: Reportage Présidentielle 2022 : à Hénin-Beaumont, "chez Marine", les habitants restent persuadés qu'"on arrivera bien un jour à l'Elysée"
Encore raté : après 2002 et 2017, le parti d'extrême droite a de nouveau échoué au second tour. Dans cette ville minière, vitrine du Rassemblement national, la désillusion des habitants est immense.
A 19h55, Martine a discrètement effleuré la croix qu'elle arbore autour du cou. Deux minutes plus tard, elle s'est penchée sur l'épaule de sa voisine, "plutôt confiante". Alors à 19h59, elle a soufflé un bon coup et elle s'apprêtait à crier "Ma-rine, Ma-rine" quand la silhouette d'Emmanuel Macron est apparue sur les écrans géants de la salle Albert-Debeyre, à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), dimanche 24 avril. Un long et puissant "Non, non, noooon" a traversé l'assemblée de 200 personnes.
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Encore raté. Après les élections de 2002 et 2017, le parti d'extrême droite trébuche une troisième fois sur l'ultime marche qui permet d'accéder à l'Elysée. Avec 58,54% des voix au second tour de la présidentielle, Emmanuel Macron rempile pour cinq ans à la tête de la France. La candidate du Rassemblement national, elle, n'a obtenu que 41,46% des suffrages au niveau national, mais 67,15% à Hénin-Beaumont, son fief (où elle était déjà sortie largement en tête au premier tour avec 51,32%).
Un doigt d'honneur s'est levé d'un coup, des larmes ont coulé, un peu, beaucoup. Des joues ont rougi, des cris ont jailli et des insultes ont fusé : "Macron, président des riches de merde", "Je n'en peux plus de ce pays de dictateur", "Je suis sûre qu'il nous manque la moitié des voix", "Ça sent la triche, ça me dégoûte"… Julie, tête blonde et veste en jean sur le dos, veut bien admettre qu'elle a eu des mots à l'égard du président de la République qu'elle ne prononce "jamais habituellement". "C'était du désespoir, c'était de la colère, peste la mère de famille, la bouche sèche. Parce que je suis dégoûtée. Il me faudra plusieurs jours pour m'en remettre. On avait espoir que c'était la bonne, cette fois, que Marine allait passer."
Devant la table du buffet, supervisé par la municipalité de Hénin-Beaumont et en particulier son directeur de cabinet Martial Meunier, Antoine n'a même pas faim. Ni soif d'ailleurs, le voilà qui repousse du bras le verre de bière que lui tend un ami. "Qu'est-ce que vous voudriez que je vous dise ? lâche-t-il. Si on avait gagné, bien sûr que j'aurais fait péter la roteuse. Mais là... On en prend pour cinq ans encore, cinq ans de mouise."
"J'ai commandé cinq fûts de bières"
La désillusion est grande, et à Hénin-Beaumont, 26 000 habitants, peut-être encore plus qu'ailleurs. La cité minière aux façades de brique rouge est dirigée depuis 2014 par le Front national, devenu Rassemblement national, et Pascal avait "bien envie, cette fois, qu'on essaie Marine." "Si vous saviez comment le maire, Steeve Briois, a mis de l'ordre dans la ville depuis qu'il est aux commandes, assure le guitariste. S'ils y arrivaient à Hénin, ils y arriveraient à Paris, avec le gouvernement. Je ne suis pas raciste, je reconnais juste qu'ils font des choses bien."
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C'est vrai qu'ils y croyaient, "peut-être encore plus que la dernière fois en 2017", pense Françoise, cheveux gris façon carré. Dimanche après-midi, plusieurs heures avant l'annonce de cette "catastrophe nationale", comme elle dit, ils ont longuement refait le match au comptoir du "Coq Lillois", l'estaminet situé à deux rues de la mairie. Le patron, Roger Berger, avait fait du stock "au cas où". "J'ai commandé cinq fûts de bières", raconte, derrière la tireuse, celui qui tient l'établissement depuis 1963 et le Général de Gaulle. "Il y a aussi des bulles", glisse son épouse. Habituellement, le dimanche, il ferme le bar en milieu d'après-midi. "Pour le premier tour, il y a deux semaines, c'était rideau à 18 heures. Mais là j'ai répété toute la semaine à ma clientèle que si Marine gagnait, je rouvrais exceptionnellement."
Un fonctionnaire de la Ville, grand monsieur cravaté, 1,90 mètre, prenait les paris : "Elle va passer, je vous le dis. Et même si elle passe à 50,01%, ça m'ira très bien." Le matin même, il était allé trouver les proches de "Marine" pendant que la candidate votait dans le bureau numéro 12, celui de l'école Jean-Jacques Rousseau. "Je leur ai dit : si la garde rapprochée de la sécurité de l'Elysée vous contacte vers 19 heures, ça sent bon, ça voudra dire qu'elle est élue ! Une élection, c'est une affaire de petits signes."
"Marine, elle est comme nous"
Il faisait beau, 20 ou 22 degrés, quand la candidate du Rassemblement national est venue mettre son bulletin dans l'urne, peu après 11 heures. Philippe, qui habite rue Salengro, dans le centre-ville, l'a trouvée "bien", "ça se voyait". "Elle est arrivée à pied en passant devant chez moi", raconte le père de famille de 57 ans. On l'a saluée de loin, je ne sais pas si elle a vu."
Ne pas changer les habitudes. Comme pour le premier tour, Aurore et Logan, 25 et 24 ans, avaient donc décidé d'attendre que les journalistes repartent avec leurs caméras et la candidate pour aller voter dans le même bureau. "On a voté qui ? Ben, Marine, résume Aurore, actuellement sans emploi, en réajustant ses lunettes de soleil. Ce sont nos idées, on se retrouve dans ce qu'elle dit et dans ce qu'elle veut faire. Elle est comme nous, quoi."
Marine et Alexandre ne se sont pas vexés pour un sou non plus lorsqu'ils ont vu que leur voiture, stationnée trop proche du cortège de la candidate, avait fini à la fourrière de bon matin. "A priori, elle gênait pour la sécurité de Marine. Tant pis, on a quand même voté pour elle, rigole le couple de 23 ans. C'est la seule qui peut nous protéger."
"Ce sera pour la prochaine fois"
En l'absence de Steeve Briois, retenu à Paris, c'est Christopher Szczurek, son premier adjoint, également vice-président du groupe RN au conseil régional des Hauts-de-France, qui tient la baraque. A l'entrée de la salle Albert-Debeyre, deux hommes, cigarette à la bouche, dissertent :
- Si Hénin-Beaumont était la France, l'autre [Macron] serait déjà viré.
- Oui, mais ce n'est pas la France.
- C'est une bonne partie de la France.
Francis, 63 ans, retraité, la joue politologue quelques minutes : "Cette année, Marine a été très forte, encore plus forte que d'habitude, commence-t-il par dire. 2012, 2017, 2022... OK, ça fait trois échecs. Mais on a encore la flamme, comme on dit. Ce sera pour la prochaine fois". Julie écoute et se recoiffe : "On sera là. On a perdu une bataille, mais pas la foi. Vous verrez, on arrivera bien un jour à l'Elysée. J'ai toujours voté à l'extrême droite, je ne vais pas m'arrêter. Et j'espère que mes filles feront comme moi." A l'école Jean-Jacques Rousseau, où la candidate RN a voté, les isoloirs vont être démontés dans les prochaines heures, avant d'être réinstallés en juin pour les élections législatives. Le prochain objectif des 8 487 habitants d'Hénin-Beaumont qui ont voté Marine Le Pen.
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