Afrique du Sud : trois questions sur les violences qui ont fait 117 morts en une semaine
Manifestations, violences et pillages ont débuté après l'incarcération de l'ancien président sud-africain Jacob Zuma.
La peur de manquer d'essence et de nourriture gagne l'Afrique du Sud, après une semaine de violences. Les pillages et les manifestations ont débuté vendredi 9 juillet, au lendemain de l'incarcération de l'ancien chef de l'Etat Jacob Zuma. Ils se sont ensuite multipliés dans plusieurs villes du pays, sur fond de chômage endémique et de nouvelles restrictions anti-Covid-19, alors que l'Afrique du Sud est durement frappée par une troisième vague. Retour en trois questions sur ces violences qui ont fait au moins 117 morts, selon un bilan communiqué jeudi 15 juillet.
Qu'est-ce qui a déclenché les violences ?
Les premiers incidents ont éclaté au lendemain de l'incarcération de l'ex-président Jacob Zuma, jeudi 8 juillet, pour outrage à la justice. A 79 ans, l'ancien chef de l'Etat, condamné fin juin à 15 mois de prison ferme pour outrage à la justice, traîne de nombreux scandales de corruption. Mais la figure de l'ancien combattant anti-apartheid, "self-made man" ayant gravi tous les échelons, reste populaire et admirée, notamment dans sa région d'origine, le Kwazulu-Natal, dont il incarne les valeurs traditionnelles.
Dans cette région de l'Est, en pays zoulou, des manifestations de mécontentement ont éclaté dès vendredi 9 juillet. Au milieu d'une bonne dose de désinformation relayée sur les réseaux sociaux, quelques destructions notables ont eu lieu : 23 camions de transport ont été incendiés sur la route nationale reliant Durban à Johannesburg, au niveau de Mooi River. Cette route a été bloquée de longues heures à une quinzaine de kilomètres de la prison moderne d'Estcourt, où se trouve l'ex-président. A la colère contre l'emprisonnement de Jacob Zuma se mêle aussi le désespoir économique.
Les raisons des pillages sont essentiellement alimentaires. Les petits boulots et stratégies de survie sont entravés depuis fin juin par les restrictions imposées en raison d'une troisième vague de pandémie meurtrière. Ainsi les pillages ont-ils gagné pendant le week-end plusieurs villes, et notamment la capitale économique et plus grande ville du pays, Johannesburg.
Quelles formes ont pris ces violences ?
Les pillages et les incendies se sont multipliés. La journaliste Nomsa Maseko, qui travaille pour le service de la télévision publique britannique BBC World, a posté le 11 juillet des images d'un centre commercial dévalisé à Durban, la capitale du Kwazulu-Natal.
Inside the mall! pic.twitter.com/N6BBSYsByy
— Nomsa Maseko (@nomsa_maseko) July 11, 2021
Deux jours plus tard, la même journaliste a publié une vidéo d'un immeuble de Durban où des pillards, explique-t-elle, avaient mis le feu après avoir volé des produits dans les commerces du rez-de-chaussée. Du premier étage, une mère lance sa petite fille aux voisins, qui se trouvent dans la rue, et la rattrapent.
[WATCH] Toddler rescued from a fire. Looters started a fire after stealing everything from the shops on the ground floor. They then set fire to the building, affecting apartments upstairs. Neighbours caught the little girl #ShutdownKZN watch @BBCWorld for more pic.twitter.com/LTMTAa7WAz
— Nomsa Maseko (@nomsa_maseko) July 13, 2021
A Johannesburg, lundi matin, des carcasses de voitures brûlées jonchaient les rues du centre. Les télévisions locales ont montré en direct des scènes de commerces dévalisés par des groupes poursuivis par des policiers tirant des balles en caoutchouc pour les disperser.
Dans certains quartiers, les riverains se sont organisés pour assurer eux-mêmes la sécurité de leurs magasins. Ils ont formé des chaînes humaines pour protéger les centres commerciaux, donnant lieu, ici et là, à d'autres scènes de violence, a constaté l'AFP. Les autorités ont néanmoins mis en garde contre toute velléité de se "faire justice soi-même".
Le gouvernement a dénombré 208 incidents impliquant des pillages et du vandalisme, mercredi 14 juillet, alors que 10 000 soldats ont été déployés en renfort des forces de l'ordre.
Quelles sont les conséquences humanitaires et économiques ?
Le pays craint de manquer d'essence et de nourriture. Dès l'aube, mercredi, les files se sont allongées devant les stations-essence et les magasins d'alimentation, notamment à Durban. La veille, la plus grande raffinerie du pays avait fermé son usine du Kwazulu-Natal, qui fournit environ un tiers du carburant consommé dans le pays. Certaines stations sont déjà à sec, d'autres rationnent à la pompe. Des pénuries sont à craindre "dans les prochains jours ou semaines", a prévenu l'association des automobilistes.
Des agriculteurs affirment ne plus pouvoir acheminer leurs marchandises, la principale route et voie de chemin de fer reliant Johannesburg et l'Est étant entravées ou peu sûres. "Nous allons faire face à une crise humanitaire massive", a mis en garde le directeur de la principale organisation agricole AgriSA, Christo van der Rheede. Plusieurs régions pourraient "bientôt manquer de produits de première nécessité", nourriture, carburant et médicaments, à cause des difficultés d'approvisionnement, selon un communiqué du bureau du président, Cyril Ramaphosa.
Autres conséquences : l'arrêt ou le ralentissement des vaccinations dans l'Est du pays. "Nous avons pour l'instant dû suspendre les vaccinations dans le Kwazulu-Natal", a annoncé dans un communiqué le groupe hospitalier privé Netcare mercredi. Par ailleurs, dans un contexte d'épuisement du personnel soignant et d'hôpitaux surchargés, l'accueil des personnes blessées dans les violences "exerce une pression supplémentaire" notamment sur les urgences, ajoute le groupe hospitalier. Pays officiellement le plus touché sur le continent, l'Afrique du Sud compte plus de 2,2 millions de cas et 65 100 décès.
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