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L'argent, nerf de la guerre au Mali ?

La conférence des donateurs pour le Mali, organisée mardi en Ethiopie, n'a pas encore permis de récolter les fonds nécessaires au remplacement de l'armée française par des soldats africains.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le président malien, Dioncounda Traore, et le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, le 29 janvier 2013 à Addis-Abeba (Ethiopie), à l'occasion de la conférence des donateurs pour le Mali. (SIMON MAINA / AFP)

Au lendemain de la libération de Tombouctou et de Gao, le conflit malien entre dans une nouvelle phase. Une étape qui s'ouvre avec la conférence des donateurs pour le Mali, inaugurée mardi 29 janvier à Addis-Abeba, en Ethiopie. Pour financer la coalition de soldats africains censée prendre la place de l'armée française en première ligne, 455 millions de dollars (338 millions d'euros) ont ainsi été promis. Une somme pour l'heure insuffisante pour assurer cette transition militaire coûteuse mais indispensable. L'issue de la guerre au Mali se joue en effet autant dans le désert que dans les tiroirs-caisses des nations.

La France n'a pas les moyens de rester seule au Mali

Laurent Fabius avait hâte que s'ouvre la conférence des donateurs pour le Mali. Au 18e jour de l'opération Serval, la France se sent bien seule, uniquement épaulée par un léger soutien logistique occidental et 2 000 soldats africains peu équipés. Après avoir activement participé à la reconquête de la "Boucle du Niger", l'armée française ne veut plus supporter seule le poids financier d'une guerre pourtant approuvée par la plus grande partie de la communauté internationale.

Difficile pour l'heure de définir le futur coût de l'opération Serval pour Paris. Le 23 janvier, comme le relatait L'Express, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, évoquait une ardoise de 30 millions d'euros. Par ailleurs à Addis-Abeba, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a annoncé un soutien logistique supplémentaire de 47 millions d'euros. Des sommes largement puisables dans les 630 millions d'euros accordés aux opérations extérieures dans le budget de la Défense.

Rien à voir non plus avec les 368 millions qu'a coûté en 2011 l'opération en Libye, où avait été employés un porte-avion et de nombreux chasseurs. Mais au Mali, la transformation des combats change la donne : "Après avoir libéré les villes, il faut les tenir. Ça veut dire checkpoints, ça veut dire contrôles, ça veut dire aussi risque de kamikaze ou d'attentat suicide", selon Dominique Thomas, de l'Institut d'études de l'islam et des sociétés du monde musulman. Un conflit long et difficile s'annonce, synonyme de surcoût impossible à assumer pour la France.

En plus des risques humains et diplomatiques, Paris doit composer avec la réduction des coûts de la Défense française. Le retrait anticipé des troupes françaises d'Afghanistan, décidé par François Hollande, devrait aider. Mais le "Livre blanc" de la Défense, attendu fin février, pourrait annoncer de nouvelles contraintes budgétaires. Impossible pour le président français de se lancer dans une campagne militaire onéreuse.

Sans argent, les armées africaines sont impuissantes

A l'issue de la conférence des donateurs de mardi, comme le détaille Jeune Afrique, 455 millions de dollars ont été promis par la communauté internationale pour financer la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) et aider l'armée malienne à se mettre au niveau. Car, mis à part les redoutés soldats tchadiens, les 8 000 militaires africains attendus au Mali partent de loin. Sous-équipés et mal préparés, ils arrivent au compte-gouttes et ne seraient pour l'heure que 2 000 sur le terrain, faute de logistique suffisante.

Pour permettre à la Misma de remplir sa mission, la Communauté économique des Etats d'Afrique de l’Ouest (Cédéao) revendique un besoin de 960 millions de dollars, soit 713 millions d'euros. Pour l'heure, il manquerait donc plus de la moitié de cette somme. Certains soutiens seront apportés en nature, comme le carburant fourni par la Guinée équatoriale ou l'aide humanitaire promise par le Japon, mais la prospection financière devra continuer. "Nous avons suffisamment de discussions bilatérales [en cours] et nous pensons que nous obtiendrons le montant dont nous avons besoin au cours de l'année", a assuré le président ivoirien, Alassane Ouattara.

Pour le continent africain, ce conflit est inédit. Pour la première fois, l'Union africaine et la Cédéao vont participer au financement d'une force de maintien de la paix, avec respectivement 50 millions et 10 millions de dollars (37 et 7,5 millions d'euros). Mais ces financements sont loin d'être suffisants pour permettre à l'Afrique de protéger seule un de ses pays. L'appui du reste de la planète est toujours indispensable.

La communauté internationale reste frileuse

Malgré les appels à la mobilisation, les autres pays ne se sont pas bousculés pour participer à l'effort de guerre. En Europe, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont notamment refusé de fournir des hommes, même si Londres a annoncé l'envoi de 240 formateurs sur le terrain. Quelques Etats ont également apporté un appui logistique, principalement des avions de transport, mais le soutien financier se limite pour l'heure à 50 millions d'euros promis par l'Union européenne. De son côté, le Japon va investir 88 millions d'euros dans des organisations œuvrant à la stabilisation du Sahel.

La crise économique limite les possibilités de nombreux pays. Le gouffre financier de la guerre en Afghanistan et les récentes promesses de soutien à l'opposition syrienne ont échaudé les ministres du Budget du monde entier. Mais le principal obstacle vient d'Amérique. Comme l'explique le général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset à Atlantico, les Etats-Unis ont du mal à encaisser l'initiative française d'intervenir au Mali. Depuis plusieurs mois, Washington et Paris s'opposent sans retenue sur le dossier malien, les Américains refusant de voir l'ONU participer financièrement à une opération militaire.

Cette participation s'avérera pourtant indispensable pour que l'opération initiée par la France au Mali débouche sur un succès africain. Et cette mobilisation financière devra être d'autant plus rapide que le temps joue pour les jihadistes. En fuite, parfois déchirés, ils n'ont pas encore pu se réorganiser. Mais si le passage de relais à la Misma tarde, la menace islamiste pourrait revenir au Mali.

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