Récit JO de Paris 2024 : de l'échec de la candidature de 2012 à une cérémonie d'ouverture hors normes... Une préparation entre obstacles et innovations

Article rédigé par Gabriel Joly
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 11min
Les anneaux olympiques sur la façade de la tour Eiffel, à Paris, le 14 juillet 2024. (DIMITAR DILKOFF / AFP)
Avant d'être choisie pour accueillir les JO 2024, la capitale française a essuyé trois échecs. Parmi eux, la défaite contre Londres pour l'édition 2012 a été une énorme désillusion, dont le comité tricolore s'est inspiré pour parfaire sa candidature.

Lorsque le ou la dernière relayeuse de la flamme viendra embraser la vasque olympique à l'issue de la cérémonie d'ouverture sur la Seine, vendredi 26 juillet, la cicatrice de l'échec de la candidature de Paris 2012 se refermera définitivement. Car, avant d'obtenir les Jeux d'été de 2024, un siècle après la dernière édition à Paris, les tentatives infructueuses, et parfois douloureuses, se sont multipliées.

Pour 1992, les Jeux d'hiver attribués à Albertville avaient fait passer la pilule. En 2008, l'espoir n'était tout simplement pas permis, car le Comité international olympique (CIO) voulait une candidature asiatique et a finalement choisi Pékin. Mais, pour 2012, tout semblait réuni jusqu'à ce 6 juillet 2005. Quand le comité français se présente à Singapour pour l'élection de la ville-hôte, personne n'imagine Londres rattraper son retard sur Paris.

Comme des bleus face à Londres en 2012

"On avait accueilli tout ce que la Terre peut disposer de grands événements et on avait tous les équipements à disposition, dont le Stade de France. Donc on a estimé, et c'est peut-être là notre faiblesse, que c'était notre tour", se souvient Jean-François Lamour, alors ministre des Sports de Jacques Chirac. D'autant que la candidature britannique ne semblait pas en mesure de rivaliser. "Sur un plan technique et financier, tous nos dossiers avaient été bien préparés. Quand on est rentrés dans la salle pour l'annonce des résultats, plusieurs personnes du CIO nous faisaient des sourires avec le pouce levé, dont le prince de Monaco", rejoue Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France de 1998 à 2015.

Jean-Paul Huchon, Jacques Chirac, Bertrand Delanoë et Jean-François Lamour (au premier plan), le 6 juillet 2005 à Singapour avant le vote du CIO pour désigner la ville-hôte des JO 2012. (SAEED KAHN / AFP)

Et pourtant, le projet parisien et son village olympique installé dans le quartier des Batignolles ne verront pas le jour après une défaite par 54 voix contre 50. La faute à un lobbying incessant des Britanniques dans la dernière ligne droite. 

"Une de nos erreurs, c'est d'avoir négligé la diplomatie internationale. A Singapour, je logeais à l'étage sous la chambre de Tony Blair et beaucoup de gens y montaient. Il les a pris un par un en faisant des promesses… Il était vraiment concerné, il est resté quinze jours sur place quand Chirac n'est passé qu'une heure."

Jean-Paul Huchon, ex-président de la région Ile-de-France

à franceinfo: sport

Le Premier ministre britannique était secondé par Sebastian Coe, double champion olympique du 1 500 m et propulsé chef de file de Londres 2012. "Lui y consacrait 100% de son temps. Chez nous, les trois ou quatre personnes qui géraient la candidature faisaient ça à 30 ou 40%", analyse Jean-François Lamour. Sans doute le principal écueil côté français. Le ministre avait certes remporté deux fois l'or olympique au sabre en 1984 et 1988, mais il ne suffisait pas à représenter des athlètes trop en retrait pour Paris 2012... Dans l'ombre des politiques, notamment du maire de la capitale de l'époque, Bertrand Delanoë, en larmes après l'échec.

