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Royaume-Uni : Brexit, Covid-19, conflit en Ukraine... On fait le bilan de Boris Johnson, après ses trois ans au poste de Premier ministre

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Boris Johnson, après avoir annoncé sa démission devant le 10 Downing Street à Londres (Royaume-Uni), le 7 juillet 2022. (NIKLAS HALLE'N / AFP)

En seulement trois années passées au pouvoir, le "monsieur Brexit" a dû affronter la crise liée au Covid-19 et la guerre en Ukraine. Mais entre gaffes, scandales et coups d'éclat, son action à la tête du Royaume-Uni est jugée "mitigée" par des spécialistes.

"Bye bye, Mr Brexit". Cette fois, c'est vraiment terminé : Boris Johnson quitte officiellement son poste de Premier ministre mardi 6 septembre. Désavoué par les siens en juillet, après de nombreux scandales, l'homme politique conservateur était à la tête d'un gouvernement de transition jusqu'à ce que Liz Truss soit choisi par un vote des électeurs conservateurs lundi et prenne sa place. 

Figure de proue de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (UE), pour laquelle il a largement fait campagne en 2016, l'ancien journaliste avait pris le relais de Theresa May en juillet 2019. Ironie du sort, l'ex-Première ministre conservatrice avait elle aussi été désavouée par son parti, cette fois pour la tenue des négociations avec l'UE. Arrivée au pouvoir de façon triomphale en juillet 2019, la star du Brexit s'est finalement transformée en étoile filante, pour ne passer que trois ans à peine à la tête du pays. Que reste-t-il de Boris Johnson ? Franceinfo fait le bilan.

Un Brexit "done", mais pas terminé

Indissociable du Brexit, Boris Johnson y a consacré une large partie de son court mandat. Il faut dire que depuis son ralliement au camp du "oui", lors de la campagne précédant le référendum sur le Brexit en 2016, l'homme politique est devenu un ardent défenseur d'un Brexit "dur", promettant alors la sortie de l'UE, du marché unique et de l'union douanière. Il fait d'ailleurs partie des pourfendeurs de Theresa May, alors qu'il est ministre des Affaires étrangères, en 2018, lors des négociations avec l'UE. Après la chute de cette dernière, il est choisi par les députés sur une simple promesse : "Get Brexit done", ("Terminer le Brexit"). Promesse qui lui vaudra l'adhésion des Britanniques lors des élections parlementaires en 2019, comme l'explique le Time*.

La promesse a-t-elle été tenue ? "Dans un sens, oui, le Brexit est fini puisque Boris Johnson a réussi à négocier et à entériner un accord avec l'UE, explique à franceinfo Jonathan Portes, professeur d'économie au King's College de Londres. Mais en réalité, le Brexit n'est pas vraiment terminé. D'abord, parce que Boris Johnson a choisi de remettre en cause l'accord sur l'Irlande du Nord avec l'UE, mais aussi parce que les relations de Londres avec Bruxelles vont rester un sujet politique majeur dans les 15 prochaines années."

Le problème, comme le relève Simon Usherwood, professeur de politique internationale à l'Open university, à Milton Keynes, "c'est qu'il n'a jamais été capable de définir précisément ce qu'était le Brexit". Résultat, "il a obtenu un deal en décembre 2020, mais il l'a immédiatement critiqué" et "n'a pas cherché de compromis avec l'UE pour le transformer". "Il a respecté son slogan, mais c'est tout", conclut le chercheur.

Un bilan économique en demi-teinte, marqué par le Covid-19

Le choix d'un Brexit dur, avec notamment l'instauration de barrières douanières entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, a aussi eu un effet durable sur l'économie du pays. Selon une étude de la Resolution Foundation, rapportée par Euronews*, le "Brexit a rendu le Royaume-Uni moins compétitif et rendra les travailleurs plus pauvres dans les dix prochaines années". Pire, le Brexit "est un moteur derrière une inflation plus forte" que dans des pays comparables, rapportait une étude* de l'Institut Peterson d'économie internationale publiée en mai. "Même si le Covid-19 est passé par là, on observe clairement une aggravation de la crise économique Outre-Manche, souligne auprès de franceinfo Claire Breniaux, docteure en civilisation britannique et professeure à l'Université Bourgogne-Franche-Comté. On observe quand même des pénuries, alimentaires et de main-d'œuvre, une augmentation de la pauvreté, il y a eu la crise des poids lourds…"

Rien de surprenant, pour Jonathan Portes, qui considère que "Boris Johnson n'avait pas vraiment de stratégie en matière d'économie", hormis la promesse de faire "gagner un niveau" ("levelling up"*) aux territoires désaffectés du pays, qui n'a "pas eu de résultats". Mais la politique économique du gouvernement Johnson n'a pas connu que des ratés : pour preuve, la réponse à la crise induite par le Covid-19 et les différents confinements. 

"Un soutien massif a été mis en place pour les entreprises et les particuliers, ça a été une grande réussite. D'ailleurs, le Royaume-Uni a été beaucoup plus européen qu'américain sur ce sujet." 

