Haut-Karabakh : ce que l'on sait de la situation dans cette région du Caucase, marquée par une guerre entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie

Trois ans après une précédente guerre, les combats ont brièvement repris dans cette région. Au moins 32 personnes sont mortes et plus de 200 ont été blessées.
Article rédigé par Elise Lambert, Agence AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des manifestants devant les bâtiments du gouvernement à Erevan (Arménie), après la reprise des combats dans le Haut-Karabakh, le 19 septembre 2023. (ALEXANDER PATRIN / TASS / SIPA USA)

Une reprise des combats de courte durée. Les séparatistes arméniens du Haut-Karabakh ont annoncé, mercredi 20 septembre, qu'ils allaient déposer les armes après un accord de cessez-le-feu trouvé sous l'égide de la Russie. La veille, Bakou, la capitale azerbaïdjanaise, avait lancé une offensive militaire dans cette région montagneuse du Caucase, disputée avec l'Arménie.

Peuplé en majorité par des Arméniens, le Haut-Karabakh est reconnu par la communauté internationale comme faisant partie de l'Azerbaïdjan. Mais les séparatistes arméniens veulent la rattacher à l'Arménie depuis trente ans.

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Ces dernières violences ont éclaté trois ans après une précédente guerre, en 2020, qui avait fait plus de 6 500 morts. Elle s'était soldée par la victoire de l'Azerbaïdjan contre la république séparatiste du Haut-Karabakh, alliée à l'Arménie, et à un cessez-le-feu négocié par la Russie. Mais la trêve a toujours été fragile et aucune avancée sur le statut de la région n'a été obtenue. Voici ce que l'on sait de la situation dans cette zone.

L'Azerbaïdjan a lancé des "opérations antiterroristes"

Le 19 septembre au matin, l'Azerbaïdjan a affirmé avoir lancé des "opérations antiterroristes" dans le Haut-Karabakh. L'artillerie et l'aviation azerbaïdjanaises ont bombardé plusieurs villes, dont Khankendi (Stepanakert en arménien), la capitale autoproclamée de la région. "Ils tirent de tous les côtés, avec des drones, de l'artillerie, des mortiers, tout ce qu'ils ont", a témoigné auprès de La Croix le propriétaire d'un café à Khankendi. 

Bakou a justifié cette opération par la mort de quatre policiers et deux civils azerbaïdjanais dans l'explosion de mines sur le site d'un tunnel en construction dans des villes sous contrôle de l'Azerbaïdjan. Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, a accusé un groupe de "saboteurs" d'y avoir posé des engins explosifs. Il a aussi accusé l'armée arménienne d'avoir tiré avec des armes légères vers des positions de l'Azerbaïdjan, et les séparatistes arméniens d'avoir visé via des interférences radioélectriques le système GPS d'un avion de ligne azerbaïdjanais.

Parallèlement, le ministère azerbaïdjanais de la Défense a accusé l'armée arménienne d'avoir blessé deux militaires azerbaïdjanais lors de tirs de mortier et d'armes légères dans le secteur d'Agdam, au nord-est du Karabakh.

Selon Erevan, la capitale arménienne, les combats ont fait au moins 32 morts et plus de 200 blessés. Environ 7 000 habitants ont été évacués. L'Azerbaïdjan a de son côté rapporté que deux civils avaient péri dans les zones sous son contrôle. 

La région traverse une crise humanitaire

Ce regain de violences a éclaté alors que le Haut-Karabakh traverse une crise humanitaire depuis fin 2022. L'Arménie accuse Bakou de bloquer le corridor de Latchine. Cette voie sinueuse, située dans la montagne, relie l'Arménie à Khankendi, et reste cruciale pour approvisionner les Arméniens du Karabakh en vivres ou en électricité, rappelle La Croix. Depuis le cessez-le-feu de 2020, négocié par Moscou, l'axe est géré par des soldats d'une mission de la paix russe. Ils y garantissent, pour cinq ans renouvelables, la libre circulation des biens et des personnes.

Initialement, Bakou avait expliqué les difficultés d'approvisionnement des Arméniens du secteur par la présence de militants écologistes azerbaïdjanais dans le corridor de Latchine. Ceux-ci auraient décidé de bloquer la route pour dénoncer la présence dans le secteur de mines illégales. En avril 2023, l'Azerbaïdjan a ensuite annoncé avoir installé, pour des motifs "sécuritaires", un point de contrôle donnant accès, depuis l'Arménie, à ce corridor stratégique. La branche arménienne de la Croix-Rouge a par la suite rapporté que les livraisons médicales aux hôpitaux du Haut-Karabakh, ainsi que le transport des patients gravement malades, avaient été suspendus via le corridor.

