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Récit Affaire Troadec : comment un "délire paranoïaque" a conduit au quadruple homicide d'une famille

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Hubert Caouissin (à gauche) et sa compagne Lydie Troadec (à droite), lors de l’ouverture de leur procès à la cour d’assises de Loire-Atlantique, le 22 juin, à Nantes. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Hubert Caouissin, jugé pour le meurtre de Brigitte et Pascal Troadec et de leurs enfants de 18 et 21 ans, a été condamné mercredi à 30 ans de réclusion criminelle.

"Monsieur Caouissin est à l'origine de la mort de quatre personnes dans un bain de sang épouvantable (…) Il est trop dangereux, il n'est pas question qu'il sorte." Charlotte Gazzera et Stéphane Cantero, les deux avocats généraux de la cour d'assises de Loire-Atlantique, avaient requis la peine maximale contre les accusés de l'affaire Troadec : réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une mesure de sûreté de 22 ans contre Hubert Caouissin pour le quadruple meurtre de son beau-frère Pascal, de sa belle-sœur Brigitte et de leurs deux enfants, Sébastien, 21 ans et Charlotte, 18 ans et trois ans de prison ferme contre sa compagne Lydie Troadec, pour "modification de scène de crimes" et "recel de cadavre".

Ils ont été partiellement suivi par les jurés : Hubert Caouissin a été condamné mercredi 7 juillet à 30 ans de réclusion criminelle, sa compagne à trois ans de prison, dont un avec sursis. L'épilogue de trois semaines de procès, pendant lesquelles la cour a tenté de comprendre comment Hubert Caouissin avait pu sombrer dans un délire paranoïaque le conduisant à faire disparaître quatre membres de sa belle-famille, à Orvault (Loire-Atlantique) dans la nuit du 16 au 17 février 2017.

"J'avais peur que Pascal et Brigitte nous envoient un tueur"

Entendu pour la première fois au deuxième jour du procès, Hubert Caouissin, 50 ans, est apparu rongé par la paranoïa, obsédé par de prétendus lingots d'or que son beau-frère Pascal aurait dérobés en 2009 dans un appartement familial. Quand la présidente lui a demandé s'il croyait toujours à l'existence du trésor, il a répondu : "Pour moi ça a toujours existé. Il a été volé par Pascal et Brigitte." Aucun témoin vivant n'a pourtant jamais vu ce légendaire butin et les enquêteurs n'en ont pas trouvé la moindre trace, au bout de trois ans d'investigation.

L'interrogatoire a permis de montrer l'ampleur de la paranoïa d'Hubert Caouissin. Pendant six heures, il a livré un témoignage teinté de pensées digressives et délirantes. "J'avais peur que Pascal et Brigitte nous envoient un tueur", a-t-il assuré sans ciller. Hubert Caouissin a toutefois nié avoir tué volontairement la famille, mais reconnu l'atteinte à l'intégrité des cadavres.

"Les faits, je les reconnais. Mais l'idée est insupportable, il y a quelque chose qui ne va pas."

Hubert Caouissin

au deuxième jour de son procès

Au neuvième jour du procès, les experts psychiatres et psychologues ont aidé à mieux cerner la personnalité du dernier-né d'une fratrie de quatre enfants, "qui serait devenu le souffre-douleur d'une maîtresse. A l'école, il dit avoir été le bouc-émissaire et se sentait différent des enfants", a détaillé le psychiatre Daniel Zagury.

Une fratrie divisée par la jalousie

Pour comprendre le passage à l'acte, il a aussi fallu se pencher sur le passé de Lydie Troadec, la compagne d'Hubert Caouissin. L'accusée de 52 ans, qui comparaissait libre, a été entendue tout au long de la première journée du procès. Elle est revenue sur son enfance à Brest, aux côtés de sa mère Renée, "une personne gentille" mais "handicapée des sentiments", "pas très câline" et "soumise naturellement" à son mari, Pierre, "très autoritaire" et parfois violent avec ses enfants, mort en 2009.

Elle a aussi décrit le rapport conflictuel qu'elle entretenait avec son frère aîné de deux ans, Pascal. Il "ne supportait pas que je réussisse à l'école alors que lui n'y arrivait pas", a-t-elle expliqué. "Lydie avait un sentiment de laissée-pour-compte. Encore aujourd'hui, elle explique devoir toujours traîner sa valise de handicaps", a décrit le psychiatre Michel Dubec, qui l'a expertisée. Questionnée par la présidente Karine Laborde, elle a néanmoins reconnu que le fameux trésor n'avait "sans doute jamais existé", se démarquant de son conjoint.

Un couple peu à peu "coupé du monde"

Ces "deux blessés de la vie", selon les experts, sont l'incarnation du "cas d'école du délire paranoïaque", a appuyé le docteur Zagury devant la cour. Le "point de bascule" de cette paranoïa a surgi en 2010, quand Renée Troadec a évoqué auprès de sa fille et d'Hubert les fameux lingots d'or. Dès lors, les deux accusés se sont enfoncés dans leur délire.

Peu à peu, la situation du couple a commencé à s'envenimer à partir de 2013 : Lydie Troadec a raconté qu'Hubert Caouissin faisait des crises, se tapait la tête contre les murs et avait été arrêté pour un burn-out. Deux ans plus tard, le couple a acheté une ferme isolée de 26 hectares dans la campagne finistérienne, sans en informer personne. "Disons qu'on s'est coupé du monde", a résumé Lydie Troadec.

