Attaque raciste contre des Kurdes à Paris : trois questions sur le choix de la justice de ne pas, pour l'heure, retenir la qualification de "terrorisme"
Alors que l'on en sait plus sur le profil et les motivations du suspect dans l'attaque perpétrée, vendredi 23 décembre, contre des Kurdes à Paris, l'incompréhension règne dans une partie de la communauté visée. Pourquoi la justice n'a-t-elle pas retenu le motif "terroriste", terme utilisé notamment par Berivan Firat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en France (CDKF) ?
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Deux jours après ce crime qualifié d'"odieux" par l'exécutif, l'enquête reste ainsi dans le périmètre du tribunal judiciaire de Paris, et relève donc du droit commun. Si elle n'a pas été récupérée par le Parquet national antiterroriste (Pnat), ce dernier et "le parquet de Paris sont en contact permanent, et la qualification des infractions appartient à la seule compétence des autorités judiciaires", a expliqué lors d'un point-presse samedi le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. Franceinfo vous explique la situation en répondant à trois questions.
Pourquoi la communauté kurde estime-t-elle qu'il s'agit d'une attaque terroriste ?
"Cette affaire est, pour nous, politique et à caractère terroriste", a déclaré Agit Polat, le président du Conseil démocratique kurde en France, à franceinfo, samedi, au lendemain de l'attaque qui a coûté la vie à trois personnes et en a blessé trois autres. David Andic, l'avocat du CDKF, a lui qualifié d'acte "terroriste" cette tuerie dès vendredi lors d'une conférence de presse. "Comment se fait-il qu'aujourd'hui, dans une structure très politique comme la nôtre, dans le caractère du profil très politique des victimes, comment se fait-il que le Parquet [national antiterroriste] n'arrive pas à se saisir de cette affaire ? C'est frustrant, c'est incompréhensible", a-t-il affirmé.
Lors des manifestations qui ont suivi l'attaque, vendredi puis samedi après-midi à Paris, des banderoles imputaient directement cette attaque à l'Etat turc, en guerre avec les Kurdes depuis des décennies, dix ans après le triple assassinat de militantes kurdes dans le 10e arrondissement. Une affaire élucidée en partie, mais dont certains éléments sont couverts par le secret-défense. "Pour nous, il n'y a aucun doute que ce sont des assassinats politiques orchestrés par la Turquie", a affirmé le président du CDKF, samedi, auprès de BFMTV.
Que révèlent les premiers éléments de l'enquête ?
Dans son dernier communiqué en date, transmis dimanche 25 décembre, le tribunal judiciaire de Paris précise les motivations du tireur ne s'est pour l'heure pas avancé sur la qualification des faits. Le suspect, âgé de 69 ans, qui portait sur lui "quatre chargeurs contenant au total 14 munitions" ainsi qu'une "boîte de 25 munitions", aurait perpétré cette attaque "en raison de l’appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée", précise le parquet.
Selon un policier, iI a déclaré "être raciste" lors de son interpellation. Un qualificatif répété en garde à vue, lors de laquelle le sexagénaire a dit ressentir une "haine des étrangers pathologique". L'homme était déjà connu des services de police pour avoir gravement blessé des cambrioleurs à son domicile en 2016, mais aussi pour une attaque à l'arme blanche contre un campement de migrants dans le 12e arrondissement de Paris, en janvier 2021. Celui qui se décrit comme suicidaire depuis plusieurs années, selon le communiqué du parquet, voulait emporter "des ennemis dans la tombe", faisant référence à "tous les étrangers non européens".
Le parquet de Paris a déclaré cependant que les documents, physiques et numériques, saisis au domicile du suspect, n'étaient "pas [révélateurs] d’un quelconque lien avec une idéologie extrémiste". Avant d'être transféré, le sexagénaire a avoué qu'il voulait tuer des "personnes étrangères" à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) vendredi à l'aube, avant de se raviser. Il a assuré vouloir "assassiner des migrants, des étrangers" depuis son cambriolage en 2016.
"Soit on a affaire à un déséquilibré raciste qui voulait s’en prendre à des étrangers, et dans ce cas le caractère terroriste ne sera pas retenu, soit on découvre qu’il voulait s’en prendre à la communauté kurde en particulier ou qu’il a été approché par les services turcs et les faits seront requalifiés en lien avec une entreprise terroriste", explique au Parisien l'avocat William Julié, avocat spécialiste en droit pénal.
L'attaque perpétrée vendredi devrait cocher les cases de l'affaire terroriste, estimait de son côté Mourad Battikh, avocat au barreau de Paris et spécialiste en droit pénal, interrogé par BFMTV samedi. "La seule qualification qui permet de qualifier juridiquement l'attaque de terroriste est la volonté d'un individu ou d'un collectif de troubler gravement l'ordre public", a déclaré ce dernier, citant l'article 421-1 du Code pénal. "Or, ce qu'on l'on sait du dossier c'est qu'il y a un trouble grave à l'ordre public par la terreur puisque le suspect a essayé de terroriser les individus dans une situation publique. Et quand on regarde les antécédents de l'individu, il y a tout lieu de penser que la qualification terroriste doit être retenue."
Comment le gouvernement se positionne-t-il ?
En se basant sur ces éléments, la justice et le gouvernement affichent, pour l'instant, une position prudente sur cette affaire. "La différence entre un crime raciste, qui est par nature odieux, et un acte terroriste (...), c'est l'adhésion ou pas à une idéologie politique revendiquée", a déclaré samedi le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti.
C'est aussi le point sur lequel le Pnat dit rester attentif. "La qualification des infractions peut être susceptible de modification au vu des éléments que l'enquête et l'instruction révéleront", a ajouté le ministre de la Justice.
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin avait assuré de son côté vendredi que "le tueur avait manifestement agi seul". "Il n'était pas connu des services de renseignement, ni de la DGSI, ni de la direction des renseignements de Paris, ni des renseignements territoriaux, ni des services de renseignements pénitentiaires pour radicalisation", avait-t-il affirmé devant la presse.
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