Traité mondial contre la pollution plastique : on vous explique les enjeux autour des négociations

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
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Des pailles en plastique ramassées par un volontaire sur la plage de Baseco, à Manille, la capitale des Philippines, le 21 septembre 2024. (JAM STA ROSA / AFP)
Un cinquième et dernier cycle de négociations du comité de l'ONU s'ouvre, lundi, à Busan, en Corée du Sud. Un texte fort doit nécessairement entériner la réduction de la production de plastiques à l'échelle mondiale, selon la "coalition de la haute ambition", dont la France fait partie.

La communauté internationale va-t-elle réussir à s'entendre pour lutter contre la pollution plastique ? La question se pose, alors qu'un cinquième et dernier round de discussions s'ouvre à Busan, en Corée du Sud, lundi 25 novembre. A l'occasion de cet événement qui réunit 175 pays, franceinfo vous expose les enjeux de cette ultime session du comité de l'ONU dédié à cette problématique. Le défi à relever est de taille : les plastiques représentent une telle menace pour l'environnement, la biodiversité et la santé humaine que les chercheurs considèrent que la "limite planétaire" relative à la pollution plastique et chimique a été dépassée en 2022.

Deux camps s'opposent : l'un pour freiner la production, l'autre pour la poursuivre

Deux camps se dessinent. D'un côté, les pays qui souhaitent un texte final, juridiquement contraignant, avec une formulation claire et stricte sur la réduction de la production de plastiques à l'échelle mondiale. De l'autre, une grande partie des pays producteurs de pétrole, qui préfèrent des objectifs peu contraignants et un certain flou permettant de produire davantage de plastiques.

La France fait partie de la "coalition de la haute ambition". Derrière cette appellation, on trouve un regroupement de pays qui œuvrent pour mettre fin à la pollution plastique d'ici 2040, exposait le ministère de l'Ecologie en mai 2023. Cette coalition s'est agrandie au fil des mois, passant de 25 pays à une cinquantaine, pour en compter désormais environ 75, évalue auprès de franceinfo le député MoDem Philippe Bolo, membre de la délégation française. Aux côtés de la France, on trouve dans ce groupe coprésidé par la Norvège et le Rwanda des pays comme l'Allemagne, le Sénégal ou encore le Pérou. Tous portent également des objectifs d'usage raisonné des plastiques, de réduction des produits chimiques problématiques ou encore le principe du pollueur-payeur, comme le présente le secrétariat d'Etat chargé de la Mer.

En face, les pays producteurs de pétrole et les compagnies pétrolières voient dans le plastique une voie de reconversion. Car si les énergies fossiles et les moteurs thermiques des véhicules sont remis en question et amenés à perdre du terrain face à l'électrique, les plastiques, eux, ont le vent en poupe. Environ 460 millions de tonnes sont produites aujourd'hui au niveau mondial, soit deux fois plus qu'il y a vingt ans. Et la production risque de tripler d'ici 2060, selon les projections de l'OCDE. Les multinationales du pétrole investissent déjà aux Etats-Unis des dizaines de milliards de dollars en ce sens. Parmi les Etats qui soutiennent cette production se trouvent ceux du Golfe, menés par l'Arabie saoudite, mais aussi la Russie, l'Inde, l'Iran ou encore le Brésil.

Les pays exportateurs de pétrole poussent pour une amélioration du traitement des plastiques

Les pays qui souhaitent réduire la production des plastiques font face au lobbying intensif de ceux qui exportent du pétrole et des entreprises du secteur. L'argumentaire de ces derniers minimise l'impact de la production et met l'accent sur l'ensemble du cycle de vie des plastiques, notamment l'amélioration du ramassage et du recyclage. En réalité, les nations qui souhaitent un texte ambitieux partagent une vision qui englobe déjà cette démarche. Sylvie Lemmet, ambassadrice déléguée à l'Environnement au ministère des Affaires étrangères, avait expliqué, dès 2022, l'axe de réflexion de la "coalition de la haute ambition", avec le principe des "3R : réduire, réutiliser, recycler".

