Six questions sur le nouveau référendum pour l'indépendance en Catalogne
Les autorités indépendantistes de Catalogne entendent bien organiser dimanche leur référendum d'autodétermination, malgré la répression du gouvernement espagnol qui fait tout pour empêcher le scrutin.
L'Espagne traverse l'une de ses pires crises politiques depuis le retour à la démocratie, après la mort du dictateur Franco en 1975. Les autorités catalanes sont déterminées à organiser un nouveau référendum sur l'indépendance de la Catalogne, dimanche 1er octobre. Un scrutin illégal aux yeux de la justice espagnole et que le gouvernement de Madrid fait tout pour empêcher. Cette consultation à hauts risques soulève bien des questions.
1Pourquoi les Catalans veulent-ils leur indépendance ?
La Catalogne, région de 7,5 millions d'habitants située dans le nord-est de l'Espagne, à la frontière franco-espagnole, dispose déjà d'un statut de communauté autonome. Elle possède son Parlement et son gouvernement avec des compétences étendues. Mais les indépendantistes font valoir que leur région, qui possède sa langue et sa culture, est une "nation" et non une "nationalité" comme le stipule la Constitution espagnole de 1978. Ces éléments justifient selon eux qu'ils disposent de leur propre Etat.
Ils avancent également un argument économique. La Catalogne est la région la plus prospère d'Espagne : elle représentait à elle seule 19% du PIB du pays en 2016, au coude-à-coude avec Madrid. Aux yeux des indépendantistes, elle verse une contribution financière trop élevée à l'Etat espagnol, et son économie serait bien plus vaillante si elle était indépendante.
En novembre 2014, la Catalogne avait organisé une consultation symbolique sur l’indépendance, malgré l’interdiction de la Cour constitutionnelle. Le "oui" avait alors obtenu 80% des votes, mais le scrutin n'avait mobilisé que 33% des inscrits. Cette consultation n'avait aucun poids légal. Entre temps, l'ensemble des partis indépendantistes, de gauche et de droite, ont obtenu une majorité au parlement catalan, lors des élections régionales de l'automne 2015. En juin 2017, le nouveau président catalan, Carles Puigdemont, a donc relancé le débat en annonçant la tenue d'un référendum d'autodétermination le 1er octobre.
2 Ce scrutin est-il légal ?
Madrid considère que le référendum catalan va à l'encontre de la Constitution espagnole, qui énonce que le pays est indivisible. Dès l'adoption par le parlement catalan de la loi organisant le référendum, le gouvernement a saisi la Cour constitutionnelle. Celle-ci a confirmé ce point de vue et ordonné la suspension des préparatifs du référendum, rendant illégale son organisation. En face, Carles Puigdemont insiste sur le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" inscrit dans le droit international.
D'une manière générale, le gouvernement espagnol reproche aux indépendantistes d'alimenter le populisme et de tenter de tirer parti du marasme économique et de la crise politique, alimentée par les nombreuses affaires de corruption qui éclaboussent la famille royale. En laissant la Catalogne organiser un référendum sur la question, Madrid ouvrirait en outre la porte à des scrutins semblables dans d'autres régions traversées par un sentiment indépendantiste. A commencer par le Pays basque.
3Comment Madrid tente d'empêcher le vote ?
Pour contrecarrer le scrutin de dimanche, Madrid a employé la manière forte. La police a reçu l'ordre de saisir toutes les urnes, tous les bulletins et de prendre le contrôle de tous les bureaux de vote, dimanche. Selon le quotidien El Pais (en espagnol), les deux tiers des unités antiémeutes et plus de 10 000 agents des forces de l'ordre ont été déployés en Catalogne, en plus des 16 000 Mossos de la police régionale catalane. Samedi, à la veille du scrutin, 1 300 bureaux de vote ont été mis sous scellés par le gouvernement.
La justice menace de poursuivre tous ceux qui contribueront à l'organisation du vote. De hauts fonctionnaires ont déjà été arrêtés, ce qui a provoqué des manifestations massives dans les rues de Barcelone. Et les sites internet promouvant le référendum sont fermés les uns après les autres.
Les forces de l'ordre ont aussi multiplié les perquisitions. Plus de 12 millions de bulletins de vote ont été saisis dans des entrepôts à proximité de Barcelone, de même que des millions d'enveloppes et de formulaires nécessaires aux votants. Le porte-parole du gouvernement catalan, Jordi Turull, a d'ailleurs encouragé les Catalans "du XXIe siècle" à imprimer les bulletins eux-mêmes.
Intervenidas casi 10 millones de papeletas para el referéndum ilegal suspendido por el Tribunal Constitucionalhttps://t.co/3fmb2dlKey pic.twitter.com/EeLeWyr75q
— Guardia Civil (@guardiacivil) 20 septembre 2017
La police n'a en revanche toujours pas trouvé les urnes. Selon El Mundo, elle soupçonne des livreurs de boulangeries industrielles et de supermarchés de les avoir distribuées. Elles seraient déjà dans les municipalités. Le quotidien affirme également que la police recherche la centrale informatique qui doit collecter les résultats du dépouillement des votes. Celle-ci se trouverait dans les environs de Barcelone. Depuis des semaines, les indépendantistes jouent donc au chat et à la souris avec les autorités pour cacher les urnes et les bulletins. Titi est même devenu leur mascotte.
