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Pologne : "Le gouvernement polonais va agiter la menace de sortie de l'UE, mais il devra trouver une solution au conflit", estime le chercheur Sylvain Kahn

Ce spécialiste des questions européennes décrypte pour franceinfo les tensions entre Varsovie et Bruxelles et l'éventualité d'une sortie de la Pologne de l'Union européenne.

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Des Polonais pro-européens manifestent contre la décision de la cour constitutionnelle polonaise de remettre en cause la primauté du droit européen, le 10 octobre à Varsovie (Pologne). (PIOTR LAPINSKI / NURPHOTO / AFP)

Le ton monte encore entre le gouvernement polonais et l'Union européenne. Le Tribunal constitutionnel polonais a estimé, vendredi 8 octobre, que certains articles du traité de l'Union européenne étaient "incompatibles" avec la Constitution du pays. Une étape de plus dans le bras de fer engagé entre Varsovie et Bruxelles ces derniers mois autour de réformes judiciaires que la Commission européenne conteste. La décision de la plus haute juridiction du pays peut-elle aboutir à un "Polexit", c'est-à-dire une sortie de la Pologne de l'UE ? Entretien avec Sylvain Kahn, enseignant-chercheur en histoire à Sciences Po et spécialiste des questions européennes.

Franceinfo : pourquoi la tension monte-t-elle entre le gouvernement polonais et l'Union européenne ?

Sylvain Kahn : Le Tribunal constitutionnel polonais estime que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ne peut pas s'opposer au droit polonais. Les juges constitutionnels ont rendu une décision qui remet en cause la primauté du droit européen sur le droit polonais. Le Premier ministre, Mateusz Morawiecki [du parti conservateur nationaliste Droit et justice], les avait saisis à la suite de réformes judiciaires contestées par l'Union européenne et l'opposition polonaise, qui considèrent que l'indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs ne sont plus respectées en Pologne.

En quoi cette affaire de primauté du droit européen est-elle importante ?

Depuis que l'Europe existe, depuis le traité de Rome en 1957, tous les pays de l'Union européenne s'accordent sur ce point : le droit européen, donc la Cour de justice de l'Union européenne, qui permet d'arbitrer les conflits, s'impose à tous les Etats dans les domaines dans lesquels l'Europe est compétente. C'est ce qu'on appelle la primauté du droit européen. Elle a été voulue par tous les Etats membres et elle est logique. D'ailleurs, à chaque nouveau traité de l'UE, comme le traité de Maastricht par exemple, le Parlement modifie le droit constitutionnel français pour que le droit européen puisse s'appliquer. Mais aujourd'hui, en Pologne, le Tribunal constitutionnel invite le législateur polonais à ne plus reconnaître la primauté du droit de l'UE. C'est comme si ce pays n'appartenait plus à l'Union européenne. 

Quelle tournure peut prendre ce bras de fer et quelles sont les sanctions envisageables du côté de l'UE ?

Dans le droit européen, il n'est pas prévu d'exclure un Etat membre, mais des sanctions sont possibles lorsqu'un gouvernement national trangresse avec insistance l'ordre juridique européen. Il y a notamment la procédure prévue par l'article 7 du traité sur l'UE, qui permet à la Commission européenne d'ouvrir une enquête pour manquement à l'Etat de droit. Cela peut aboutir à la suspension du droit de vote d'un Etat membre au sein du Conseil européen [l'instance qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement] et au sein du Conseil de l'Union européenne [l'assemblée des Etats qui vote les lois]. Mais cette option est peu probable. La suspension du droit de vote doit être votée à l'unanimité des Etats membres, à l'exception du pays concerné. Comme la Hongrie est également dans le collimateur de l'UE, car le gouvernement de Viktor Orban promeut le népotisme et la corruption, elle ne votera pas des sanctions contre la Pologne.

Les autres possibilités de sanctions, plus probables, sont financières : des amendes ou des suspensions de versements de financements européensLe reste de l'UE peut décider de ne pas verser à la Pologne ses fonds structurels destinés aux régions, ou ses dons du fonds de relance, par exemple. Confrontées à ce risque, des collectivités locales dirigées par le parti au pouvoir ont d'ailleurs abandonné cet été leurs dispositifs discriminatoires de "zones sans idéologie LGBT".

Mais l'Union européenne va surtout procéder à des pressions politiques. L'été dernier, il y a eu un tournant lors de l'Euro de foot lorsque l'UEFA a empêché le stade de Munich d'afficher les couleurs LGBT lors de la rencontre entre l'Allemagne et la Hongrie. Des personnalités, comme la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ou encore 17 ministres des Affaires étrangères, sont intervenues en dénonçant les textes adoptés par le pouvoir hongrois, qui s'en prend aux droits des homosexuels. Il y aura donc avec la Pologne, au-delà du bras de fer juridique, un bras de fer politique.

Y a-t-il, selon vous, un vrai risque de sortie de la Pologne de l'UE ?

Le gouvernement polonais va sans doute aller jusqu'à agiter la menace de sortie de l'UE. Il y aura alors une bronca dans le pays. Des dizaines de milliers de Polonais se sont déjà mobilisés dimanche pour manifester leur attachement à l'Europe et à l'Etat de droit. A la fin, le gouvernement polonais devra trouver une porte de sortie au conflit. Mais ça va probablement durer plusieurs mois.

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