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Affaire Grégory : après la mort du juge Lambert, un enquêteur raconte "les erreurs de l'époque"

Au lendemain du décès du premier juge d'instruction de l'affaire, franceinfo a interrogé Yves Burton, l'un des gendarmes chargés de l'enquête en 1984. Il revient sur les méthodes – et les manquements – qui ont marqué les débuts de l'enquête.

Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Valentine Pasquesoone
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Le juge Jean-Michel Lambert échange avec les avocats de Christine et Jean-Marie Villemin, Paul Lombard et Henri-René Garaud, au cours de la reconstitution de la mort de Grégory Villemin, à Lépanges-sur-Vologne, le 30 octobre 1985.   (JEAN-MARIE GOYHENEX/SIPA)

L'affaire Grégory connaît un macabre rebondissement, près de trente-trois ans après les faits. Jean-Michel Lambert, premier juge d'instruction de cette affaire criminelle hors-norme, a été retrouvé mort chez lui au Mans (Sarthe), mardi 11 juillet. Ce drame survient alors que l'enquête prend une nouvelle ampleur, avec la mise en examen de trois personnes en moins d'un mois.

Surnommé "le petit juge", Jean-Michel Lambert a longtemps été critiqué pour ses confidences aux journalistes, son manque d'expérience et plusieurs erreurs de jugement. Mais dans quelles conditions a-t-il dirigé l'enquête à l'époque ? Yves Burton, 68 ans, était gendarme à Bruyères (Vosges) au moment des faits. Adjoint du commandant de brigade, il fut l'un des premiers à enquêter, quatre mois durant, sur la mort du petit Grégory Villemin, retrouvé noyé dans la Vologne le 16 octobre 1984. Il fut notamment en charge de recueillir le témoignage crucial de Murielle Bolle. Pour franceinfo, le lieutenant-colonel revient sur les méthodes et les moyens, souvent insuffisants, d'enquête de l'époque. 

Franceinfo : Quel regard portez-vous sur le rôle de Jean-Michel Lambert dans l'affaire Grégory ? A-t-il commis des erreurs ?

Yves Burton : J'ai été surpris et choqué par sa mort. C'était un homme qui avait du sang-froid. Il était droit dans ses baskets. Je pense qu'il a fait son travail le mieux du monde, avec l'objectif de résoudre cette affaire. Il s'est fait sa conviction en fonction des éléments apportés.

On lui a reproché de ne pas avoir confronté Murielle Bolle à son beau-frère [Bernard Laroche]. Le colonel Etienne Sesmat, qui dirigeait notre enquête, a vu l'affaire avec ses yeux d'enquêteur et aurait également aimé que cela aille plus vite. 

On lui a aussi reproché de contribuer à l'emballement médiatique autour de l'affaire.

Les médias faisaient une contre-enquête : nous entendions des personnes et aussi vite, les journalistes rentraient dans leurs maisons. Les divulgations dans la presse ont été néfastes à l'enquête. Mais ce n'était pas le fait du juge Lambert : c'était la pratique de l'époque, les erreurs de l'époque. Il n'y avait pas de règles, nous n'avions pas de pôle communication. On nous disait d'éviter de communiquer à la presse, mais il y en avait toujours qui le faisaient. Il y avait peu de règles sur la protection des sources. On communiquait un peu avec n'importe qui. Avec le recul, nous sommes devenus plus méfiants.

J'aurais aimé que les auditions, les perquisitions se fassent plus dans la sérénité. Qu'il n'y ait pas une telle interférence des médias. L'enquête aurait peut-être pu aller plus vite si nous les avions éloignés.

Yves Burton, ancien gendarme

à franceinfo

Selon vous, Jean-Michel Lambert était-il trop seul ? 

C'est possible. C'était la pratique à l'époque. Il était juge d'instruction : lui seul prenait la décision de maintenir en détention. Il se faisait son opinion en fonction des éléments de l'enquête. Aujourd'hui, vous devez avoir plusieurs magistrats pour maintenir quelqu'un en détention plus de quatre jours. Une réunion collégiale de juges est obligatoire.  

N'y avait-il pas aussi un problème de méthode, un manque de moyens scientifiques ? 

Il n'y avait pas de protection de la scène du crime. Le procureur, des gendarmes, des témoins même, sont arrivés sur les lieux. C'est ce qui a un peu pêché à l'époque : on a effacé des éléments. On nous a également reproché de prendre des photos des pneumatiques, plutôt que de réaliser des moulages. Nous avons aujourd'hui des moyens que nous n'avions pas à l'époque. 

L’enquête aurait donc été différente aujourd'hui ?

Notre direction de la gendarmerie, voyant que cette affaire n'était pas concluante, a compris qu'il fallait prendre des mesures plus strictes pour améliorer le système de constatation. Désormais, les gens ne peuvent plus venir sur des lieux de crime. Aujourd'hui, tant que des personnes spécialistes de l'identification criminelle ne sont pas sur place, personne ne pénètre sur la zone – pas même les gendarmes. 

Nous filmons les scènes de crime aujourd'hui, et nous avons formé des gens à l'identification criminelle. Il y a des produits, des moyens pour faire des prélèvements. Et, maintenant, avec le logiciel AnaCrim, nous arrivons à voir les oublis, les interférences dans l'enquête. Nous arrivons à faire des rapprochements entre les personnes. 

Nous avions déjà des études graphologiques, des études en écriture, des écoutes, mais elles n'étaient peut-être pas aussi fiables qu'à l'heure actuelle. Nous avions un minimum de produits : nous n'étions pas à la pointe du progrès comme nous le sommes aujourd'hui.

Il nous a manqué l'ADN. Si nous l'avions eu, l'affaire serait résolue aujourd'hui. Mais nous avons travaillé avec les moyens de l'époque.

Yves Burton, ancien gendarme

à franceinfo

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