Cet article date de plus de quatre ans.

Biélorussie : de la présidentielle contestée aux manifestations inédites, on vous raconte la semaine historique qu'a vécue le pays

De nouveaux rassemblements ont lieu samedi et dimanche pour protester contre la réélection du président Alexandre Loukachenko. Le président biélorusse a rejeté samedi une médiation étrangère pour régler la crise.

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Une manifestante brandit l'ancien drapeau de la Biélorussie indépendante lors d'une manifestation contre le président Alexandre Loukachenko à Minsk, le 14 août 2020. (SERGEI GAPON / AFP)

Les jours d'Alexandre Loukachenko à la tête de la Biélorussie sont-ils comptés ? Ou la répression brutale de ses opposants arrivera-t-elle à ses fins ? Près d'une semaine après avoir été proclamé vainqueur, le 9 août, d'une élection présidentielle aux résultats immédiatement contestés par l'opposition et une partie de la communauté internationale, le dirigeant fait face à un mouvement d'une ampleur inattendue et inédite depuis son accession au pouvoir en 1994.

>> Loukachenko va-t-il céder aux manifestants ? Suivez la situation en Biélorussie dans notre direct

Svetlana Tikhanovskaïa, la candidate qui se dressait contre lui, réfugiée en Lituanie depuis mardi, a appelé à organiser de nouveaux rassemblements pacifiques samedi et dimanche. Franceinfo vous résume une semaine de contestation, au terme de laquelle la situation paraît toujours incertaine.

Acte 1 : un scrutin aux résultats immédiatement remis en cause

Dans la soirée de dimanche, peu après la fermeture des bureaux de vote, les autorités affirment par le biais d'un sondage officiel que le président sortant est une nouvelle fois arrivé largement en tête des suffrages, avec près de 80% des voix. Son opposante est alors créditée de 6,8% des voix – ce sera finalement 10,1%, selon les résultats officiels de la commission électorale. L'issue était prévisible : ce n'est pas la première fois que des élections en Biélorussie sont soupçonnées d'être arrangées. "On sait que le chiffre du résultat de la présidentielle est déjà prêt", expliquait à franceinfo un journaliste biélorusse en exil, Andreï Vaitovich, avant le vote. Et le dirigeant autoritaire avait déjà annoncé la couleur. "Nous ne vous donnerons pas le pays", avait-il lancé quelques jours plus tôt à l'adresse de ceux qui espéraient sa chute.

Dimanche soir, Svetlana Tikhanovskaïa, devenue la candidate de l'opposition pour cette élection après l'emprisonnement de plusieurs postulants, dont son mari, a tout de même revendiqué la victoire. "Je crois ce que voient mes yeux et je vois que la majorité est avec nous." Sa campagne avait déclenché une vague d'enthousiasme inédite pour l'opposition en vingt-six ans de pouvoir d'Alexandre Loukachenko, notamment mesurée par l'affluence aux meetings de la candidate.

Acte 2 : des manifestants face à une répression de plus en plus dure

Dès dimanche soir, et la publication de la première estimation officielle des résultats, des milliers de Biélorusses sont descendus dans les rues, et pas uniquement à Minsk, la capitale. Dans un communiqué, le ministère de l'Intérieur biélorusse a lui-même évoqué des rassemblements dans 33 localités du pays, et l'arrestation d'environ 3 000 personnes. Tentant d'ériger des barricades, ces manifestants font face à des tirs de gaz lacrymogène, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc de la part des forces de l'ordre. Mais cette répression ne refroidit pas leurs ardeurs : la contestation se poursuit lundi, puis mardi...

Alors qu'elles avaient démenti les affirmations de l'ONG Viasna, qui annonçait la mort d'un homme renversé par un véhicule de police dimanche, les autorités reconnaissent mardi la mort d'un manifestant à Minsk, dont elles affirment qu'il a été tué la veille par un engin explosif qu'il s'apprêtait à lancer. A Brest, une autre grande ville, frontalière de la Pologne, les policiers tirent à balles réelles sur la foule, ce que le pouvoir admettra le lendemain, affirmant que les policiers n'avaient pas eu d'autre choix pour "protéger leur vie". Mercredi, la police confirme la mort d'un homme placé en détention dans le cadre des manifestations dans la ville de Grodno. Elle affirme que sa santé s'était "subitement dégradée".

Depuis, des témoignages de personnes libérées ont levé le voile sur le sort des détenus : elles disent avoir entassées par dizaines dans des cellules étroites, privées d'eau, de nourriture et de sommeil, battues et torturées. "On m'a frappé très fort à la tête (...), mon dos est couvert de bleus après des coups de matraque. Ils m'ont brûlé les mains avec des cigarettes", raconte par exemple un homme de 25 ans, Maxim Dovjenjko, à l'AFP. Il affirme par ailleurs avoir été arrêté dans la rue alors qu'il ne participait même pas aux manifestations. Une détention arbitraire évoquée par de nombreux autres témoignages, dont celui, éprouvant, d'un journaliste russe détenu 24 heures entre lundi et mardi, publié par Le Soir et Le Monde (lien réservé aux abonnés) : "Les gens étaient allongés, comme un tapis vivant, dans une mare de sang", décrit-il.

