Coup d'Etat au Niger : Il faut "éviter cette escalade militaire" dommageable "pour toute la région", affirme un spécialiste de la défense
"L'objectif est d'éviter cette escalade militaire" qui serait "dommageable pour toute la région", analyse le Général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense Nationale, jeudi 10 août, sur franceinfo, après le déploiement immédiat de la "force d'attente" de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) au Niger pour rétablir dans ses fonctions le président élu du Niger Mohamed Bazoum.
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franceinfo : Que veut dire exactement ce déploiement ?
Jérôme Pellistrandi : Il y a beaucoup d'ambiguïté là-dedans. La Cédéao, depuis 1990, dispose d'un groupe militaire qu'on appelle l'Ecomog et qui a déjà été utilisé à plusieurs reprises dans des opérations de maintien de l'ordre ou de type Casques bleus dans la région. Il s'agit en quelque sorte d'activer un certain nombre de forces de pays volontaires, dont le Nigeria, et ses forces peuvent être mises à disposition pour une opération, et en l'occurrence une opération contre la junte au Niger. Cela veut dire mettre en alerte des forces, les rassembler. Par exemple pour le Sénégal qui pourrait être volontaire, il faut passer par la par voie maritime.
"On est pour le moment dans une pression militaire, sans pour autant que demain matin, il y ait des blindés de la Cédéao qui pénètrent au Niger"
Jérôme Pellistrandi, spécialiste de la défenseà franceinfo
On manie la carotte et le bâton en disant que cette force est en cours de montée en puissance, qu'elle pourrait être disponible pour agir, et de l'autre côté, on veut toujours privilégier la voie diplomatique pour essayer de trouver une solution pacifique et convaincre la junte de revenir en arrière et de ne pas, en quelque sorte, aller vers une fuite en avant qui serait dommageable pour toute la région.
Quelle est la réalité des forces de cette unité militaire? Combien d'hommes peuvent la composer ?
Les chiffres ne sont pas connus. Ce que l'on sait, c'est que la principale puissance est le Nigeria et dispose de près de 200 000 soldats. C'est une armée qui est robuste, bien commandée et bien équipée. Il y a également la Côte d'Ivoire qui dispose de 30 000 militaires, le Sénégal 15 000. Bien entendu, ce ne sera pas la totalité de ces forces qui serait envoyée. Maintenant, l'objectif est d'éviter cette escalade militaire parce que personne n'en sortirait gagnant, que ce soit le Niger ou même les pays membres de la Cédéao. Pour le moment, les grands gagnants, ce sont les groupes armés terroristes qui, eux, profitent de cette opportunité pour étendre leur action terroriste.
A Niamey, la capitale, la junte militaire au pouvoir a réussi à mobiliser une partie de la jeunesse du pays. Si une intervention militaire a lieu, une partie de la population pourrait-elle être hostile aux forces qui interviennent ?
Bien sûr, d'autant plus que la capitale, Niamey, c'est 1,8 million d'habitants. Donc, militairement c'est extrêmement compliqué et ce n'est pas souhaitable. D'où le fait que l'essentiel, ce sont les pressions diplomatiques, sans oublier les sanctions économiques puisque le Niger ne dispose plus de l'électricité fournie par le Nigeria. Donc tout cela va avoir un impact très rapide sur l'économie, sur la population et donc sur l'opinion nigérienne.
Y a-t-il un risque de guerre civile entre les loyaux du président élu et les partisans des putchistes ?
Bien entendu. On sait par exemple que des groupes touareg condamnent le putsch des généraux et souhaitent le rétablissement du président. Donc là aussi, il y a des tensions à l'intérieur du Niger. Il est aussi fort vraisemblable qu'il y ait des tensions au sein même de la junte, entre ceux qui pensent qu'il faut trouver une solution de compromis, et puis les jusqu'au-boutistes qui veulent s'aligner sur ce qui s'est passé à Bamako et au Burkina Faso.
Un potentiel appui militaire de la France à l'intervention de la Cédéao est-elle risquée pour les militaires français sur place ?
Le risque pour les militaires français qui sont là-bas est très restreint parce que ce sont des forces spéciales très bien entraînées. La problématique, c'est ce qui peut advenir suite à un engagement militaire français et la perception par les opinions publiques de la région. En fait, la France ne souhaite pas s'engager militairement, elle soutient la lutte contre les groupes armés terroristes.
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Là, où il faut être extrêmement vigilant, c'est sur les campagnes de désinformation, qui pourraient être d'ailleurs soutenues par le groupe Wagner, qui considèrent que c'est la France qui est responsable de tout ce qui se passe de manière négative. Il y a un devoir de vigilance et même de réaction face à cette propagande souvent dirigée depuis Moscou.
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