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Les dossiers que la gauche peut reprocher à Courroye

Le procureur de Nanterre est menacé d'une mutation par la ministre de la Justice, Christiane Taubira. Il pourrait payer sa proximité avec Nicolas Sarkozy et sa gestion contestée de l'affaire Bettencourt.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, le 2 septembre 2010. (FRED DUFOUR / AFP)

Philippe Courroye va-t-il faire les frais du retour de la gauche au pouvoir ? L'emblématique procureur de Nanterre pourrait être nommé avocat général à la cour d'appel de Paris par la ministre de la Justice, Christiane Taubira. Une mutation "dans l'intérêt du service" qui ressemblerait fort à une sanction, dénoncent les avocats de Philippe Courroye, pour celui qui se rêvait il y a encore quelques mois au poste prestigieux de procureur de Paris. La nouvelle majorité peut nourrir plusieurs griefs à son encontre, au premier rang desquels sa proximité avec Nicolas Sarkozy.

• Un procureur très proche de Nicolas Sarkozy

Les deux hommes ne s'en cachaient pas. La proximité était de notoriété publique entre Nicolas Sarkozy et Philippe Courroye, nommé procureur en 2007, contre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, à Nanterre (Hauts-de-Seine). C'est-à-dire dans le fief du président qui allait être élu quelques jours plus tard.

Les détracteurs du procureur pointent plusieurs faits. Dès octobre 2007, le parquet de Nanterre classe sans suite la plainte d'un particulier qui s'offusquait de l'achat par Nicolas et Cécilia Sarkozy d'un appartement sur l'Ile de la Jatte, à Neuilly-sur-Seine, à un promoteur qui avait pignon sur rue auprès de la municipalité qu'a dirigée Nicolas Sarkozy.

En 2009, l'ancien juge d'instruction lyonnais est décoré de l'ordre national du mérite par Nicolas Sarkozy. A cette occasion, le président lâche : "On nous reproche de nous connaître, mais cela ne l'a pas empêché de faire son métier, ni moi le mien." C'est quand éclate l'affaire Bettencourt, à l'été 2010, que les liens entre Nicolas Sarkozy et Philippe Courroye jettent publiquement la suspicion sur l'impartialité du procureur.

• Un rôle controversé à la tête de l'enquête Woerth-Bettencourt

Saisi de l'affaire, le parquet de Nanterre a rapidement ouvert, dès l'été 2010, plusieurs enquêtes préliminaires concernant les différents volets. A sa tête, Philippe Courroye mène de front ces quatre enquêtes. Mais ses liens avec Nicolas Sarkozy alimentent le soupçon de connivence dans une affaire où l'on évoque un financement politique illégal de la campagne du président élu.

Plusieurs voix s'élèvent – sans succès – pour qu'il confie ce dossier brûlant à un juge d'instruction indépendant. Sous la pression médiatique et hiérarchique, il est contraint de se dessaisir fin octobre 2010. L'affaire est finalement dépaysée au tribunal de Bordeaux.

• Un climat délétère avec la juge Isabelle Prévost-Desprez

Au tribunal de grande instance de Nanterre, Philippe Courroye retrouve une vieille connaissance : Isabelle Prévost-Desprez, avec qui il formait un duo de choc, comme juges d'instruction, au pôle financier de Paris au début des années 2000. Depuis, leurs relations se sont détériorées.

Lorsque le dossier Bettencourt fait irruption à Nanterre, l'inimitié va se transformer en guerre des juges. Parallèlement aux enquêtes menées par Courroye, la 15e chambre du tribunal, présidée par Prévos-Desprez, est saisie d'une citation directe pour François-Marie Banier. Loin de se déclarer incompétente, la juge s'autodésigne pour mener un complément d'information. En clair : une enquête concurrente – et sous-entendu plus impartiale – que celle menée par le procureur. Dans les couloirs du tribunal, l'ambiance vire à la guerre ouverte. Chaque décision de justice devient un motif de conflit entre les deux magistrats.

• L'affaire des fadettes de journalistes

La rivalité entre Philippe Courroye et Isabelle Prévost-Desprez culmine à l'automne 2010, lorsque le procureur demande officiellement le désaisissement de la juge pour "violation du secret de l'enquête". Son tort ? Avoir divulgué des informations à la presse via des SMS. Pour le prouver, Philippe Courroye a fait analyser par la police les factures détaillés (fadettes) des téléphones portables de deux journalistes du Monde, qui a porté plainte.

Le quotidien porte plainte pour "collecte illicite de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal et illicite et violation du secret des correspondances". Philippe Courroye est mis en examen par une juge d'instruction en décembre 2011, mais en mars 2012, la cour d'appel de Paris annule les poursuites à son encontre à cause d'un vice de procédure. Le Monde s'est pourvu en cassation.

Deux ans après le déclenchement de l'affaire Bettencourt, le tribunal de Nanterre, qui a été dessaisi, n'a toujours pas retrouvé la sérénité. Isabelle Prévost-Desprez se retrouve mise en examen pour "violation du secret professionnel" et reste sous la menace d'une sanction disciplinaire. Philippe Courroye est la cible d'une procédure disciplinaire intentée par Le Monde devant le Conseil supérieur de la magistrature. Entre les deux protagonistes, la cohabitation reste explosive. "C’est en train de couver, couver… Ça va exploser. Mais quand ?", s'interrogeait en février un juge, cité dans un long article de Libération. En mutant Courroye, la Chancellerie a peut-être trouvé le moyen de désamorcer le conflit... ou de l'amplifier.

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