Lapasset-Estanguet, tandem sportif compatible

"Il considérait que c'était le truc de sa vie, avec une ambition présidentielle derrière", rappelle Jean-Paul Huchon, pour qui le comité dont il faisait partie était "un mille-feuille de personnalités politiques entre qui le courant ne passait pas". Apprenant de son échec, Paris 2024 a mis l'accent sur une forte incarnation du mouvement sportif, avec le duo formé par Bernard Lapasset, alors président de World Rugby et mort en mai 2023, et Tony Estanguet, triple champion olympique de canoë et membre du CIO.

La maire de Paris, Anne Hidalgo, et les coprésidents du comité d'organisation de Paris 2024, Tony Estanguet et Bernard Lapasset après une commission d'évaluation du CIO, le 16 mai 2017 à Paris. (FRANCK FIFE / AFP)

"Au début, Anne Hidalgo voulait l'exposition universelle, mais le gouvernement a estimé que c'était trop cher. On s'est en quelque sorte rabattus sur les Jeux et, entre-temps, le sportif était devenu le patron du projet", se remémore Jean-Paul Huchon. Alors que le monde politique envisageait cela un 14 juillet, l'annonce officielle de la candidature est finalement faite par les athlètes depuis le siège du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) le 23 juin 2015, le jour du 121e anniversaire de la renaissance des JO modernes. Malgré un contexte sécuritaire prégnant dans une capitale meurtrie par les attentats, les avis globalement favorables des Français autour de l'événement profitent ensuite à Paris 2024, à mesure que les concurrents – Boston, Hambourg, Rome, Budapest – renoncent, faute de soutien populaire.

Avec Los Angeles, subsistent finalement "deux excellentes candidatures" selon le président du CIO, Thomas Bach, qui opte pour une double attribution. Le 13 septembre 2017, à Lima (Pérou), Paris obtient l'organisation des JO 2024 grâce à un accord passé avec les Californiens, prêts à attendre quatre ans de plus. Ne reste qu'à construire le village olympique en Seine-Saint-Denis, une piscine et la future arena de la porte de la Chapelle. Le tout avec un budget total estimé à 4,4 milliards d'euros par Tony Estanguet.

Le temps des polémiques

Pas entamé par la crise sanitaire, l'enthousiasme vis-à-vis de Paris 2024 commence néanmoins à s'étioler au retour des Jeux de Tokyo de l'été 2021. Le président de la République, Emmanuel Macron, appelle la délégation tricolore à "faire beaucoup plus" pour porter la France dans le top 5 des nations à domicile, avant que le judoka Teddy Riner ne calme le jeu : "J'aimerais qu'on me fasse mentir, mais il faut faire beaucoup plus de choses pour pouvoir prétendre à 90 médailles d'ici trois ans. Il fallait déjà investir dans le sport massivement et confronter notre jeunesse à l'international. Alors, on pourra toujours se cacher derrière le Covid…"

Le président de la République, Emmanuel Macron, avec le judoka Teddy Riner à l'Elysée lors d'une cérémonie en l'honneur des médaillés français des Jeux olympiques de Tokyo, le 13 septembre 2021. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Un premier effet d'annonce maladroit, annonciateur de futures polémiques. Conséquences de la communication du comité d'organisation (Cojop), martelant pendant des mois sa volonté de "casser les codes" à coups de grands principes dilués dans les éléments de langage. Le prix de la billetterie et la hausse des tarifs pour les transports en commun franciliens – pourtant annoncés gratuits pour les détenteurs de billets dans le projet de la candidature – portent atteinte à l'idée de "Jeux populaires". "L'accessibilité à tous" en prend un coup lorsque les étudiants de plusieurs résidences Crous sont invités à se préparer à quitter leurs chambres, mises à disposition d'agents publics pendant les compétitions. Dans le même temps, des associations alertent sur un "nettoyage social" des sans-abri de Paris, tandis que la tour des juges construite sur des coraux pour le site du surf de Teahupo'o fait gronder à Tahiti.

S'ajoutent pêle-mêle les controverses autour de l'emploi illégal de personnes sans-papiers sur les chantiers des Jeux, des perquisitions au siège du Cojop, l'ouverture d'une enquête autour de la rémunération de Tony Estanguet, des soupçons de travail dissimulé pour les bénévoles et une pression accrue face au manque de personnel dans la sécurité privée... "C'est le grand classique : environ deux ans avant, il y a toujours d'énormes critiques quand les JO commencent à devenir concrets. Avec un tel événement, c'est un saut dans l'inconnu à chaque fois", observe Sylvain Bouchet, spécialiste de l'histoire olympique. 

