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Enquête franceinfo L'oligarque russe Suleyman Kerimov, proche de Poutine et visé par les sanctions européennes, est bien connu de la justice française

Mardi, l'oligarque russe Suleyman Kerimov a été ajouté à la liste des sanctions européennes. Ce proche de Vladimir Poutine est bien connu de la justice française.

Article rédigé par Géraldine Hallot - Abdelhak El Idrissi
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le Russe, Suleyman Kerimov, à Moscou, le 22 janvier 2020. (ILIYA PITALEV / SPUTNIK)

Le 24 février dernier, quelques heures seulement après avoir déclenché la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine réunit 37 oligarques dans la salle Saint-Catherine du Kremlin. Ces proches du chef de l’Etat sont masqués, Covid oblige, et assis sagement sur des chaises espacées les unes des autres. Lors de cette réunion, Vladimir Poutine a rappelé leur “devoir de solidarité” à ces oligarques qui s’inquiétaient des sanctions occidentales à venir.

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Et de fait, nombre d’entre eux ont vu leurs avoirs gelés ou saisis depuis, par les Etats-Unis, l’Union Européenne et le Royaume-Uni. Ils sont aussi persona non grata dans ces pays où ils aiment tant se rendre avec leurs familles. Parmi les derniers oligarques ajoutés à la liste des sanctions européennes, le 15 mars, on retrouve Roman Abramovitch et Suleyman Kerimov.

Quatre propriétés à Antibes qui posent question

On ne présente plus le premier, propriétaire du club de football de Chelsea. Le second est moins connu, quoique. En France, le nom de Kerimov est apparu à l'occasion d'une enquête judiciaire ouverte dans les Alpes-Maritimes notamment pour fraude fiscale en novembre 2014. La justice le suspecte d'avoir acquis, via des sociétés écrans, quatre villas prestigieuses dans le cap d'Antibes. Qui plus est, l’une de ces propriétés, la Villa Hier, a été achetée officiellement pour un prix de 35 millions d’euros. Son prix réel était en fait de 127 millions d’euros. Les 92 millions restants ont été versés sur des comptes des vendeurs en Suisse et auraient rémunéré des intermédiaires sous forme de dessous-de-table.

En novembre 2017, ne se doutant de rien, Suleyman Kerimov est arrêté à la descente de son jet privé à Nice. Son arrestation fait grand bruit et Moscou s’en émeut officiellement. Le chargé d'affaires français à l’ambassade de France à Moscou est convoqué. Dans la foulée de sa garde à vue, l’oligarque est mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale et complicité de fraude fiscale et échappe de peu à la détention provisoire.

Les quatre villas en question ont été achetées entre 2006 et 2010 par des sociétés contrôlées par une holding suisse. Officiellement, c'est un homme d'affaires suisse, Alexander Studhalter, qui en est le bénéficiaire.

Mais d'après des documents judiciaires que la cellule investigation de Radio France a pu consulter, les banques impliquées dans ces achats (Crédit Suisse, Barclays et Société Générale Private Banking à Monaco) ont certifié au juge d’instruction, documents à l'appui, que c'était bien l'oligarque Kerimov qui était le bénéficiaire économique de cette holding et donc le propriétaire des villas. Des éléments confirmés en audition par un salarié de l’une des banques : “lors d'une visite de la [villa] Médy Roc par la Barclay's, monsieur Studhalter nous indique qu'il avait dû refaire trois fois la cuisine car elle déplaisait à madame Kerimov”. Les enquêteurs ont également mis la main sur des mails démontrant l’implication de Suleyman Kerimov dans le fonctionnement des villas.

Une difficile quête de preuves 

Pourtant, Kerimov n’est plus mis en examen depuis janvier 2021. Il a désormais le statut de témoin assisté. Parce que si le lien a été fait entre lui et les villas, difficile de le relier aux 92 millions d'euros dissimulés au fisc. Cela illustre bien la complexité de ces enquêtes, souligne Sara Brimbeuf, de l'ONG Transparency.

"On arrive à savoir précisément avec les preuves dont on dispose que cette personne est propriétaire de trois ou quatre biens immobiliers, mais si on n'arrive pas à prouver que cette personne a commis une infraction préalable, il n'y a aucune raison de saisir ces biens. Et il est très compliqué de prouver l'existence de cette infraction d'origine"

En l’état de l’enquête, l’oligarque russe et le financier suisse pourraient donc échapper à tout procès. L'affaire judiciaire ne vise plus que les vendeurs des villas et de nombreux intermédiaires. Côté acheteurs, la justice a signé en 2020 une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) par laquelle la holding suisse Swiru accepte de payer une amende de 1,4 millions d’euros en plus du redressement fiscal effectué sur la société. Mais cette convention ne cite pas Suleyman Kerimov et son rôle supposé dans le contrôle des sociétés.

Contactés, les avocats de M. Kerimov confirment que leur client “n’est mis en examen dans aucune procédure en France. Il ne fait donc l’objet d’aucune mesure de contrôle judiciaire.”

"Sa mise en examen a été définitivement annulée, car il n’existait pas d’indices graves ou concordants d’un quelconque blanchiment."

Les avocats de Suleyman Kerimov,

à franceinfo

Dans ces affaires qui impliquent les biens immobiliers des oligarques, comme l’ont montré les Pandora Papers, les acheteurs ont souvent recours à des montages très sophistiqués, multipliant les sociétés et les pays. L’affaire Kerimov montre bien les difficultés qui attendent les autorités françaises et européennes, lancées à la recherche des biens détenus par les personnes sanctionnées par l’Union européenne.

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