Attaques contre des civils, jihadisme, impuissance de l'Etat… Que se passe-t-il dans le centre du Mali ?
Un village malien a été attaqué et incendié, dimanche, par des assaillants qui ont fait 35 morts, dont 24 enfants. Depuis le début de l'année, des tueries sans précédent ont lieu dans cette zone centrale du Mali.
Trente-cinq morts, des maisons incendiées, des animaux abattus… Une attaque a ravagé le village dogon de Sobane Da, dans le centre du Mali, dimanche 9 juin. Selon différents témoignages, plusieurs dizaines d'assaillants à moto ont encerclé cette localité en fin de journée et l'ont incendiée. Equipés d'armes de guerre, ils ont tiré sur les villageois, abattu ou emporté le bétail. L'attaque n'a pas été revendiquée mais les autorités l'ont attribuée à des "terroristes". Franceinfo fait le point sur la situation.
Une hausse des attaques menées sur une base ethnique
Initialement estimé à une centaine de morts, le bilan de l'attaque de Sobane Da s'établit finalement à 35 morts, dont 24 enfants, a annoncé mercredi le gouvernement malien. "Selon les civils, ce sont des hommes armés qui sont venus tirer, piller et brûler. C'est vraiment la désolation", a déclaré dimanche un élu de la commune rurale de Sangha, dont dépend ce village. "Certains ont été égorgés et éventrés, des greniers et du bétail ont été brûlés. Personne n'a été épargné : femmes, enfants et vieilles personnes", raconte un survivant.
Depuis le début de l'année, des tueries sans précédent ont lieu dans cette zone centrale du Mali. Après Koulogon le 1er janvier (37 morts sur place et 2 dans les jours suivants), Ogossagou le 23 mars (au moins 157 morts selon un bilan établi début mai), Sobane Da a à son tour été le théâtre de l'horreur. Les deux premières attaques ont eu lieu dans des villages peuls, tandis que Sobane Da est un village dogon. "Les Dogons sont des agriculteurs vivant sur des falaises (...) les Peuls sont traditionnellement des pasteurs transhumants", explique Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, enseignant à l'Institut national des langues et civilisations orientales, sur le site The Conversation. Cette organisation permet, en théorie, aux deux groupes d'avoir des activités complémentaires et ainsi de cohabiter. Mais depuis le XVIe siècle, cet équilibre a été bouleversé par les différents empires, les sécheresses, la colonisation et le tourisme.
Ce qu’on a vu samedi [23 mars à Ogossagou] est un pogrom et rien d’autre.
Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel à l’université du Kentà "Libération"
Après le putsch de mars 2012 à Bamako, le fonctionnement de l'Etat s'est effondré et les affrontements entre agriculteurs dogons et pasteurs peuls se sont multipliés, à tel point que certains spécialistes qualifient désormais la situation de "nettoyage ethnique", analyse Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel, dans une interview à Libération. Toutefois, il ne s'agit pas de "conflits opposant des civils, mais bel et bien d’attaques menées par des groupes armés constitués sur une base ethnique, à l’encontre de civils, précise Morgane Le Cam, correspondante du Monde à Bamako.
Des conflits pour l'accès aux ressources naturelles
"Ces attaques ont des causes diverses et sont chaque fois différentes : parfois en raison de conflits sur les terres, souvent économiques, poursuit Morgane Le Cam. Le bétail, volé lors des attaques, est une manne financière extraordinaire." Depuis les grandes sécheresses des années 1970 et 1980, les terres sont devenues moins fertiles, et la croissance démographique très forte et le changement climatique ne permettent plus d'équilibrer l'accès aux ressources.
Les agriculteurs et les agro-pasteurs s’en sortent difficilement, mais mieux que les pasteurs. Avec la décimation des troupeaux, les Peuls (pasteurs) chutent encore plus socialement.
