: Témoignage franceinfo Un an après le déraillement mortel d'un TGV en Alsace, un rescapé se confie
Le 14 novembre 2015, une rame d'essais de la LGV Paris-Strasbourg déraillait au niveau de la commune d'Eckwersheim, dans le Bas-Rhin. Sur les 53 passagers, 11 ont trouvé la mort. Jérôme se trouvait dans la rame de tête.
Un bruit assourdissant retentit dans cette plaine d'Alsace. Une épaisse fumée noire s'élève au dessus de la voie ferrée à Eckwersheim (Bas-Rhin). Quand les premiers riverains accourent sur place, ce samedi 14 novembre 2015, ils n'en reviennent pas. Le train d'essais 744 de la Ligne à grande vitesse (LGV) Est européenne reliant Paris à Strasbourg vient de dérailler, en amont d'un pont situé sur la commune. A 15h04, la rame a dévalé le talus et terminé sa chute dans le canal situé en contrebas.
Dans la motrice de tête, Jérôme* a perdu connaissance. Ce jeune père de famille de 29 ans est technicien chez Systra, la filiale d'ingénierie de la SNCF. Un an après, il raconte à franceinfo : "Tout s'est passé tellement vite que je n'ai pas eu le temps de réaliser qu'on était en train d'avoir un accident. J'ai juste senti que la rame basculait."
J'ai entendu comme un bruit de machine à laver, puis j'ai perdu connaissance.
Le jeune homme est gravement blessé mais il s'en sort. Sur les 53 personnes présentes dans la rame d'essais, 11 sont mortes. Ce lourd bilan fait de ce déraillement la pire catastrophe ferroviaire qu'ait connue le TGV depuis son lancement en 1981. Parmi les onze victimes, figurent cinq experts de Systra, quatre agents de la SNCF et deux accompagnatrices.
"Nous étions très concentrés"
Moins d'une heure plus tôt, à 14h28, le train d'essais a quitté la gare Meuse TGV. L'ambiance dans la cabine est au travail. "Nous étions tous très professionnels et très concentrés", assure Jérôme. A l'approche d'Eckwersheim, sur le tronçon où le train a déraillé, la vitesse est limitée à 160 km/h. Dans le cadre des essais, la rame devait rouler à 176 km/h. Un premier rapport de la SNCF montrera que le train a déraillé à 243 km/h, à la suite d'un freinage tardif. Ce que confirmera une note d'étape du bureau d'enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) publiée en février.
L'enquête judiciaire n'est pas encore terminée. Trois personnes ont été mises en examen pour homicides et blessures involontaires, en octobre. Il s'agit de deux employés de la SNCF, un conducteur et un "cadre transport traction", et un "pilote traction", salarié de Systra. Par ailleurs, un rapport judiciaire d'étape évoque la responsabilité de l'équipe de pilotage, mais pointe également l'organisation même des essais. S'il accepte de parler de ses souvenirs, Jérôme ne souhaite pas s'exprimer sur l'enquête et d'éventuelles responsabilités.
Un bras cassé et une fracture ouverte à la hanche
Le jour de l'accident, il reprend rapidement connaissance et découvre alors que la rame est couchée. "La cabine était sens dessus dessous. J'ai essayé de me lever mais me suis rapidement rendu compte que je ne pouvais pas. C'est un collègue qui est venu m'apporter les premiers secours." S'ensuivent 30 minutes d'attente. Une éternité. "Avant de pouvoir nous prendre en charge, les secours ont dû faire le tour des rames. Quand les pompiers sont arrivés à ma hauteur, ils m'ont donné des médicaments pour la douleur... Je me suis réveillé à l'hôpital", se remémore Jérôme. Un réveil avec un bras cassé et une fracture ouverte de la hanche. Le jeune technicien restera hospitalisé cinq semaines à Strasbourg.
Un an plus tard, une cérémonie en mémoire des victimes du déraillement est organisée sur les lieux du drame, lundi 14 novembre. Après avoir hésité, Jérôme explique qu'il se rendra finalement sur place. "La décision n'a pas été facile à prendre. Ce sera dur d'être là-bas. Mais il faut franchir le pas. Pour faire le deuil", explique-t-il. Un long processus fait de journées et de nuits pas toujours sereines. "Je n'arrive pas à dormir à cause des médicaments que je prends. Du coup, je repense à l'accident. Ça n'aide pas. C'est toujours compliqué", avoue Jérôme. S'il peut compter sur le soutien de ses proches, le rescapé préfère parler de l'accident avec le psychologue qui le suit désormais.
Envie de reprendre le travail, mais dans un bureau
Le jeune homme n'a toujours pas totalement réalisé ce qui lui est arrivé. "Le risque zéro n'existe pas, c'est vrai. Mais je n'aurais jamais pensé qu'un tel accident pouvait se produire, souffle Jérôme. C'est trop tard pour le dire, mais j'aurais aimé que ça ne soit jamais arrivé. Je vais souffrir de séquelles à vie." Jérôme n'a toujours pas repris le travail. "Ça commence à être long d'être seul chez soi toute la journée, j'ai hâte de retourner travailler, de retrouver mes collègues et une vie sociale", concède-il. Peut-être en janvier. "Je dois faire d'autres examens avant, peut-être me faire ré-opérer, alors on verra." Son corps lui rappelle chaque jour l'accident. Quand il reprendra son travail, ce sera dans un bureau. Finies les missions sur le terrain pour ce père d'un enfant de deux ans qui habite dans l'est de la France.
Quand on a failli mourir, on voit forcément les choses autrement. Avant pour le travail, je partais en déplacement toute la semaine. Maintenant, je veux rentrer voir ma famille tous les soirs et rester avec elle.
Quant à remonter dans un train, il l'a fait, précisément "le samedi 5 mars, avec [son] père". Il explique qu'il n'aurait "jamais repris le train seul". Une nouvelle épreuve, "un peu pour me mettre au défi et puis j'ai été obligé, notamment pour assister à une réunion avec la direction de la SNCF et Systra". "Ce n'était pas évident. La rame qui bouge, les freinages, le bruit. Tout me faisait penser à l'accident." Il l'a repris plusieurs fois ensuite, notamment pour des rendez-vous médicaux à Paris. "Doucement, j'arrive à gérer ces appréhensions et je pense que ça va s'améliorer avec le temps", assure Jérôme, résolument tourné vers l'avenir.
* Le prénom a été modifié
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