En multipliant les attentats, quels sont les objectifs de l'Etat islamique ?
Le groupe jihadiste a revendiqué une série d'attentats sanglants cet automne, au Sinaï, à Beyrouth, puis à Paris.
Une publicité sanglante et une offre de recrutement. Telles sont aussi les significations des récents attentats revendiqués par l'Etat islamique qui ont fait 224 morts au Sinaï (Egypte) le 31 octobre, 41 morts à Beyrouth le 12 novembre et 129 à Paris, le vendredi 13.
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Le groupe jihadiste brandit ainsi un étendard violent qui, espère-t-il, va susciter de nouvelles vocations dans une jeunesse en mal d'aventure, d'identité ou de sens à sa vie. Car l'Etat islamique a besoin de recrues pour poursuivre ses objectifs. Mais quels sont-ils ? Que cherche le groupe Etat islamique ? Tentative de décryptage.
L'Etat islamique est bloqué dans son expansion territoriale
Retour au contexte moyen-oriental. Au départ, l'Etat islamique est né d'un conflit très localisé : la rébellion des élites sunnites exclues du pouvoir en Irak, à la suite de l'invasion américaine en 2003. Ces guerriers sunnites s'emparent en 2013 de vastes territoires, mais se voient barrer la route vers Bagdad.
"Faute de pouvoir s'étendre vers les zones kurdes ou chiites, l'Etat islamique entame sa seconde phase d'extension : celle de l'effacement des frontières issues des accords Sykes-Picot [le partage du Moyen-Orient en 1916 entre la France et le Royaume-Uni], avait expliqué en février 2015 à francetv info le spécialiste du Moyen-Orient Pierre-Jean Luizard, auteur du Piège Daech (éd. La Découverte).
L'EI crée en 2014 "une province à cheval sur la Syrie et l'Irak avec la volonté d'internationaliser le conflit, et de lier aux conflits voisins. C'est un coup de génie. Il se rattache ainsi au temps long d'avant les frontières actuelles, puisqu'un certain nombre d'Etats au Moyen-Orient sont soit en voie d'effondrement, comme l'Etat irakien, soit en état de déliquescence avancée comme l'Etat syrien, soit en proie à une très grande inquiétude comme le Liban ou la Jordanie. Tous ces Etats ont en commun d'être des créations coloniales issues en 1920 du démembrement de l'empire ottoman". Ce"califat" autoproclamé est bâti sur une conception rigoriste de l'islam, et sur le "jihad" (la guerre sainte").
Or, après une expansion fulgurante en Irak d'abord, en Syrie ensuite, l'Etat islamique a perdu, ces derniers temps, quelques-uns de ses bastions. Parmi les plus emblématiques, Sinjar, repris par des combattants kurdes au sol, appuyés par l'aviation américaine.
Irak : la ville de Sinjar reprise par les forces kurdes
Les jihadistes sont cernés
Dans une tribune publiée le 16 novembre dans le New York Times (en anglais), le spécialiste de l'islam Olivier Roy explique à quel point l'Etat islamique voit désormais ses ambitions bornées au Moyen-Orient. "Le mouvement a atteint la limite des zones où les populations arabes sunnites voient en lui un défenseur, écrit-il. Les Kurdes au nord, les chiites irakiens à l’est, les alaouites, maintenant sanctuarisés par les Russes, à l’ouest – tous résistent. Au sud, ni les Libanais, inquiets de la présence des réfugiés syriens, ni les Jordaniens, scandalisés par l’horrible exécution d’un de leurs pilotes, ni les Palestiniens ne sont tombés dans la fascination de l'Etat islamique."
Quelques dizaines de milliers d'hommes dont le territoire est cerné, et bombardé par l'aviation américaine, française ou russe, peuvent-ils résister longtemps ? L'Etat islamique, assurent les spécialistes, serait tombé depuis longtemps si les puissances régionales ne s'en accommodaient pas. Mais la rencontre impromptue entre les présidents russe Vladimir Poutine et américain Barack Obama, au sommet du G20 à Antalya (Turquie), dimanche 15 novembre, met davantage les jihadistes sous pression. L'EI est devenu l'ennemi public numéro 1 des Occidentaux, faisant passer Bachar Al-Assad au second plan.
