité absolue d'environ 376 députés, selon nos estimations. Les autres formations politiques auraient eu une représentation plus conséquente, notamment le FN. Avec 22 députés dans ce cas de figure, le Front national aurait pu espérer un groupe parlementaire.

*Estimation Ipsos/Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France, "Le Point", France 24 et LCP-AN.

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