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Guerre en Ukraine : à quoi ressemble une neutralité façon Autriche ou Suède, réclamée par le Kremlin ?

Mercredi, la Russie a évoqué l'Autriche et la Suède comme des modèles de neutralité à suivre par l'Ukraine pour permettre un compromis. Une hypothèse rejetée par Kiev, qui a dit vouloir que sa sécurité face à la Russie soit garantie par des puissances étrangères.

Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'exprime le 16 mars 2022 à Kiev (Ukraine). (HANDOUT / UKRAINIAN PRESIDENTIAL PRESS SER / AFP)

Le sujet est sur la table. Alors qu'un nouveau round de négociations russo-ukrainiennes est en cours depuis lundi, le Kremlin a présenté l'Autriche et la Suède comme des modèles de neutralité à suivre par l'Ukraine. Une idée rejetée mercredi 16 mars par le négociateur en chef ukrainien, Mykhaïlo Podoliak, qui n'a cependant pas démenti des discussions sur une éventuelle neutralité. Mais que signifie vraiment ce statut ? Franceinfo fait le point.

La neutralité, un statut qui existe dans le droit international

De quoi parle-t-on en évoquant la neutralité ? Il s'agit de "l'effort, pour un Etat, de se tenir à l'écart des conflits impliquant d'autres puissances. Un effort d'échanges de bons procédés entre une promesse de ne soutenir aucune partie en conflit et une demande de ne pas être attaqué, avec l'espoir que cette demande sera respectée", définissait en 2017 Tomas Ries, professeur de sécurité et de stratégie à l'université de Stockholm, dans Le Monde.

Concrètement, les Etats neutres n'adhèrent à aucune alliance militaire, n'ont pas le droit d'intervenir dans des conflits, de prendre parti pour l'un ou l'autre des belligérants ou encore d'abriter des bases militaires étrangères, énumère Laure Gallouët, maîtresse de conférences à l'université Paris-Est Créteil. Le droit de la neutralité est codifié dans les Conventions de La Haye de 1907, définissant les droits et les obligations d'un Etat neutre. Le plus important de ces droits est le droit à l'inviolabilité de son territoire.

On distingue le statut de neutralité de la position de non-alignement qui, elle, "revêt une dimension politique, alors que la neutralité est surtout d'ordre stratégico-militaire", soulignait Sophie Enos-Attali, enseignante-chercheuse à l'Institut catholique de Paris, toujours dans Le Monde.

L'Autriche est neutre dans sa Constitution, contrairement à la Suède

"Lorsque la Russie évoque la neutralité autrichienne, c'est une neutralité permanente ancrée dans le droit, comme en Suisse", explique Laure Gallouët. Le statut neutre de l'Autriche est inscrit dans une loi constitutionnelle de 1955. Elle s'y engage à renoncer à adhérer à toute alliance militaire et à accueillir toute base militaire étrangère sur son sol. Elle ne peut pas non plus envoyer des soldats sur un terrain de guerre, sauf en cas de mandat d'une organisation internationale.

De son côté, la Suède, officiellement non alignée, n'est pas non plus membre de l'Otan. Elle suivait jusqu'à peu une politique de neutralité sans avoir aucune loi sur ce statut, contrairement à l'Autriche. Elle a adhéré à l'Union européenne en même temps que cette dernière, en 1995. "C'est intéressant que la Russie parle du modèle de la Suède car celle-ci a renoncé à sa politique de neutralité", souligne la chercheuse. Dans le cadre de la guerre en Ukraine, la Première ministre suédoise, Magdalena Andersson, s'est d'ailleurs engagée à livrer aux militaires ukrainiens 5 000 lance-roquettes antichars, 5 000 casques et gilets pare-balles, pour un coût total de 40 millions d'euros, en plus de l'aide humanitaire. Une première depuis 1939. 

Alors, de quoi parle le Kremlin lorsqu'il évoque une neutralité façon Autriche ou Suède ? "Conceptuellement, la proposition n'est pas rigoureuse, mais il est assez clair que le modèle de référence de la Russie, c'est la neutralité comme elle existait au temps de la guerre froide, analyse la chercheuse. Elle souhaite que les pays neutres juridiquement le soient aussi politiquement, mais ce n'est pas prévu dans le droit international."

"Ce que recherche la Russie, c'est avoir une zone tampon entre elle et l'Otan."

Laure Gallouët, maîtresse de conférences

pour franceinfo

Un sujet au cœur de pourparlers entre la Russie et l'Ukraine

Des négociations ont été relancées lundi par visioconférence. Selon le porte-parole du Kremlin, les négociateurs discutent d'"un compromis" qui ferait de l'Ukraine un pays neutre. Sans démentir l'existence de discussions sur une neutralité, le négociateur en chef ukrainien a rejeté cette hypothèse et insisté sur des "garanties de sécurité absolues" face à la Russie. "L'Ukraine est maintenant en état de guerre directe avec la Russie. Par conséquent, le modèle ne peut être qu'ukrainien", a-t-il déclaré sur son compte Telegram.

Quels que soient les contours de cette neutralité, elle impliquerait obligatoirement pour l'Ukraine une non-adhésion à l'Otan. Un renoncement plausible puisque, mardi, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a estimé qu'il fallait "reconnaître" que son pays ne rejoindrait jamais l'Alliance atlantique. C'est en condamnant les prétendues velléités expansionnistes de l'alliance militaire occidentale à ses frontières que la Russie a justifié l'invasion de l'Ukraine le 24 février

Les autorités ukrainiennes ont réclamé la désignation de pays garants de sa sécurité et qui la défendraient militairement en cas d'agression par Moscou. Kiev souhaite aussi le retrait de toutes les forces russes et le respect de son intégrité territoriale, mise à mal par l'annexion de la Crimée et la reconnaissance par la Russie de l'indépendance de deux entités séparatistes dans l'est de l'Ukraine.

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