Jonathan Portes, économiste au King's College

à franceinfo

En dehors de ces mesures d'urgence, la gestion par Boris Johnson de la crise sanitaire aura été "mitigée", relève Claire Breniaux : "Il a été très critiqué, notamment au début. Mais la pandémie l'a un peu contraint à prendre des mesures plus à gauche pour soutenir le système de santé. Finalement, son bilan n'est pas si mauvais, notamment au niveau des vaccinations, largement plus haut qu'en France." Dépassé par la crise à ses débuts, le gouvernement a ensuite agi très vite sur l'achat de vaccins, en déployant l'injection d'AstraZeneca dès début 2021.

Des divisions profondes avec les Européens

Au-delà de son action politique, Boris Johnson et ses cheveux blonds décoiffés restera probablement dans les annales pour ses gaffes et son "franc-parler", comme le qualifiait Courrier international. "C'est une personnalité atypique, il se sentait au-dessus des règles", commente Claire Breniaux. Pour preuve, l'accumulation d'affaires, la plus connue étant le "Partygate", l'organisation de soirées à Downing Street en plein confinement. 

"Il a clairement testé les limites de ce qui est acceptable ou non en politique britannique."

Simon Usherwood, professeur en politique internationale

à franceinfo

Ce style iconoclaste a plu, du moins au début, aux Britanniques : il avait remporté haut la main les élections législatives en 2019, alors que Theresa May ne disposait avant lui que d'une majorité relative. La raison se trouve dans la philosophie politique de Boris Johnson, résumée en un mot par Jonathan Portes : le "cakism". "Sa ligne politique était de promettre 'to have a cake and eat it' [en substance, 'avoir le beurre et l'argent du beurre'], que ce soit réaliste ou non", explique le chercheur. Cette attitude, "fanfaronne et clownesque", selon Claire Breniaux, mais aussi intransigeante, a largement détérioré les relations de l'Union européenne avec le Royaume-Uni. L'annonce de sa démission a d'ailleurs peu ému les gouvernements des 27 pays membres, le ministre français de l'Economie française Bruno Le Maire allant jusqu'à déclarer qu'il "ne lui manquerait pas".

Il faut dire que Johnson, sous la pression de l'aile droite de son parti, a été un partenaire peu fiable pour l'Europe. "La relation avec l'UE a été méticuleusement endommagée, souligne Simon Usherwood. Même après l'accord [sur le Brexit], il a continué à blâmer l'UE pour tout et rien, sapant toute la confiance de Bruxelles et des Vingt-Sept". Il a ainsi pris sa part dans les tensions entre Paris et Londres au sujet des quotas de pêche, ou le climat peu serein entourant la redéfinition des accords sur le statut de l'Irlande du Nord et le marché uniqueIl n'y a bien que sur le dossier ukrainien que sa relation avec l'UE n'a pas été tendue. Rapide et intraitable dans sa dénonciation de l'invasion russe et dans l'aide apportée à Kiev, Boris Johnson s'est érigé comme un allié privilégié du président Zelensky. En juillet, des habitants d'Odessa regrettaient même son départ.

"La guerre en Ukraine a aidé les pays européens à se souvenir que le Royaume-Uni peut être utile. La coopération avec l'UE sur les sanctions a été plutôt bonne."

Simon Usherwood, professeur en politique internationale

à franceinfo

Un pays toujours plus déchiré

Sur le plan de la politique intérieure, Boris Johnson laisse un pays profondément divisé. Les dissensions entre les nations britanniques, et notamment entre le Royaume-Uni et l'Ecosse, se sont multipliées depuis 2019. "Il y a une opposition très nette entre les deux chefs de gouvernement, dans le style de gouvernance mais aussi la pratique, souligne Claire Breniaux. D'ailleurs, le refus de Boris Johnson de considérer la possibilité d'organiser un référendum d'indépendance a vraiment marqué les divisions et rendu les indépendantistes plus forts." Résultat, la Première ministre indépendantiste Nicola Sturgeon a eu beau jeu de se poser en "leader responsable" et s'apprête à organiser un référendum, pour l'instant non autorisé, en 2023.

Si l'attitude de Boris Johnson à propos de la guerre en Ukraine est largement partagée par son camp, l'héritage qu'il laisse au Parti conservateur fait moins l'unanimité. "Il a clairement montré que son idéologie politique était bien plus à droite que d'autres dans son parti, notamment en matière d'immigration", souligne Claire Breniaux. Surtout, il laisse en suspens la question du Brexit, qui continue d'obséder les conservateurs. "Le Royaume-Uni est englué dans un drame autocentré sur quoi faire après le Brexit, analyse Simon Usherwood. Deux Premiers ministres se sont cassé les dents sur le sujet."

S'il veut se maintenir au pouvoir, le Parti conservateur devra se réinventer. Un pari loin d'être gagné selon le chercheur, qui relève "l'absence de vision" des Tories. "Il leur a certes permis de gagner largement les dernières élections, mais depuis, les conservateurs ont perdu de nombreuses élections locales et partielles et on voit bien que le parti est en perte de vitesse", souligne Claire Breniaux. Au pouvoir depuis douze ans, les conservateurs "auront du mal à remporter les prochaines élections", estime même Jonathan Portes. 

* Tous les liens suivis d'un astérisque pointent vers des contenus en anglais.

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