En a-t-on fini avec la Françafrique ?
Les interventions françaises au Mali et en Centrafrique posent à nouveau la question des relations de la France vis-à-vis du continent africain. Entretien avec Antoine Glaser, journaliste et écrivain spécialiste de l'Afrique.
Lors du sommet de la francophonie en 2012, François Hollande annonçait "la fin de la Françafrique", préférant insister sur "des relations fondées sur le respect, la clarté et la solidarité".
Pourtant, un an plus tard, rien n'a semble-t-il changé. Le mot est sur toutes les lèvres après les interventions au Mali, puis en début de semaine dernière en Centrafrique. Que cache ce concept hérité de la décolonisation ? Que veut-il encore dire aujourd'hui ?
Francetv info s'est penché sur la question avec Antoine Glaser. Ce journaliste, écrivain et spécialiste de l'Afrique, est le coauteur, avec Stephen Smith, du livre Comment la France a perdu l'Afrique (Calmann-Lévy, 2005) et publiera en février Africa France : quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu (Fayard).
Avec la Françafrique, de quoi parle-t-on ?
Antoine Glaser : Ce néologisme peut être compris de deux manières. La première correspond à la vision de celui à qui l'on attribue la paternité de ce terme : Félix Houphouët-Boigny. Comme beaucoup d'autres dirigeants d'Afrique francophone, il fut député français avant de devenir président de la Côte d'Ivoire après la décolonisation. Il croyait à une collaboration étroite avec l'ancienne métropole, à une relation vertueuse, une sorte de communauté de destin.
Mais il y a une face négative, qui correspondant à des liens beaucoup plus incestueux qui se sont tissés au fil du temps et des présidences. La France cooptait des chefs d'Etat francophones et francophiles, puis leur assurait leur stabilité. En contrepartie, ces pays fournissaient des matières premières (pétrole, minerais, etc.) et ne faisaient appel qu'à des entreprises françaises pour de juteux contrats.
Pour bien comprendre ces relations, il faut les replacer dans un contexte de guerre froide. La France devait conserver la main sur cette partie du globe pour assurer son statut de puissance mondiale et contenir l'expansion communiste tout comme celle américaine.
La Centrafrique en est justement un bon exemple...
Lorsque Jean-Bedel Bokassa [décédé en 1996] prend le pouvoir en 1965 en fomentant un coup d'Etat contre son propre cousin, David Dacko, la France ne s'y oppose pas. Il est francophone et surtout francophile. Cet ancien soldat de l'armée française a notamment combattu en Indochine et en Algérie. Valery Giscard d'Estaing et lui s'entendent très bien. Non sur le plan politique, mais en raison du goût prononcé de VGE pour la chasse. Les choses dérapent en 1977, quand le président Bokassa souhaite devenir empereur. Une mascarade à laquelle prend part la France en fournissant notamment les chevaux du carrosse impérial.
Mais progressivement, la France le laisse tomber, et alors qu'il se trouve en Libye en 1979, Paris en profite pour lancer une opération militaire et rétablir l'ancien président Dacko. Ce dernier sera renversé deux ans plus tard par André Kolingba, un proche de François Mitterrand cette fois-ci.
Jusqu'à récemment, la France a toujours avalisé les coups d'Etat, comme 2003 avec l'arrivée de François Bozizé. Jacques Chirac était au courant et a laissé faire. Cet ancien général de Bokassa n'était pas un danger pour les intérêts de la France.
Autre exemple au Tchad où l'intervention a été plus radicale. La France a lâché en 1990 le président Hissène Habré pour laisser Idriss Déby prendre le pouvoir.
Ces relations ne vont que dans un sens ?
Les Africains aiment bien faire croire à la France qu'elle contrôle tout. Mais en fait, ils ont aussi retourné le rapport de force pour servir leurs intérêts. On se souvient notamment de Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la Coopération, remercié par Nicolas Sarkozy en 2008 après un coup de téléphone du président du Gabon, Omar Bongo. La raison ? Jean-Marie Bockel avait osé critiquer la gouvernance de certains pays africains, citant nommément le Gabon.
Historiquement, le soutien de la France ne s'embarrassait pas de considérations démocratiques. C'est de cette image que les responsables politiques français veulent aujourd'hui se défaire.
Pourtant nous continuons d'intervenir...