Une stratégie du "terrorisme globalisé" inspirée d'Al-Qaïda
D'où une surenchère dans la terreur ? Dès février, Pierre-Jean Luizard expliquait : "L'Etat islamique présente désormais son combat, à l'origine inscrit dans un territoire local, comme un choc de civilisation. Un choc non pas entre Orient et Occident, mais entre les 'mécréants' (à la tête desquels se trouvent les Etats-Unis, mais aussi leurs alliés dans la région, Arabie saoudite, Jordanie, Egypte, considérés comme de 'mauvais musulmans') et les vrais croyants (qui peuvent être occidentaux)."
L'EI aurait-il décidé de passer à la vitesse supérieure ? "Bloqué au Moyen-Orient, Daesh se lance dans une fuite en avant : le terrorisme globalisé", affirme Olivier Roy dans le New York Times. L'Etat islamique s'inspirerait ainsi de son rival Al-Qaïda, qui s'était assuré une réputation mondiale le 11 septembre 2001, avec les 3 000 morts des attentats sur le sol américain déclenchant un cycle infernal de représailles (guerres d'Irak et d'Afghanistan, ouverture du camp de Guantanamo, Patriot Act ...).
Le New York Times (en anglais) dresse d'ailleurs, dans une carte interactive, la liste des attentats revendiqués depuis janvier 2015 par l'Etat islamique, dont ceux contre Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher.
Interactive by @washingtonpost: What a year of Islamic State terror looks like https://t.co/prIryJlj6I
— Ahmed Al Omran (@ahmed) 17 Novembre 2015
En moins d'un mois, les attentats contre un avion de ligne russe au Sinaï, en Egypte, le 30 octobre, dans un quartier chiite de Beyrouth, le 12 novembre, et à Paris le jour suivant ont fait près de 400 morts civils. Tous considérés comme ennemis parce que russes, chiites ou français.
Objectif des attentats : attirer de nouveaux fanatiques
Quinze ans après le 11 septembre, aux yeux des Occidentaux, l'Etat islamique a donc détrôné Al-Qaïda (qui existe toujours) au palmarès de la terreur. L'objectif est le même : susciter la répression, diviser un pays et attirer de nouveaux fanatiques. En avril, un rapport sénatorial estimait déjà à 3 000 le nombre de jihadistes européens partis en Syrie, dont la moitié de Français.
Comment ce groupe fanatique et sanguinaire peut-il séduire une partie de la jeunesse européenne, avec la promesse de mourir à 20 ans ? L'ancien haut fonctionnaire de la Défense Pierre Conesa met à jour quelques-uns des rouages politico-identitaires dans ce rapport sur la "contre-radicalisation". Il explique notamment que le "salafisme est une idéologie refuge". "L'islam de ces jeunes, écrit-il, s'est construit dans une société qui n'a plus rien à proposer, où les anciennes idéologies (socialistes, républicaines, communistes ...) sont en crise et où chaque groupe cherche à se construire une identité de substitution". L'Etat islamique "est une organisation qui veut se venger du monde entier, et ce message de vengeance contre 'l’ordre mondial' parle à beaucoup de gens", analyse de son côté Myriam Benraad dans Les Inrocks.
D'autres, comme l'a fait le journaliste David Thomson sur France Inter le 16 novembre, notent la diversité des profils et des trajectoires. Le mouvement va-t-il sombrer dans "l'hyperterrorisme", prédit par le spécialiste de géopolitique François Heisbourg ? Ou rester marginal, comme le pense Olivier Roy, jugeant, toujours dans le New York Times : "Comme Al-Qaïda, Daesh n’a aucun soutien populaire dans les populations musulmanes vivant en Europe ; il n’y recrute qu’à la marge."
A la marge, peut-être, mais cela suffit pour provoquer d'énormes dégâts. Au total, plus de 30 000 personnes dans le monde ont été tuées en 2014 dans des attentats, selon une étude de l'Institute for Economics and Peace (en anglais), dont la moitié à cause de Boko Haram et de l'Etat islamique.
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