Violences urbaines : "Il y avait des enfants de 13 ans" dans les salles d'audience, observe le président du tribunal de Bobigny
"Il y avait des enfants très jeunes, de 13 ans, près de 50% avaient moins de 16 ans." Peimane Ghaleh-Marzban est le président du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Il a fait face à une avalanche de procédures pénales visant les émeutiers présumés depuis la mort de Nahel, tué à Nanterre (Hauts-de-Seine) par le tir d'un policier lors d'un contrôle routier.
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Sa juridiction, la deuxième de France après Paris, fait face à un "doublement, voire un triplement" du nombre d'audiences spéciales de comparutions immédiates. Même pour un tribunal comme celui de Bobigny, rodé et dimensionné pour des cadences industrielles, les chiffres sont vertigineux. "L'institution judiciaire fonctionne normalement face à une situation exceptionnelle", a toutefois assuré le président du tribunal de Bobigny.
franceinfo : Combien de prévenus ont été jugés dans votre tribunal depuis le début des violences ?
Peimane Ghaleh-Marzban : Je peux vous donner deux chiffres. Le procureur de la République m'a indiqué qu'ils ont géré en deux jours près de 300 gardes à vue. Et s'agissant des juges – à savoir juges des enfants, juges des libertés et de la détention, formation correctionnelle de comparution immédiate –, c'est 120 personnes dont les situations ont été examinées en trois jours, 50 mineurs et 70 majeurs. C'est considérable, on a quasiment un doublement voire un triplement des situations. Par conséquent, le défi, singulièrement pour le tribunal de Bobigny, c'est d'assurer dans des conditions normales, respectueuses des principes d'organisation judiciaire, un flux important de procédures face à une situation exceptionnelle.
Est-ce que vous avez les moyens de répondre à cette situation exceptionnelle ?
Le tribunal s'est adapté et a fait face avec réactivité, adaptabilité et grâce à une forte mobilisation. Réactivité, car dès le vendredi 30 juin, avec le procureur de la République, nous avons estimé qu'il était indispensable d'augmenter la capacité et la voilure du tribunal pour assurer le flux des procédures. Et nous avons donc doublé l'ensemble des moyens magistrats, fonctionnaires. Nous avons créé exceptionnellement une audience de comparution immédiate, samedi 1er juillet, et l'ensemble des magistrats et fonctionnaires ont été mobilisés tout le week-end, et également mardi 4 et mercredi 5 juillet.
Est-ce qu'on a le temps de bien juger les prévenus ? N'y a-t-il pas un risque de justice expéditive ?
L'institution judiciaire fonctionne normalement face à une situation exceptionnelle. Et les citoyens doivent avoir confiance dans l'institution judiciaire, car nous avons la capacité de nous adapter avec la mobilisation des magistrats, des greffiers. Et je veux aujourd'hui rendre hommage au travail considérable qui est réalisé par les greffiers. Nous avons donc la capacité de nous adapter pour pouvoir gérer ces situations.
Quel est le profil des personnes que vous avez eu à juger ces derniers jours ?
Je crois que ce qui est très frappant, c'est que vous avez beaucoup de primo-délinquants, beaucoup de personnes qui ne sont pas forcément ancrées dans la délinquance. Il y avait des étudiants, beaucoup d'enfants mineurs qui sont scolarisés, ce qui n'est pas habituel dans l'activité pénale qu'on peut avoir au tribunal de Bobigny. Il y avait des enfants très jeunes, de 13 ans, près de 50% qui avaient moins de 16 ans. Et les juges des enfants ont été très mobilisés, ils ont même triplé leurs permanences samedi 1er juillet. Je veux vraiment leur rendre hommage parce que les magistrats, les fonctionnaires se sont mobilisés et se sont portés volontaires.
Le gouvernement a mis l'accent sur le rôle des parents, est-ce que les parents de ces mineurs sont présents lors des audiences ?
Les juges des enfants m'ont indiqué qu'ils avaient face à eux des mères isolées, des mères en plein désarroi face à des enfants qui, parfois, leur échappent. Il faut bien avoir en tête que les parents ont bien évidemment une responsabilité civile quand leurs enfants commettent des infractions. Je rappelle qu'il peut y avoir des poursuites pénales qui peuvent être engagées par le parquet quand il y a un délaissement de mineur, quand il y a une soustraction volontaire aux obligations parentales.
Mais je crois qu'il faut avoir en tête, que dans bien des cas, il faut avoir une assistance éducative forte. Il faut faire preuve de pragmatisme. Il n'y a pas de parents qui seraient systématiquement défaillants. Vous avez, dans certains cas, des parents en plein désarroi, des mères seules. Il faut avoir cela en tête et je crois qu'il faut à la fois pouvoir réprimer et à la fois pouvoir aider et accompagner. À Bobigny, il y avait par exemple des mineurs qui étaient suivis par les juges des enfants en assistance éducative, mais pour lesquels les mesures d'assistance éducative n'ont pas pu être mises en œuvre, car nous avons dans le département une difficulté de recrutement d'éducateurs. Il n'y a pas que la répression, il y a aussi la nécessité d'un suivi d'assistance éducative et je crois que sur ce point, il faut avoir des actions fortes.
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