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Dominic Ongwen, l'ex-enfant soldat que la justice internationale n'exonère pas

La Cour pénale internationale a reconnu l'ancien chef rebelle coupable de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Pour l'heure, elle n'a pas tenu compte du passé de victime de l'ex-enfant soldat.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'Ougandais Dominic Ongwen, ancien commandant de L'Armée de résistance du Seigneur (ARS, LRA en anglais), à la Cour pénale internationale de La Haye, aux Pays-Bas, le 6 décembre 2016.   (POOL NEW / X80003)

La Cour pénale internationale (CPI) a tranché, du moins en partie, le dilemme apparu avec l'affaire Dominic Ongwen, l'ex-enfant soldat devenu commandant du groupe rebelle ougandais L'Armée de résistance du Seigneur (LRA en anglais). En dépit de son passé de victime, il a été reconnu coupable le 4 février 2021 de 61 crimes de guerre et crimes contre l’humanité sur les 70 dont il était accusé. Ils ont été commis entre le 1er juillet 2002 et le 31 décembre 2005, alors qu'il était commandant de la brigade Sinia au sein de la LRA. Une période pendant laquelle il a aussi recruté et utilisé des enfants soldats. Il a été reconnu coupable "du crime de conscription et d'utilisation d'enfants de moins de 15 ans" dans sa brigade.

Un enfant victime mais un adulte "pleinement responsable" 

Si, explique-t-on à La Haye"les juges ont noté que Dominic Ongwen lui-même avait été enlevé en 1987 à l'âge d'environ 9 ans par l'ARS (l'ancien chef rebelle a déclaré, lui, avoir été enlevé à 14 ans, NDLR)", la CPI a néanmoins estimé qu'il "avait commis ces crimes en tant qu'adulte pleinement responsable" sur une vingtaine d'années. "En outre, la Chambre n’a pas trouvé d’éléments de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle il souffrait d’une maladie ou d’un trouble mental au cours de la période visée dans les charges ou qu’il aurait commis ces crimes sous la contrainte ou sous des menaces."

En d'autres termes, commente le juriste béninois Roland Adjovi, spécialiste du droit pénal international et des droits humains, "le fait que Dominic Ongwen ait été victime lui-même ne peut pas jouer pour déterminer sa responsabilité vis-à-vis des crimes dont on l'accuse"Son statut de victime "n'est pas une clause d'exonération", explique-t-il à franceinfo Afrique, contrairement à la folie qui en est une. 

Néanmoins, la CPI n'a pas totalement fermé la porte sur la prise en compte des "souffrances" de l'ancien enfant soldat né en 1975. "Il serait possible que la Chambre soit amenée à devoir évaluer cela dans un contexte ultérieur", fait-elle savoir.   

"Une circonstance atténuante survient après une condamnation, précise Roland Adjovi. C'est au moment où sera décidée la peine à appliquer à Dominic Ongwen que seront évaluées les conséquences du fait qu'il a été une victime." Les juges tenteront alors de répondre à une question résumée par le juriste : Dominic Ongwen a-t-il été psychologiquement déstabilisé au point de devenir un criminel sans s'en rendre compte, incapable de discerner le bien du mal ? "Dans tous les cas, il faut attendre la décision sur sa peine pour savoir si les juges tiendront compte de cet élément", poursuit Roland Adjovi. Cependant, même si l'on trouve une circonstance atténuante, "je doute qu'elle soit majeure, de nature à réduire sa peine de façon sensible", estime-t-il.

La dimension singulière de l'affaire Ongwen avait été évoquée par la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, dès l'ouverture de son procès le 6 décembre 2016, rappelle le juriste Kjell Anderson dans un article paru dans The Conversation. "La réalité, c'est que les hommes cruels peuvent parfois avoir bon cœur et que les hommes bons peuvent parfois faire preuve de cruauté. Il est rare qu'une personne se comporte toujours de la même façon. Et la figure de la victime qui devient à son tour bourreau n'est pas l'apanage des tribunaux internationaux", avait-elle souligné

"C’est un débat important", confirme le juriste Roland Adjovi, tout en notant que l'on peut désormais avoir une certitude avec la décision de la CPI : "On ne peut plus spéculer sur le sujet (parce que) les juges ont dit que le fait d'être une victime n'empêche pas d'être tenu responsable des crimes commis." Dominic Ongwen, analyse-t-il, "va faire appel et l’un des moyens d’appel reposera certainement sur ce fait". L'ancien chef rebelle a déjà utilisé cet argument. "Une fois victime, toujours victime", avait déclaré en 2018 l'avocat en charge de son équipe de défense Krispus Ayena Odongo, rapporte l'AFP. "Quand la chambre d’appel va trancher, le débat sera alors clos. Mais rien n’empêche que ce dernier refasse surface dans d’autres affaires. Les juges peuvent toujours changer d’avis", prévient Roland Adjovi.

Premier coupable du crime de grossesse forcée

Outre le fait qu'un enfant soldat ait été jugé pour la première fois, le procès de Dominic Ongwen est inédit pour deux autres raisons. L'une d'elle tient au fait que, pour la première fois, la CPI a reconnu un accusé coupable du crime de grossesse forcée apparu en 1998 avec le Statut de Rome, fondateur de la cour internationale. L'ancien commandant de la LRA est ainsi responsable, entre autres, de "crimes sexuels et à caractère sexiste, à savoir, le mariage forcé, la torture, le viol, l'esclavage sexuel, la réduction en esclavage, la grossesse forcée et l'atteinte à la dignité de la personne qu'il a commis contre sept femmes (dont les noms et les histoires individuelles sont précisés dans le jugement) qui ont été enlevées et placées dans son foyer", indique la CPI.

"C'est un événement, note Roland Adjovi, parce que que quand on a voulu inscrire la grossesse forcée dans les textes comme un crime, les Etats religieux comme le Vatican, l'Arabie saoudite ou encore l'Iran se sont solidarisés pour s'y opposer. Pour eux, cela revenait à autoriser de façon implicite l'avortement. Elle a été adoptée avec une clause spéciale indiquant que le fait de la reconnaître comme un crime n'implique pas la légalisation de l'avortement. Sur le plan normatif, l'inscription de ce crime spécifique a conduit à des résistances qui ne sont pas classiques". Et le juriste ajoute : "C'est la première fois qu'une personne est condamnée par la CPI pour ce type de crime, mais le phénomène n'est pas nouveau. On l'a retrouvé dans d'autres circonstances." Par exemple, en Sierra Leone, au Rwanda ou encore en ex-Yougoslavie, mais l'instrument juridique n'existait pas encore. Il servira certainement dans le futur pour les victimes des groupes terroristes comme Daech. 

Dominic Ongwen, qui cumule les premières, est aussi le premier membre de la LRA à être jugé et condamné par la CPI. Il s'était rendu en 2015 aux forces spéciales américaines qui étaient sur la piste de Joseph Kony, le fondateur de la LRA, en République centrafricaine. Dominic Ongwen avait été ensuite transféré à la CPI. Joseph Kony, considéré comme en fuite, fait lui l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI.

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