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Reportage "Dites-le que pour vous, c’était super, l’occupation !", dans la région de Kherson, la collaboration avec les Russes déchire les Ukrainiens

Dans le sud de l'Ukraine, tout juste libéré après huit mois et demi d'occupation russe, les habitants de la région de Kherson sont déjà confrontés à des tensions entre ceux qui ont clairement résisté à l’occupant et ceux que l’on soupçonne d’avoir sympathisé avec l’ennemi.

Article rédigé par Agathe Mahuet, Gilles Gallinaro
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Une maison de Kyselivka, village à 10 kilomètres au nord de Kherson (Ukraine). (AGATHE MAHUET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)


Dans ce village de la région de Kherson (Ukraine), dimanche 20 novembre, ces deux femmes discutent entre voisines, en chaussettes dans leurs sandales en plastique, devant la ferme de Vala, qui nous montre la maison d'à côté. "Vous voyez, là ? Juste au coin habite une femme chez qui les soldats russes venaient souvent prendre une douche", explique-t-elle d'un ton plein de sous-entendus. "Ils y étaient bien accueillis !"

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Vala et son mari, habitants de Kyselivka, près de Kherson, en Ukraine, en novembre 2022. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

Le village s'appelle Kyselivka, il se trouve à 10 kilomètres au nord de Kherson. Le village comptait 3 500 habitants avant la guerre. Ils sont désormais un millier, tout au plus. Comment revivre ensemble après la guerre, après huit mois et demi d’occupation russe ? Et quelques jours après le départ des Russes, les langues se délient. "Alors ? Je peux participer au spectacle moi aussi ?" Veste en cuir sur son scooter, un autre voisin, Stanislav, 62 ans, s’arrête et interpelle Vala et sa famille, là encore à renfort de sous-entendus : "Bah ! dites-leur, que pour vous, c’était super, l’occupation !" Il en veut pour preuve des traces au sol : "Regardez par terre, continue Stanislav. Regardez devant quelle maison passait le char !"

C'en est trop pour Vala, excédée d'être à son tour accusée d'avoir hébergé des Russes. "Ils passaient à trois heures du matin. Qu'est-ce que j'aurais dû faire, moi ? Chier dans leur canon ?" La dispute se poursuit, l'homme au scooter se retourne : "Vous voyez, en Ukraine aussi, il y a pas mal d'ordures qui sympathisaient avec les Russes ! Et puis il y avait les héros, qui attendaient les Ukrainiens." 

Stanislav (sur le scooter), habitant de Kyselivka, près de Kherson, en Ukraine, en novembre 2022. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

Stanislav jure n’avoir jamais accepté la pension russe qui lui était offerte, même s’il ne touchait pas non plus sa retraite ukrainienne, faute de facteur pour la lui apporter en territoire occupé.Dans la grande ville de Kherson aussi, la question s’est posée. Devant la Poste, guettant sa réouverture, Natalya reconnaît avoir dit oui à cette pension russe : "Comment on aurait fait sinon ? Il nous fallait bien vivre ! explique-t-elle. Les Russes nous ont tout volé, donc pour moi, c'était normal de toucher cet argent."

"Il faut les livrer aux services secrets"

Ces tensions sont parfois aussi une question de génération. Drapés de bleu et de jaune, Anastasia et Timophy, 26 ans tous les deux, veulent chasser de la ville tous ceux qui ont permis aux Russes de s’installer ici. "Ces gens-là étaient aux commandes de l’administration de Kherson, raconte Anastasia. Ils détruisaient, ils pillaient la ville depuis des années. Il faut les livrer aux services secrets ukrainiens !" En chargeant son portable, près d’un générateur dans une ville sans courant, Timophy, qui est coiffeur, raconte avoir quitté son travail pour ne pas avoir à couper les cheveux d’une certaine clientèle. "Il y avait beaucoup de gens qui soutenaient l’invasion russe ! Beaucoup de collabos et beaucoup de soldats russes qui venaient dans notre salon."

Anastasia et Timophy, habitants de Kherson, en Ukraine, en novembre 2022. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

Les habitants de Kherson pro-Moscou ne courent plus les rues, cet hiver, dans la ville reprise par l’Ukraine. Beaucoup sont partis le mois dernier, quand les Russes ont appelé à évacuer. Mais voilà une chose que Vladimir Poutine aura réussi à faire, assure Anastasia : "Unir les Ukrainiens plus que jamais ! Les gens ont compris que l’Ukraine était un pays indépendant, avec sa propre culture, sa langue. On n'est pas à la botte de la Russie ici : ce n’est pas la Biélorussie !"

Certaines grandes affiches de propagande, pourtant, résistent : "La Russie pour toujours" est-il encore écrit sur d’immenses panneaux. "Il faudrait les déchirer, reconnaît Evguéni, qui fait la queue pour de l’eau potable. Mais on ne peut pas les atteindre. Et ce n’est pas la priorité."

Un panneau affichant "La Russie ici pour toujours !" à Kherson, en Ukraine. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

Evguéni ajoute d'un ton fier : "C’est le torchon sale des Russes. Ça va se désintégrer tout seul !" Même si pour cela, il faudra du temps, comme pour réparer les réseaux bombardés, l’eau, l’électricité… Et soigner les rancœurs, dans Kherson et sa région, après plus de huit mois d’occupation.

Après le départ des Russes de Kherson, des tensions agitent les habitants - Le reportage d'Agathe Mahuet et Gilles Gallinaro

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