A l'heure actuelle, seuls 9% des plastiques mis en circulation finissent recyclés, selon l'OCDE. Dans ce contexte, le député centriste Philippe Bolo, membre de l'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, estime insuffisant de promouvoir le traitement des plastiques sans réduire leur production. D'autant que la France est en retard dans le traitement de ses déchets plastiques, et a payé 1,5 milliard d'euros d'amende à l'Union européenne pour cette raison en 2023. "Même dans un pays comme la France, où la gestion des déchets est bien mise en place, nous rencontrons des sujets de pollution liée aux plastiques. Alors pour les pays qui ne disposent pas des infrastructures que nous pouvons avoir, c'est encore plus problématique", souligne l'élu du Maine-et-Loire.

Un texte fort doit mentionner une baisse de la production, selon la France et ses alliés

La mesure la plus importante doit concerner la réduction de la production des plastiques, s'accordent à dire à franceinfo plusieurs scientifiques qui font partie de la délégation française à Busan. "Le monde, la nature, les humains, et même nos systèmes financiers n'arriveront pas à absorber la hausse de la production prévue des plastiques, qui, en réalité, est un mur", prévient Fabienne Lagarde, chercheuse en écotoxicologie marine au CNRS. "Tous les modèles montrent que l'on n'arrivera pas à limiter la pollution plastique dans l'environnement si on ne diminue pas la production", confirme Marie-France Dignac, chercheuse à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique, a résumé la position de la France, fin octobre, en marge de la COP16 biodiversité en Colombie : "L'utilisation du plastique, si on ne fait rien, va tripler d'ici 2060 : il ne faut pas avoir fait beaucoup d'études scientifiques pour comprendre que, même en devenant les champions du recyclage et de la collecte de déchets, on ne craquera pas le problème de la pollution plastique si on ne réduit pas l'utilisation et la production de plastique vierge."

Un accord sur un texte est incertain

Les signaux en faveur d'un texte ambitieux ne sont guère encourageants. Alors que la première session de négociations a eu lieu en novembre 2022, la directrice du Programme des Nations unies pour l'environnement, Inger Andersen, a laissé entendre fin septembre que les positions éloignées des uns et des autres l'étaient encore. Même s'"il y a certains domaines où je pense que nous commençons à voir une convergence", a-t-elle glissé en marge de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, près de deux ans après le début des discussions.

L'objectif de réduire la production de plastiques risque d'être abandonné. "L'aspect production va être difficile à intégrer dans le traité, a reconnu auprès de franceinfo Marie-France Dignac, de l'Inrae, en octobre. Il a été mis de côté dans les discussions intersessions parce qu'il était trop bloquant pour certains pays, ce qu'ont regretté d'autres." Une forte incertitude régnait encore quelques jours avant l'ouverture du cycle de Busan. Un texte de 70 pages a été partagé fin octobre aux parties prenantes par le diplomate équatorien Luis Vayas Valdivieso, le président du comité de négociation onusien. Mais ce document, qui doit servir de base de négociations pour cette dernière session, ne convainc ni la France ni ses partenaires.

"Nous avons été déçus par ce papier. Il ne mentionne pas la nécessaire réduction de la production", reconnaît l'entourage de la ministre de la Transition écologique. Ce brouillon évoque la "production durable", une expression jugée trop imprécise par Paris. "La délégation française va se battre à Busan pour obtenir une mention de la réduction, si possible chiffrée. Et si ce n'est pas possible, au moins le principe d'une réduction", assure l'entourage de la ministre. Anticipant des négociations "difficiles", cette source n'écarte pas la possibilité que les pays repartent de Busan sans accord.

"On ne s'interdit pas du tout de refuser un accord qui ne serait pas assez ambitieux sur la réduction de la production, qui est une priorité forte de la France."

L'entourage de la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher

à franceinfo

"Peut-être que le mot 'réduction' peut faire peur", concède la chercheuse Fabienne Lagarde, soutenant qu'il est toutefois nécessaire de "marquer un coup d'inflexion à cette augmentation continue" de la production de plastiques. Du côté du ministère de la Transition écologique, on affiche sa fermeté. Si la "créativité" autour du langage peut être sollicitée lors de négociations internationales, elle a également ses "limites", tonne-t-on. Des observateurs anticipaient il y a quelques semaines une éventuelle session supplémentaire de discussions. Ce scénario reste plausible.

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