Deux hommes détenus après leur arrestation en marge de manifestations en Biélorussie montrent les marques des coups qu'ils disent avoir reçus en détention, à leur sortie de prison à Minsk, le 14 août 2020. (SERGEI GAPON / AFP)

Acte 3 : Svetlana Tikhanovskaïa fuit le pays

Lundi, après une première nuit de contestation dans la rue, l'opposante Svetlana Tikhanovskaïa se rend au siège de la Commission électorale afin d'y déposer une plainte pour "fraude électorale". Là-bas, elle est retenue plusieurs heures. Puis, à sa sortie, devient injoignable par téléphone, alerte son équipe de campagne lundi soir. Où est la candidate ? Elle refait surface mardi matin, quand le ministre des Affaires étrangères lituanien annonce qu'elle se trouve "en sécurité" en Lituanie, pays voisin de la Biélorussie et membre de l'Union européenne. Ses deux enfants avaient déjà été exfiltrés à l'étranger pendant la campagne, dont elle avait repris le flambeau après l'emprisonnement en mai de son mari Sergueï.

Ce départ pour la Lituanie "est une décision que j'ai prise de manière absolument indépendante", explique-t-elle dans un message vidéo publié sur YouTube, tandis que d'autres images la montrent lisant un texte où elle appelle ses soutiens à ne pas "descendre dans la rue". Mais selon ses proches alliés, ses propos ont été enregistrés "sous la pression des forces de sécurité". Le ministre lituanien n'a pas fait mystère du caractère contraint de sa fuite : "L'autre choix n'était visiblement pas compatible avec sa liberté, elle a donc dû se saisir de la possibilité qui lui était offerte de quitter son pays."

Acte 4 : la contestation monte en puissance

La violence des forces de l'ordre et l'exil forcé de leur candidate ne décourage pas les manifestants. Au fil de la semaine, le mouvement s'étend à de nouvelles couches de la société biélorusse, et prend des formes inédites. L'appel à la grève générale, lancé pour mardi, est progressivement suivi dans de nombreux secteurs de l'industrie, telle l'entreprise de fabrication de véhicules Belaz, dont Le Monde explique qu'elle est un des fleurons du pays et "l'un de ces endroits où l'on avait toujours voté pour Loukachenko".

Des manifestants, parmi lesquels des ouvriers d'une fabrique de tracteurs, manifestent à Minsk le 14 août 2020. (VASILY FEDOSENKO / REUTERS)

Jeudi, alors que les autorités se félicitent que les manifestations nocturnes violemment réprimées aient semblé faiblir, des milliers de Biélorusses se réunissent de jour pour former des chaînes humaines à Minsk et dans de nombreuses autres villes du pays. Dans le même temps, les autorités montrent pour la première fois des signes contredisant l'intransigeance affichée jusque-là : plus de 1 000 des 6 700 personnes interpellées les jours précédents sont libérées, et le ministre de l'Intérieur reconnaît que des violences policières ont frappé "des passants" qui ne participaient pas aux manifestations. Des erreurs pour lesquelles il présente ses excuses.

Acte 5 : la communauté internationale tente de peser

Après de premières déclarations appelant à un scrutin libre, puis déplorant le manque de transparence sur les résultats de l'élection présidentielle, plusieurs pays accentuent leurs efforts pour tenter de trouver une issue au mouvement de contestation. Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo, en visite en Europe, appelle ainsi mercredi au respect "des libertés désirées" par les Biélorusses.  Emmanuel Macron, lui, profite d'un échange téléphonique avec Vladimir Poutine pour faire savoir sa "très grande préoccupation" face à la situation.

Les trois pays de l'Union européenne voisins de la Biélorussie – la Lituanie, la Lettonie et la Pologne – vont plus loin en proposant, mercredi, une médiation "pour résoudre la crise", à condition qu'Alexandre Loukachenko accepte la création d'un "conseil national" réunissant des représentants du gouvernement et de la société civile. En parallèle, la Lituanie et la Pologne apportent leur aide aux opposants : le premier pays, qui accueille Svetlana Tikhanovskaïa, propose de soigner les manifestants blessés ; le second facilite l'installation d'opposants biélorusses en Pologne et annonce des fonds pour soutenir les médias et ONG indépendants.

Ils participent aussi à l'initiative de l'UE qui, après une vidéoconférence vendredi, annonce le lancement d'un "processus de sanctions contre les responsables des violences, arrestations et fraudes liées à l'élection".

Acte 6 : un mouvement appelé à continuer

Samedi, toutes les issues semblent encore possibles en Biélorussie. Seule certitude : la contestation n'est pas terminée. Depuis Vilnius, Svetlana Tikhanovskaïa a appelé vendredi "tous les maires" à "se faire les organisateurs les 15 et 16 août de rassemblements pacifiques de masse dans chaque ville". Des milliers de personnes étaient réunies à la mi-journée à Minsk.

De son côté, Alexandre Loukachenko, qui a toujours affiché sa détermination à rester en poste, s'est entretenu avec le président russe Vladimir Poutine, qu'il a appelé à l'aide. "Défendre la Biélorussie, c'est défendre notre espace", celui des Etats qui entourent la Russie, a déclaré le dirigeant biélorusse. Plus laconique, le Kremlin s'est dit, dans un communiqué, "confiant" dans la résolution prochaine de la crise. Peu avant le scrutin, pourtant, Alexandre Loukachenko avait accusé des mercenaires russes d'œuvrer pour aider sa rivale à le renverser. La position de l'imposant voisin russe, ambivalent vis-à-vis du régime de Minsk, jouera peut-être un rôle déterminant dans l'avenir de la Biélorussie. En attendant, Alexandre Loukachenko a rejeté, samedi 15 août, une médiation étrangère pour régler la crise.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.