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, enseignant à l'Inalcosur "The Conversation"
De plus, les plans agricoles nationaux ont donné la préférence aux agriculteurs dogons, qui occupent désormais des espaces autrefois situés chez les Peuls. "Spécialistes reconnus de l’élevage, [les Peuls] s’occupent des bêtes de leurs voisins, tels les Dogons, dans des relations de nature clientéliste", reprend Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré. Autre conséquence de ces tensions, "les revenus liés aux trafics illégaux (drogues, humains) et au contrôle des routes du trafic attisent les conflits locaux", explique La Croix (article payant).
Une montée du jihadisme et des milices
A ces raisons socio-économiques s'ajoute l'expansion du jihadisme dans le centre du Mali depuis plusieurs années. Au printemps 2012, le nord du pays est tombé sous la coupe de groupes jihadistes, en partie dispersés par une intervention militaire lancée en janvier 2013 à l'initiative de la France. Mais des zones entières échappent toujours au contrôle des forces maliennes, françaises et de l'ONU, malgré la signature en 2015 d'un accord de paix censé les isoler définitivement. En 2015, un groupe jihadiste, la katiba Macina, est apparu dans la région, sous l'égide du prédicateur Amadou Koufa, recrutant prioritairement parmi les Peuls.
"Cette extension jihadiste, à laquelle l’Etat n’a pas su faire face, a encouragé les civils à se constituer en milices pour se protéger. L’amalgame peuls = terroristes a commencé", explique Le Monde. Les attaques, autrefois dues à des conflits fonciers, ont commencé à se produire sur des bases ethniques. "Les groupes d’autodéfense dogons attaquent les Peuls sur la base de leur appartenance ethnique car soupçonnés d’être de mèche avec les terroristes. Les Peuls, eux aussi, se sont mis à se venger."
Dans un communiqué sur le massacre d'Ogossagou publié le 31 mars, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, principale alliance jihadiste du Sahel liée à Al-Qaïda, dont fait partie le groupe d'Amadou Koufa, se présentait d'ailleurs comme le "rempart" des Peuls. A l'opposé, la milice dogon Dan Na Ambassagou, fondée en 2016 par des chasseurs dans le but de "protéger le pays dogon", a mené de nombreuses attaques contre des villages peuls ces douze derniers mois. Elle est également soupçonnée d’être à l’origine des massacres de Koulogon et d’Ogossagou, relève Mediapart.
Des autorités accusées d'inaction
Le gouvernement malien est critiqué pour ne pas faire face à cette spirale meurtrière d’attaques et de représailles. "Dès 2018, il avait annoncé le désarmement général de tous les porteurs d’armes au centre. Une promesse réitérée après le massacre d’Ogossagou, mais dont l’application sur le terrain se fait attendre", précise Morgane Le Cam, du Monde. "Les milices, à tort ou à raison, sont nées pour répondre à un besoin de sécurité des populations qui n'ont plus ou très peu confiance dans l'efficacité des réponses institutionnelles déployées", étaye Baba Dakono, chercheur à l'Institut d'études et de sécurité.
De son côté, l'armée est elle aussi accusée d'inertie. Bien que des soldats étaient postés à une vingtaine de kilomètres de Sobane Da dimanche, ils ne se sont rendus sur place que dans la nuit, après la fin de l'attaque, reprend Mediapart. A Ogossagou, en janvier, ils étaient arrivés sur place quatre heures après le début du massacre. Face à cette situation, la justice peine à suivre. Aucune enquête diligentée après les dernières tueries n'a pour l'heure abouti. "Les actions concrètes se font toujours attendre", regrette le président de l’Association malienne des droits de l'homme (AMDH).
Mardi, les autorités maliennes ont reconnu qu'elles devaient protéger la population et œuvrer à la réconciliation entre communautés. "Ce n'est pas à un cycle de vengeance, de vendetta, que ce pays doit être conduit", a déclaré le président Ibrahim Boubacar Keïta, qui a appelé à des "retrouvailles" entre Maliens. L'ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga avait d'ailleurs présenté le 18 avril la démission de son gouvernement, après une série de manifestations. Les participants accusaient l'exécutif d'incapacité à assurer la protection des populations et de ses propres militaires.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.