Petit à petit, le couple a interprété les moindres faits et gestes de Pascal et Brigitte Troadec à l'aune de leur délire paranoïaque. "Si Pascal met un chat dans les bras de Lydie, c'est parce qu'elle n'est pas immunisée contre la toxoplasmose", a illustré Daniel Zagury. La barrière est fermée quand Hubert et Lydie arrivent ? "C'est qu'ils cachent quelque chose. Ce qui était de l'ordre du doute devient une conviction."

"Pour des sommes comme ça, on éradique des familles sans problème"

Le 1er juillet a marqué sans conteste l'un des tournants de ce procès. Un enregistrement datant du 5 juillet 2014 a mis en lumière toute la haine familiale que nourrissait le "magot". Chacun a pu écouter 19 minutes d'une violente dispute entre les futures victimes et les accusés, lors d'un déjeuner chez Renée Troadec. Lydie Troadec avait pris l'habitude d'enregistrer toutes les conversations à l'aide d'un dictaphone caché dans son soutien-gorge.

Dès les premières minutes, le ton monte. "J'estime que j'ai le droit à la moitié de ce que vous avez pris", annonce Renée à Pascal et Brigitte. "Maman, qu'est-ce qu'on t'a piqué ?" répond son fils, interloqué. "Bah, les pièces d'or", répond-elle. "On nous traite de voleurs !" s'énerve Brigitte. "Pourquoi tu t'énerves si tu n'as rien à te reprocher ?" lui répond Lydie. S'ensuivent des hurlements, bruits de chaises et bousculades. "Tu sais, Pascal, que pour des sommes comme ça, on éradique des familles sans problème", lance Hubert Caouissin quelques minutes après, d'un ton froid et calme.

Le scénario invraisemblable du crime n'a pas pu être clarifié

La description du passage à l'acte a été la journée la plus difficile. Alors que s'ouvrait la deuxième semaine du procès, Hubert Caouissin a livré son récit du quadruple meurtre. Pendant 23 minutes, d'une voix monocorde et sans aucune émotion, il a raconté sa version de cette nuit d'horreur dont il est le seul témoin vivant.

Hubert Caouissin dit être arrivé "vers 22 heures" vêtu d'une veste de jardinage, d'un bonnet et de gants et muni d'un stéthoscope, acheté pour les problèmes cardiaques de son fils, afin d'"écouter aux portes". Il est entré par le garage et a coupé le compteur électrique "à 3 heures", empêchant le couple Troadec d'appeler à l'aide. Tous deux dormaient à l'étage et ont été réveillés par Hubert Caouissin, le visage dissimulé.

Ce dernier raconte avoir été surpris par Pascal puis Brigitte, ou l'inverse, et qu'une bagarre a éclaté. "J'ai attrapé le pied de biche, je ne sais pas encore bien ce que c'est, je le frappe, il tient le pied de biche, je le tiens avec le genou, je lui remets un coup", a-t-il déblatéré, selon France 3 Pays de la Loire. A la demande de la cour, il mime, depuis le box, l'un des coups portés sur le crâne de Pascal Troadec. Un "déchaînement" de violences, résume la présidente.

Trois heures durant, celle-ci tente de comprendre ce qui s'est passé. "Donc, vous êtes seul face à deux, puis quatre adultes. Ils sont tous morts, vous, vous n'avez rien, pas une blessure, vous avez frappé accidentellement, c'est bien ça ?" Après avoir tué les Troadec, Hubert Caouissin a regagné son domicile et découpé les corps. Il en a brûlé une partie et jeté le reste dans les ronciers de sa ferme de Pont-de-Buis. Lors des fouilles, les experts ont retrouvé 379 morceaux de chair et 326 g d'os en près de 2000 morceaux.

"Une cage d'obsession et de délire"

"C'est une certitude, il y a eu un massacre", a asséné l'avocate générale, Charlotte Gazzera lors de ses réquisitions. Elle a souligné "l'acharnement déployé" pour éliminer les quatre victimes, qui ne laisse aux jurés "aucune possibilité de savoir" comment elles sont mortes. La magistrate a demandé aux jurés de ne pas tenir compte du "délire paranoïaque" dont souffre l'accusé et qui serait de nature à lui faire bénéficier d'une atténuation de peine.

Le lendemain, la défense a, au contraire, imploré les jurés d'avoir le "courage" de ne pas condamner à perpétuité cet homme à la "paranoïa atroce". "Hubert Caouissin est dans une cage, il est dans une cage mentale, dans une cage d'obsession et de délire. Il n'a pas choisi de tuer ses victimes. Il n'était pas libre, il était pris dans cette paranoïa atroce", a lancé son avocat Me Thierry Fillion. Listant les différents rapports rendus durant l'instruction, Me Fillion a décompté "114 pages d'expertises".

"114 pages de bobards, monsieur l'avocat général ? C'est ça que vous dites ? Ce sont des bobards, des salades ?"

Me Thierry Fillion

lors de sa plaidoirie

Selon lui, c'est "la folie qui a poussé" l'accusé à faire le déplacement à Orvault "ce soir de février 2017". Un peu plus tôt, les avocats de Lydie Troadec ont demandé à la cour de prononcer une peine assortie du sursis à l'encontre de leur cliente. "Elle n'a jamais souhaité la mort de son frère. Elle n'a jamais souhaité la mort de sa famille, a plaidé Me Alexis Crestin. La culpabilité, elle en a conscience, ce n'est pas la renvoyer en prison qui changera quoi que ce soit."

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