Oui, car la France est rattrapée par son histoire. Chaque président de la République, qu'il soit de gauche ou de droite, qu'il ait une empathie ou non pour ce continent, doit se frotter à l'Afrique. En matière de diplomatie et de sécurité, la France reste incontournable, notamment en Afrique équatoriale et occidentale. Elle est la seule à avoir conservé autant de bases militaires, ce qui lui permet d'intervenir rapidement. On l'a vu avec le Mali et la Centrafrique.
Elle reste non seulement le gendarme de l'Afrique, mais joue toujours le rôle de porte-parole de ces pays au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Un siège qu'elle doit et qu'elle conserve en partie grâce à ce rôle. Aujourd'hui, la possession de l'arme nucléaire ne suffit plus et le poids économique de la France est faible. Les affaires africaines, qui occupent près de 70% des résolutions et de l'activité des Nations unies, lui permettent d'être écoutée.
Cette diplomatie d'influence offre également à la France un bloc de 15 à 20 voix aux Nations unies, ce qui lui a notamment permis de relancer ses essais nucléaires en 1996. Une stratégie qu'étudient en ce moment les Japonais pour obtenir un jour un siège au Conseil de sécurité.
Mais au niveau économique, la France a largement perdu de son influence.
La vérité, c'est que le monde entier fait la queue dans les salles d'attente des bureaux présidentiels africains. Les délégations se bousculent pour vendre leurs services. On parle souvent de la Chine, du Brésil et de l'Inde, mais il faut aussi compter avec la Turquie, l'Iran et la Corée du Sud. Cette concurrence est normale après des années de monopole Français. Désormais, Paris fait jeu égal au Cameroun et en Côte d'Ivoire avec la Chine qui représente désormais 17 % des échanges commerciaux de ces deux pays. Entre 2000 et 2011, les parts de marché de la France en Afrique se sont effondrées, passant de 10 % à 4,7 %, selon Hubert Védrine.
Les entreprises françaises ont été incapables, à l'issue de la guerre froide, d'inventer autre chose, continuant à travailler "à l'ancienne". Elles restent leader dans le secteur des services, dans les ports, dans les aéroports, dans les télécommunications – grâce notamment à la langue – mais ont perdu la main sur l'exploitation des ressources. Les Chinois ont notamment réouvert les mines découvertes par les Français dans les années 50 par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) !
D'autre part, lorsque les chefs d'Etat africains sont en visite à Paris, ils ne viennent plus forcément rencontrer des officiels français, mais plutôt se voir entre eux, et régler des affaires domestiques.
Certains hommes d'affaires et politiques français continuent pourtant de se rendre en Afrique dans des moments clés. Ça a été le cas juste après l'arrivée au pouvoir du président Djotodia, comme le rapporte Mediapart (article payant).
Ce ne sont que des "queues de comètes". Alors qu'au pire moment de la Françafrique, il y avait de véritables réseaux structurés, il ne s'agit là que d'opportunistes qui tentent du faire du business. Ils ne pèsent plus grand chose. D'ailleurs, cette méthode ne marche pas avec des hommes comme Djotodia, qui est de la nouvelle génération. Originaire du nord du pays, il a davantage de liens avec des pays voisins comme le Soudan plutôt qu'avec la France.
Les interventions militaires s'inscrivent-elles dans un mouvement de reconquête ?
Il y a deux phénomènes. Quand François Hollande se rend au Mali, après l'opération Serval, on a l'impression de retomber dans des relations traditionnelles, avec une forme de paternalisme. Il a pesé sur les affaires de l'Afrique et est intervenu pour repousser le terrorisme. Il s'est donc un peu donc "lâché", confiant même qu'il s'agissait du plus beau jour de sa vie. Il s'est décomplexé. A ce moment-là, il est en mission, il apparaît en libérateur.
Brusquement il réalise, lui qui était jusque-là réticent à intervenir, que c'est sans doute l'un des rares endroits dans le monde où il peut avoir du poids en tant que chef d'Etat et chef de guerre.
Sur le plan économique aussi, le président de la République s'est décomplexé. On ose désormais parler business. Les rapports remis par Jean-Marie Bockel au Sénat, et par Hubert Védrine à Pierre Moscovici, montrent que la France a pris du retard en Afrique. Le chef de l'Etat en a tenu compte en reprenant à son compte l'objectif de créer plus de 200 000 emplois dans l'Hexagone en favorisant les échanges avec l'Afrique. La France se donne les clés pour reprendre l'initiative dans son ancien pré-carré.
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