4Comment le scrutin est-il organisé ?
Le principal enjeu est de savoir si les 5,3 millions d'électeurs habilités à voter par la loi électorale adoptée par la majorité séparatiste au Parlement catalan parviendront à voter. Les listes électorales, censées être transparentes et publiques, n'ont toujours pas été publiées. Vendredi, le porte-parole du gouvernement catalan, Jordi Turull, a assuré qu'il y aurait 2 315 bureaux de vote ouverts. Il devrait y en avoir dans 712 des 948 municipalités catalanes qui ont accepté de participer au scrutin. Parmi les dix plus grandes villes, cinq ont donné leur accord ou annoncé qu'elles le toléreraient : Barcelone, Terrassa, Badalona, Sabadell et Reus. Mais encore faut-il savoir où les bureaux se trouveront.
La liste complète des centres de vote n'a pas été dévoilée. Pour savoir où voter, les électeurs doivent consulter des sites internet et entrer leur numéro de carte d'identité. Or ces sites changent régulièrement, car la justice les fait fermer. Le vice-président du gouvernement catalan, Oriol Junqueras, a indiqué que les électeurs pouvaient obtenir ces informations sur le réseau social chiffré Telegram. Par ailleurs, le gouvernement catalan n'a pas encore expliqué où les électeurs pourraient voter s'ils en sont empêchés par la police.
5Qu'arrivera-t-il en cas de victoire du "oui" ?
Selon plusieurs sondages, il est probable que le "oui" à l'indépendance l'emporte. Une très forte mobilisation des plus de 40% de Catalans favorables à une sécession est attendue. A l'inverse, les partisans du "non" boycottent le scrutin. Dès lors, plusieurs scénarios sont possibles.
Première hypothèse. Le gouvernement catalan proclame l'indépendance de la Catalogne. Pour Rafael Arenas Garcia, professeur de droit à l'Université autonome de Barcelone, joint par l'AFP, cette éventualité contraindrait Madrid à réagir. Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, pourrait appliquer l'article 155 de la Constitution qui l'autorise à suspendre l'autonomie de la Catalogne et prendre le contrôle de sa police. Il pourrait aussi arrêter des dirigeants catalans, tel le président Carles Puigdemont.
Mais l'image de ces personnalités encadrées de policiers risquerait de faire le tour du monde et donnerait aux indépendantistes l'occasion de "passer de la logique de l'indépendance à celle de la défense de la démocratie contre un Etat répressif", assure Gabriel Colome, professeur de sciences politiques à l'Université autonome de Barcelone, contacté par l'AFP.
Deuxième hypothèse. Les dirigeants catalans ne déclarent pas l'indépendance, mais cherchent à tirer profit du résultat via une mobilisation massive dans toute la Catalogne, envisage Gabriel Colome. Une grève prolongée pourrait faire du tort à l'économie espagnole. Des manifestations et des émeutes seraient possibles. Forts de cette action populaire, les indépendantistes "tenteraient de négocier" sur les questions d'autonomie et de financement de la Catalogne, explique le politologue.
Troisième hypothèse. L'indépendance n'est pas proclamée, mais le Parlement catalan est dissous pour organiser de nouvelles élections régionales. Les indépendantistes pourraient alors capitaliser sur les effets de la crise provoquée par l'organisation du référendum et obtenir une plus forte majorité au Parlement régional. Objectif : poursuivre leur lutte pour l'indépendance. D'autant que "leur bras de fer reste dans un cadre qui se veut légal, institutionnel et non violent", note Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste des questions ibériques à l’Iris, dans Le Monde. Par conséquent, "la seule manière de faire baisser les tensions est donc l’ouverture d’un dialogue sans conditions".
6Que se passera-t-il si le "non" l'emporte ?
Ce sera un coup dur pour le mouvement, mais l'indépendantisme imprègne suffisamment la conscience catalane pour qu'elle survive à cet échec. La proportion de Catalans favorables à l'indépendance n'a guère varié ces dernières années. Le 11 septembre, un million de Catalans ont encore défilé pour célébrer la "Diada", leur fête nationale, et manifester leur soutien à la cause indépendantiste. Et selon les estimations, au moins deux millions d'entre eux devraient se rendre aux urnes, si le référendum a bien lieu. Enfin, toute répression brutale du scrutin par Madrid serait de nature à alimenter le sentiment séparatiste.
Reste qu'en cas de défaite au référendum, le gouvernement de Barcelone devrait organiser de nouvelles élections locales. Avec le risque de voir les indépendantistes perdre leur majorité au Parlement de Catalogne.
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