"La différence, c'est que le dossier de Paris 2024 prévoit beaucoup de choses intra-muros. Cela fait peser des contraintes sur davantage d'habitants, qui dénoncent une sorte de prise en otage des organisateurs avec les Jeux. En plus, ces derniers y sont allés un peu fort sur le côté innovation. Le manque d'explications et les égarements au niveau de la communication ont été très critiqués."

Sylvain Bouchet, spécialiste de l'histoire des JO

à franceinfo: sport

S'ils ont obtenu des garanties des pouvoirs publics pour compenser certaines de leurs pertes, les hôteliers et restaurateurs d'Ile-de-France ont par exemple fait une croix "sur des chiffres extraordinaires" pour l'été, note Franck Delvau, président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih) francilienne. Pas aidés par des périmètres de sécurité contraignants et les difficultés à circuler en voiture dans la capitale, les établissements ne sont réservés qu'à 70% de leur capacité en moyenne. "Par contre, on espère des retombées positives post-JO grâce aux belles images diffusées de Paris", précise Franck Delvau. En mai, une étude publiée par le Cojop évaluait justement l'impact économique des Jeux dans la région entre 6,7 et 11 milliards d'euros d'ici à 2034 (dont 30% pour le tourisme).

Des médailles pour contrer la dissolution de l'engouement

Reste que la plupart des dossiers ont été menés à bien, notamment grâce au travail de Michel Cadot, le délégué interministériel aux Jeux (Dijop). "Un homme remarquable et efficace qui a débloqué toutes les situations" depuis qu'il a succédé à ce poste à Jean Castex en août 2020, dixit Jean-François Lamour, appuyé par tous les acteurs qui l'ont côtoyé. Décriée pour son recours à la vidéosurveillance algorithmique, la loi olympique promulguée en mai 2023 a d'ailleurs prévu une dérogation à la limite d'âge des fonctionnaires pour permettre à l'ex-préfet de 70 ans de mener sa mission jusqu'au bout.

"Ras-le-bol du bashing des Jeux, ras-le-bol de tous ces peine-à-jouir qui n'ont pas du tout envie qu'on puisse célébrer quelque chose ensemble", s'agaçait Anne Hidalgo en conseil municipal, le 22 mai, promettant "un moment absolument exceptionnel". Depuis, les images grandioses du lancement du relais de la flamme olympique à l'arrivée du Belem à Marseille le 8 mai ont largement été éclipsées par l'annonce d'Emmanuel Macron, à J-47, de dissoudre l'Assemblée nationale.

L'arrivée du "Belem" à Marseille avec la flamme olympique à son bord, le 8 mai 2024. (JULIE GAZZOTI / AFP)

"Avec les législatives, quelque chose s'est rompu au niveau du symbole et de la dramaturgie olympique. C'est inédit, on est déconnectés de l'organisation des JO, juge Sylvain Bouchet. Outre la menace terroriste, l'agitation sociale est un facteur inquiétant pour ceux qui s'occupent de la sécurité de l'événement". Après une campagne des législatives éclair et la victoire du Nouveau Front populaire sans possibilité de former une majorité, le contexte politique n'est pas au rassemblement. Et c'est bien là le principal défi que les Jeux olympiques de Paris 2024 doivent désormais relever.

Car, en dépit des annulations des répétitions de la cérémonie d'ouverture – la première de l'histoire des JO hors stade – et des questions autour de la "baignabilité" de la Seine, qui ont fait couler beaucoup d'encre, "tout est prêt" pour le début des festivités, comme l'a rappelé le 13 juillet Thomas Bach. Dans le sillage de leurs porte-drapeau, Mélina Robert-Michon et Florent Manaudou, les athlètes tricolores sont ceux qui peuvent faire de cet événement une réussite marquante pour la France avec le plein de médailles. Place aux Jeux.

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