Afghanistan : comment les talibans ont balayé l'armée et conquis la plupart des grandes villes en une semaine
Les insurgés islamistes ont revendiqué jeudi la prise de Herat et Kandahar, les deux principales villes du pays en dehors de Kaboul. Ils ne contrôlaient aucune capitale régionale une semaine plus tôt.
Kaboul sera-t-elle bientôt la seule poche de l'Afghanistan non contrôlée par les talibans ? Si oui, pour combien de temps ? Profitant du départ des troupes internationales et en particulier américaines, qui doit s'achever le 31 août, les talibans contrôlaient, vendredi 13 août, la plus grande partie du pays et près de la moitié des capitales provinciales. Les cartes du Long War Journal (en anglais), média américain qui fait référence, montrent l'inexorable avancée des talibans.
Sur celle ci-dessous, le rouge désigne les districts contrôlés par les talibans, et le gris ceux toujours tenus par le gouvernement. En orange, les districts encore disputés. Le curseur glissant, sous la carte, permet d'observer son évolution jour par jour, et de constater son basculement à l'écarlate ces dernières semaines.
Elle témoigne également de la première phase de l'offensive des talibans, lancée dès le mois de mai, dès le début du retrait des troupes américaines. Les insurgés, qui contrôlaient déjà quelques fiefs, ont rapidement étendu leur mainmise à une grande partie des zones rurales, en particulier au sud-est du pays, leur bastion historique, et au Nord, région qui pourtant leur résiste largement. Les frontières sont largement passées sous leur contrôle malgré les dénégations du pouvoir central. Mais ils avaient arrêté leur avancée aux portes des capitales régionales.
Des capitales provinciales abandonnées sans combattre
Ces villes assiégées ont commencé à tomber il y a moins d'une semaine, à un rythme vertigineux. Zaranj a été la première, vendredi 6 août, selon un scénario qui s'est répété par la suite : les combattants sont entrés dans cette ville frontalière de l'Iran (par laquelle de nombreuses familles avaient fui le pays dans les semaines précédentes) "sans aucune résistance", a reconnu à l'AFP la gouverneure adjointe de la province, Roh Gul Khairzad. "Il n'y a pas de responsables sécuritaires là-bas. (...) La ville était menacée depuis longtemps, mais personne au gouvernement central ne nous a écoutés."
La carte ci-dessous, également créée par le Long War Journal, montre à quel point la situation a empiré une semaine plus tard. Les capitales régionales prises par les talibans y apparaissent sous forme de triangles violet foncé, le violet clair désignant celles qui sont menacées.
Samedi, c'est la ville de Sheberghan, dans le nord du pays, qui est tombée. Une chute symbolique, car elle était défendue par un des chefs de guerre les plus célèbres et craints d'Afghanistan, Abdul Rachid Dostom, ancien vice-président qui avait conclu une alliance précaire avec Ashraf Ghani, l'actuel président afghan. Depuis, il a rejoint une autre ville assiégée du nord, Mazar-i-Sharif, avec les hommes de sa milice.
Dimanche matin, les insurgés ont pris le contrôle d'une première grande ville, Kunduz, localité de près de 270 000 habitants et carrefour stratégique vers le Tadjikistan. Sar-e-Pul et Taloqan ont été perdues dans les heures qui ont suivi. Dans cette dernière ville, un responsable sécuritaire a expliqué à l'AFP que "le gouvernement a échoué à envoyer de l'aide". "Nous nous sommes retirés de la ville", ajoute-t-il.
Des témoignages glaçants
Tandis que Aibak, Pul-e-Khumri, Faizabad (Nord-Est) et Farah (Sud-Ouest) ont cédé à leur tour face à l'offensive talibane lundi et mardi, les responsables américains ont défendu leur décision de quitter le pays, et ont tenté de relancer des pourparlers de paix à Doha, en vain. "Je ne regrette pas ma décision", assurait le président des Etats-Unis Joe Biden mardi à des journalistes. Les Afghans "doivent avoir la volonté de se battre" et "doivent se battre pour eux-mêmes, pour leur nation".
