Sylvain Savoia fait revivre en bande dessinée l'histoire des "Esclaves oubliés de Tromelin"
L'auteur de BD redonne vie aux esclaves malgaches de cet îlot français perdu dans l’océan Indien. Il transporte le lecteur auprès de ces captifs oubliés qui y ont survécu pendant 15 ans après un naufrage au XVIIIe siècle. Et des archéologues qui ont découvert leurs traces. Il raconte à franceinfo Afrique l'aventure que fut la réalisation de son album.
Comment est née l’idée de l’album ?
"En 2007, j’ai trouvé sur le site du Monde un petit article racontant la première mission archéologique qui avait travaillé à Tromelin l’année précédente. Il contenait nombre d’éléments qui m’intéressaient : l’esclavage pratiqué dans l’océan Indien ; le naufrage du navire L’Utile ; l’île déserte ; l’abandon des esclaves par l’équipage français; les recherches archéologiques. Tout cela faisait écho à mes lectures de jeunesse : Robinson Crusoé de Daniel Defoe, Jules Verne, Alain Bombard... Autant de récits liés à la mer.
Avant cet album, j’en avais déjà réalisé une quarantaine avec un scénariste. Or, à ce moment-là, j’avais envie de faire quelque chose de plus personnel. J’ai alors contacté Max Guérout, co-responsable des fouilles avec Thomas Romon, pour savoir s’il pouvait mettre le résultat de ses recherches à ma disposition. Max, lui-même lecteur de BD, était intéressé. Nous nous sommes rencontrés. Quelques mois plus tard, il m’a proposé d’accompagner son équipe alors que j’étais en vacances en Espagne. J’ai tout de suite dit oui ! Nous sommes partis en octobre 2008 pour une mission dans l’île qui a duré 40 jours."
Comment est venue l’idée du scénario ?
"Au départ, je pensais faire une BD historique. En prenant le parti de me placer du point de vue des esclaves malgaches, sans porter de jugement. Je voulais rester avec eux dans la cale du navire, rester avec eux sur l’île.
Pour autant, j’avais très peur de faire un album exotique et d’aborder les choses avec un regard occidental. De plus, je connaissais très peu la culture malgache. J’ai donc beaucoup lu. Et en 2010, j’ai voyagé à Madagascar pendant un mois. Il s’agissait pour moi de capter l’atmosphère du pays et le vécu des habitants. De rencontrer des gens, de côtoyer leur vie quotidienne, de parler avec eux de leur rapport à la mort. Je voulais aussi étudier leurs gestes, leurs attitudes.
D’une manière générale, l’artiste doit accumuler énormément de matière avant de faire ressortir quelque chose. C’est nécessaire pour replonger dans l’époque."
Pourquoi vous êtes-vous mis en scène dans votre album ?
"'C’est toi qui dois emmener le lecteur dans l’île !', m’a dit mon éditeur. J’étais ainsi le Candide de l’histoire. Ce qui m’intéressait, c’était de me retrouver dans la situation de ces esclaves, sur une île déserte. En allant sur place, on n’est plus dans le fantasme. Tromelin n’a pratiquement pas changé depuis le XVIIIe siècle. Et quand on regarde l’horizon, on est dans la même position que les naufragés. Pour un auteur de BD, c’est rare de pouvoir s’immerger autant dans une histoire. Ce voyage a donné une autre ampleur au projet. Celui-ci est ainsi devenu une vraie aventure !"
"Sur l’île, on est en relation totale avec la nature. On y mène une vie très paisible, qui n’est pas continuellement interrompue par les multiples sollicitations qu’on connaît ici. Une vie très simple, avec la même température quotidienne, où les jours qui passent ressemblent aux précédents. On est hors du temps et de l’espace, comme si l’on était sur une autre planète. Après avoir vécu toutes ces émotions, je pouvais donc ensuite mieux les faire ressentir au lecteur."
Quel rôle ont joué les archéologues ?
"Mon séjour à Tromelin m’a donné envie de raconter l’histoire d'une autre manière que celle que j'avais prévue. Sur place, je me suis rendu compte que sans les archéologues, il n’y aurait pas eu de travail de mémoire, on n’aurait pas pu reconstituer le vécu des esclaves. Ce fut une expérience formidable pour toute l’équipe car on trouvait des choses tous les jours."
"Les fouilles ont permis d’atteindre ce qu’on appelle le "sol d’occupation" sur lequel vivaient les naufragés. On le reconnaît grâce à sa couleur grise liée aux cendres des foyers des naufragés. On y retrouve aussi beaucoup de squelettes d’oiseaux. La découverte de la cuisine a été un moment très fort. Tout était rangé. D’un côté, il y avait de gros plats posés les uns sur les autres. Même chose pour les cuillères et les hameçons, triés selon la taille. Le temps s’était arrêté sur l’île. C’était comme si on avait posé un scellé sur une scène du XVIIIe siècle et qu’on le rouvrait !"
Quand la fiction prend-elle le relais des archives ?
"La fiction devient inévitable au moment de créer de l’interaction entre les personnages. Mais il faut rester connecté à la réalité, c’est-à-dire les rendre vivants, sans pour autant leur donner des émotions et des paroles qu’ils n’avaient pas. C’est là tout le défi ! Et c’est un exercice compliqué qui exige une écriture particulière."
Et le travail de rédaction ?
"L’histoire a été compliquée à écrire. Car il fallait créer deux narrations, deux styles de dessin, de couleur en alternance. D’une part, il s’agissait de raconter les scènes du XVIIIe vues côté malgache, ce qui impliquait un genre classique. Et de l’autre, il y avait l’histoire des fouilles archéologiques qui tendait vers le carnet de voyage."
L’héroïne, Tsimiavo, a-t-elle vraiment existé ?
"Tsimiavo a effectivement existé. C’est d’ailleurs l'unique personne dont on connaisse le nom (qui en malgache signifie 'Celle qui n’est pas orgueilleuse') et qui a survécu avec son bébé de huit mois et sa mère. Son nom nous est parvenu grâce aux archives. Il faut savoir qu’à Tromelin, de nombreux bébés sont morts. Le seul resté en vie est le fils de Tsimiavo. C’est ce qui me frappe le plus : le fait que celle-ci ait pu survivre avec sa famille dans un tel contexte dénote une force psychologique incroyable."
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