Canicule : aux urgences de Nîmes, "quelle que soit la saison, il n'y a plus de moment de creux"
"Pour l'instant, on a eu trois coups de soleil, mais aucun coup de chaud." A l'accueil des urgences du centre hospitalier de Nîmes (Gard), en début d'après-midi, le mercredi 19 juillet ressemble à toutes les journées d'été. La saison transparaît surtout dans l'affluence de patients en traumatologie, où l'on traite les fractures, entorses et autres contusions, qui résultent des activités de plein air prisées lors des vacances scolaires. Ce n'est pourtant pas une journée ordinaire dans la préfecture du Gard : le département est placé en vigilance orange "canicule", avec un pic de chaleur à 37,5°C. L'alerte, prolongée jusqu'à jeudi après-midi, s'accompagne de conseils sur la dangerosité de telles températures : "Ne sortez pas aux heures les plus chaudes (11h-21h)", "limitez vos activités physiques et sportives" et "prenez des nouvelles" de proches âgés, recommande notamment Météo-France.
Au fil de cette première journée de canicule, peu de cas directement liés à la température se présentent au CHU, où la salle d'attente des urgences est déjà bien remplie. Une femme de 39 ans, placée en observation après s'être sentie mal, est repartie en moins d'une heure après avoir pris le temps de se réhydrater. Mais parfois, le rôle de la chaleur est difficile à évaluer immédiatement : est-elle responsable de la chute de cet homme de 96 ans qui réparait son portail en plein soleil mercredi matin, pris en charge pour un traumatisme au niveau du nez ? "Difficile à dire", hésite Nabila Benhamed, au guichet où se présentent les arrivants. Il faudra un bilan sanguin pour établir s'il était déshydraté.
Des malades vulnérables et quelques imprudents
Les patients affaiblis par les fortes chaleurs sont souvent "multipathologiques", résume Jacques Crampagne, responsable du service post-urgences du CHU. En particulier les personnes âgées, plus à risque car plus fragiles, mais aussi parce qu'elles perdent la sensation de soif. "Les effets de la chaleur se manifestent souvent par des chutes : les personnes sont affaiblies, elles tombent, se blessent, et on découvre à cette occasion leur déshydratation." La température vient s'ajouter à des problèmes de santé préexistants et parfois même aux effets de médicaments. "Les traitements diurétiques ou pour la tension majorent le risque de déshydratation", de même que certains traitements psychiatriques, explique l'urgentiste. Le danger augmente d'autant plus que la chaleur dure : c'est en général après une détérioration de plusieurs jours que les personnes âgées arrivent aux urgences.
Les patients plus jeunes ne sont pas pour autant épargnés. Aux urgences du CHU de Nîmes, ils ne sont pas les plus nombreux, mais marquent les esprits. En début de semaine, Marine Pichenot, infirmière, a ainsi traité "un jeune de 18 ans, amené par les pompiers. Il était parti courir en ville et n'arrêtait pas de vomir depuis, sans arriver à se réhydrater". Sans gravité, son cas illustre le risque de l'activité physique les jours de forte chaleur, qui est subie pour certains travailleurs : "Il a reconnu qu'il était un peu inconscient du risque, il n'avait pas réalisé qu'on était en pic de chaleur."
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Le jeune homme était fraîchement arrivé de Paris et, aux yeux des soignants nîmois, cela peut expliquer son erreur d'appréciation. A l'accueil, une agente expérimentée s'inquiète pour ces vacanciers "qui font de la voiture toute la journée et sautent dans l'eau une fois arrivés", au risque d'un choc thermique. Parmi les jeunes patients victimes de coups de chaleur ces derniers jours, ses collègues se souviennent d'un Américain, d'un Belge, mais pas de Gardois.
Le peu d'affluence aux urgences un jour de canicule, dans une ville qui détient le record de la température la plus élevée mesurée dans une grande agglomération de l'Hexagone (44,4°C en juin 2019), témoigne-t-il de l'habitude des habitants face aux fortes chaleurs ? Jacques Crampagne nuance et rappelle notamment que des traditions locales comme les fêtes votives, qui rythment l'été dans le Gard, sont aussi l'occasion de comportements à risque : "L'association entre les fêtes votives, l'excès d'alcool et la chaleur, on l'observe tous les ans aux urgences." Dans l'ensemble, il observe tout de même que les consignes de prudences sont de mieux en mieux comprises, notamment chez les patients vulnérables.
"Avec la chaleur, c'est plus difficile de se concentrer"
Avant l'éventuelle arrivée de victimes de la chaleur, la canicule ajoute une charge à l'activité du service. Aide-soignante, Marina Ferrand multiplie les "tours d'eau" depuis sa prise de service à la mi-journée, pour éviter que des patients entrés pour un autre motif ne se déshydratent sur leur brancard. Mais elle ne peut pas satisfaire beaucoup d'entre eux. "S'ils sont en attente d'examens, ils n'ont pas le droit de boire, pour rester à jeun, note-t-elle. Certains se tendent, ils attendent parfois depuis vingt-quatre heures. J'essaie de les renseigner, mais je ne peux rien faire."
La climatisation isole l'hôpital de l'ambiance tropicale de l'extérieur. Sur son brancard, Pascal se réjouit même qu'il fasse meilleur que dans son logement social mal isolé du centre-ville. Mais le système a ses limites. "Quand on ouvre la fenêtre, ce qui est parfois nécessaire pour les odeurs, la clim s'arrête", déplore Sandrine Couret, aide-soignante. "De toute façon, en ce moment, ça ne se rafraîchit pas". "Avec la chaleur, c'est plus difficile de se concentrer, on est moins patients", témoigne Marine Pichenot, qui a de la chance ce mercredi : elle travaille en salle de déchocage, où sont envoyés les patients dans un état critique et où il fait 10°C de moins que dans le reste du bâtiment.
A ces conditions parfois pénibles s'ajoutera peut-être une recrudescence des arrivées aux urgences, si les fortes chaleurs persistent. L'ARS peut déclencher un plan canicule permettant l'ouverture de lits supplémentaires. Mais face au réchauffement climatique, qui menace de rendre ces pics plus intenses et plus fréquents, "il faut anticiper, c'est sûr", observe l'urgentiste Jacques Crampagne. "La clé, ce sont les lits d'aval", dans les autres services, permettant de transférer les patients nécessitant une hospitalisation et de libérer de la place aux urgences.
De ce point de vue, la canicule n'est qu'un problème parmi d'autres à ses yeux : "Quelle que soit la saison, il y a une pathologie. Il n'y a plus de moment de creux et d'allègement du nombre d'entrées." Si la direction de l'hôpital a augmenté sa capacité grâce à la surélévation d'un bâtiment inaugurée en mars, elle cherche à pourvoir 47 postes vacants dans l'établissement, avec des répercussions indirectes sur la situation des urgences. "On est en permanence en difficulté", résume Ludovic Palmier, médecin urgentiste lui aussi, qui rappelle que le CHU doit faire avec l'afflux de touristes dans le Gard. Mercredi, dans un couloir des urgences, une quinzaine de patients sont alignés sur des brancards. La situation n'est plus inhabituelle dans ce CHU comme dans beaucoup d'autres : "L'hiver, c'est arrivé qu'on en ait 30 ou 40 lors des épidémies virales", rappelle Ludovic Palmier. A Nîmes et ailleurs, ce pic-là n'est pas près de retomber.
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