"Les résidents sont en train de mourir, car ils n'ont pas accès aux services de santé", témoignait en juillet un habitant de Khankendi auprès de l'AFP. "Nous ne pouvons acheter que du pain et je ne peux pas imaginer quelles seront nos conditions de vie à l'avenir", déplorait une autre, décrivant des "rayons de magasins vides".

L'ancien procureur de la Cour pénale internationale dénonce un "génocide" de Bakou

La situation est si critique que l'ancien procureur général de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo, estime qu'"un génocide est en cours", dans la région. "La destruction physique des personnes, qui pourrait intervenir dans les mois qui viennent si rien n'est fait, relève d'une autre définition du génocide", expliquait-il auprès de Libération, fin août.

"Il n'est pas nécessaire qu'il y ait des gens qui meurent de faim pour qu'on puisse parler de génocide. Il faut qu'il y ait intention de créer des conditions qui vont mener à ce résultat."

Luis Moreno Ocampo, ancien procureur général de la CPI

à "Libération"

Sur franceinfo, Tigrane Yégavian, professeur de relations internationales à l'université Schiller, estime que, par ce blocus, l'Azerbaïdjan entend aussi créer "un corridor extraterritorial" qui passerait par le sud de l'Arménie. "Ce couloir relierait l'Azerbaïdjan à un territoire qui lui appartient, le Nakhitchevan, qui est adossé à l'Arménie et à la Turquie. Pour les Arméniens, ce serait le début de la fin, parce qu'ils seraient entourés d'ennemis mortels et coupés de la frontière avec l'Iran", observe-t-il.

La région du Haut-Karabakh est disputée entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qui y exerce officiellement sa souveraineté. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Le 13 septembre, Bakou a finalement autorisé le passage d'une aide humanitaire russe sur le corridor de Latchine, avant de déclencher une offensive sur le territoire une semaine plus tard. Le ministère arménien des Affaires étrangères a accusé son adversaire de mener cette "agression" à des fins de "nettoyage ethnique".

La guerre en Ukraine a reconfiguré les alliances dans la zone

La guerre du Haut-Karabakh s'inscrit dans un conflit plus global, dans lequel les puissances régionales, Turquie, Iran et Russie, sont parties prenantes. L'Arménie est historiquement plus proche de la Russie, qui y dispose d'une base militaire. Erevan est membre de l'Organisation du traité de sécurité collective, une alliance politico-militaire dirigée par Moscou. 

Mais lors de la dernière guerre dans la région, en 2020, Moscou s'est dans un premier temps gardé d'intervenir afin de ménager ses liens avec l'Azerbaïdjan, à qui elle livre aussi des armes, rappelle Libération. La Turquie, à l'inverse, s'est engagée contre l'Arménie, ennemi historique, aux côtés des troupes azerbaïdjanaises, rappelle l'émission "Le Dessous des cartes" sur Arte. Ces opérations ont provoqué les critiques des Etats-Unis, de la France, mais aussi de l'Iran.

La guerre en Ukraine est depuis venue rebattre ces alliances. "Le Kremlin n'a ni les ressources, ni la volonté d'aider l'Arménie, et laisse l'Azerbaïdjan et la Turquie poursuivre leurs objectifs", analyse auprès de l'AFP l'analyste indépendant Arkadi Doubnov.

"La Russie affaiblie perd rapidement son influence dans son arrière-cour de l'ère soviétique."

Arkadi Doubnov, analyste indépendant

à l'AFP

Conséquence : l'Arménie accuse la Russie d'inaction et de ne pas réussir à garantir la circulation des biens sur le corridor de Latchine. "Nous constatons que la Russie quitte spontanément la région et nous ne savons pas pourquoi", a dénoncé le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, dans une interview au quotidien italien La Repubblica le 3 septembre.

Erevan s'est donc peu à peu rapproché des pays occidentaux. Le 11 septembre, elle a entamé des exercices militaires communs avec les Etats-Unis, au grand dam de Moscou. Anna Hakobian, l'épouse de Nikol Pachinian, s'est également rendue à Kiev pour participer à une rencontre des conjoints de dirigeants organisée par la femme du président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

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