A mesure que les villes tombaient, des milliers d'Afghans ont fui les talibans, leur idéologie et leurs exactions. A Kaboul, dans des camps de fortune, des habitants des quatre coins du pays ont témoigné mercredi des horreurs qu'ils venaient de vivre. "Les talibans ont attrapé un de mes fils par la tête, comme s'il était un mouton, ils l'ont décapité avec un couteau, et ont jeté sa tête. Je ne sais pas si son corps a été mangé par les chiens ou enterré", racontait à l'AFP Abdulmanan, rescapé de la chute de Kunduz.
Quelques heures plus tard, des responsables et soldats préférant rester anonymes ont annoncé à l'AFP que des centaines de soldats retirés près de l'aéroport de Kunduz s'étaient rendus aux talibans, après trois jours de résistance. Dès lors, la tentative du président Ashraf Ghani de redonner confiance à l'armée en effectuant mercredi une visite à Mazar-i-Sharif, grande ville assiégée du nord du pays, s'en est trouvée fragilisée.
La menace se rapproche de Kaboul
Les représentants de Kaboul dans les pourparlers organisés au Qatar ont tenté jeudi une autre approche, en proposant aux talibans de partager le pouvoir en échange d'un arrêt des violences, sans parvenir à trouver un accord.
La journée de jeudi a du reste marqué un nouveau basculement. Les talibans ont pris Hérat, troisième ville du pays, encore une fois sans combattre, et ont "hissé leurs drapeaux partout dans la ville", notamment au-dessus du siège de la police, a raconté un habitant à l'AFP. "Les gens ont été pris par surprise. Nous avons vraiment peur, nous sommes pris au piège, nous ne pouvons même pas quitter la ville en pleine nuit." Dans les villes conquises, les talibans se renforcent en récupérant l'équipement laissé par l'armée afghane, parfois fourni par la communauté internationale.
C'est aussi jeudi que les talibans ont revendiqué la prise de Kandahar, même si aucune source locale n'a pu le confirmer à l'AFP. Dans ce bastion historique qui avait servi de capitale quand ils étaient au pouvoir, les insurgés se sont vantés d'avoir saisi la prison de la ville et libéré des centaines de détenus. Il s'agit d'une des méthodes qu'ils emploient pour gonfler leurs rangs.
La ville de Ghazni a également été perdue jeudi par le pouvoir afghan, bien qu'un porte-parole du ministère de l'Intérieur ait insisté sur la poursuite des combats pour la reprendre. Il a également annoncé l'arrestation du gouverneur de la province, qu'une vidéo à l'authenticité non confirmée avait montré quittant la ville avec la bénédiction des talibans, laissant soupçonner une reddition négociée. Moins vaste que Hérat et Kandahar, Ghazni est en revanche la capitale provinciale la plus proche de Kaboul à avoir été prise par les talibans, à moins de 150 kilomètres. Vendredi, ils se sont encore rapprochés en s'emparant de Pul-e-Alam, à 50 kilomètres du cœur du pouvoir.
Ces avancées ont-elles convaincu la communauté internationale que la chute de Kaboul et du gouvernement afghan était plus proche qu'imaginé ? Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont en tout cas annoncé l'envoi de respectivement 3 000 et 600 soldats en Afghanistan, non pas pour combattre, mais pour sécuriser le rapatriement de leurs ressortissants. Une réunion des ambassadeurs des pays de l'Otan doit avoir lieu vendredi pour discuter des conditions d'évacuation des étrangers. Pendant que les Occidentaux semblent perdre espoir dans la résistance de l'armée afghane, la reddition d'un autre chef de guerre, Ismail Khan, a été annoncée vendredi, tout comme la chute de deux autres capitales, Chaghcharan et Lashkar Gah.
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