Union européenne : pourquoi le Parlement européen veut empêcher la Hongrie de prendre la présidence du Conseil de l'UE
Un Etat plus tout à fait démocratique peut-il présider l'Union européenne (UE) ? C'est la question qui agite les sphères politiques européennes alors que la Hongrie doit prendre la présidence du Conseil de l'UE en juillet 2024. Le Parlement européen s'est emparé de ce sujet, longtemps tabou, jeudi 1er juin, en adoptant à une large majorité une résolution visant à empêcher le Premier ministre hongrois Viktor Orbàn de prendre les rênes de l'UE, allant jusqu'à menacer le Conseil de "boycott" si les Etats membres n'agissent pas.
Si le sujet interpelle les élus européens, c'est parce que la présidence du Conseil de l'Union européenne, que la France a exercée au premier semestre 2022, est cruciale pour le bon fonctionnement de l'UE. Le Conseil, au sein duquel les ministres des Etats membres débattent de la législation européenne, est présidé à tour de rôle pour six mois par chacun des 27 pays du bloc, qui donnent alors l'impulsion et définissent les priorités. Un rôle incompatible avec une démocratie devenue "illibérale" et jugée trop proche de Moscou, arguent les députés.
Conflit de valeurs
"La Hongrie ne se reconnaît plus dans la définition européenne de la démocratie, de l'Etat de droit et des droits fondamentaux de l'UE", explique l'eurodéputée écologiste Gwendoline Delbos-Corfield, à l'origine de la résolution. La Française s'inquiète notamment de voir "un pays sous le coup de deux procédures de sanction de l'article 7 des traités" diriger l'UE. Ces procédures ont vu la Commission européenne suspendre des milliards d'euros de fonds européens à destination de Budapest pour des manquements en matière de lutte contre la corruption, d'indépendance des médias et de la justice ainsi que d'une loi homophobe.
La question de la suspension de la présidence hongroise est d'abord symbolique. "On ne peut pas laisser la tâche de représenter la démocratie européenne à quelqu'un qui a des propos choquants et qui ne se reconnaît pas dans les valeurs de l'UE", s'alarme Gwendoline Delbos-Corfield. Mais l'inquiétude porte aussi sur l'impact que cette présidence pourrait avoir sur fonctionnement des institutions européennes. "Le gouvernement hongrois remet sans cesse en cause le système et veut l'exploiter pour son propre intérêt. Il utilise tout le pouvoir à sa disposition pour obtenir ce qu'il veut", s'alarme Garvan Walshe, du groupe d'influence European Policy Centre. Ainsi, Budapest a régulièrement bloqué les sanctions de l'UE envers la Russie.
Vers l'adoption de nouvelles règles ?
Preuve que le sujet préoccupe, la résolution a été présentée par cinq des sept groupes politiques de l'hémicycle, le Parti populaire européen, les Socialistes et démocrates, Renew Europe, les Verts et la gauche radicale. Mais l'écriture policée du texte, si elle soulève une inquiétude, ne dessine pas de solution concrète. Faut-il tout bonnement interdire à la Hongrie de prendre la tête de l'UE ? "Les textes européens sont assez peu clairs sur la question et ça n'est pas forcément la solution la plus évidente", juge Gwendoline Delbos-Corfield.
Le traité sur l'UE, qui établit le principe de "rotation égale" entre Etats membres pour cette présidence, ne prévoit pas d'exception à la règle. Il n’est arrivé qu'une fois qu'un pays y déroge : le Royaume-Uni, après le vote sur le Brexit en 2016.
Une des solutions envisageables pourrait être pour le Conseil "de décaler la date de la présidence hongroise à plus tard, tout en respectant l'égalité requise par les traités", analyse Garvan Walshe. Autre option, "l'adoption d'une règle qui empêche un pays de prendre la présidence tournante en cas de procédure ouverte sous l'article 7", détaille le spécialiste. L'allongement "des présidences belge et espagnole de trois mois", proposée par le professeur de droit européen Alberto Alemanno sur Twitter, semble plus difficile à mettre en place.
Une proposition "insensée" selon Budapest
Sur ce chapitre, le rôle du Parlement est limité, car au sujet des présidences tournantes, seul le Conseil peut prendre une décision. La résolution du Parlement intime en tout cas aux Etats de "trouver une solution dès que possible". "Ce qui est important, c'est que l'on discute du sujet, qui était vraiment un tabou il y a quelques mois, et que l'on regarde ce qui peut être fait", souligne Gwendoline Delbos-Corfield.
Le débat irrite la Hongrie, qui a immédiatement dénoncé mardi "la pression politique" du Parlement. La ministre de la Justice, Judit Varga, a ainsi défendu la "bonne foi" de son pays, rejetant une discussion "insensée", rapporte l'AFP. Malgré le rejet hongrois, la proposition semble faire son chemin parmi certains Etats, à la surprise des observateurs. La ministre allemande des Affaires européennes, Anna Lührmann, a ainsi confié mardi avoir "des doutes sur la capacité de la Hongrie à mener à bien sa présidence du Conseil". Même son de cloche du côté du ministre néerlandais des Affaires étrangères, Wopke Hoekstra, qui a fait part de son "inconfort" devant cette perspective.
De quoi faire bouger les autres Etats membres ? "Pour l'instant, il y a une sidération, le sujet était tabou, mais il est désormais à l'ordre du jour, on est passé d'un sujet technique à un sujet politique", veut croire Gwendoline Delbos-Corfield. "C'est une première étape, mais il reste un an avant le début de la présidence hongroise, la pression pourrait retomber", temporise Garvan Walshe. Si rien n'est fait, le Parlement a menacé de "boycotter" certaines réunions, rapporte le site anglophone Politico, notamment les trilogues, pendant lesquels sont négociées les lois européennes entre les institutions. De quoi compliquer grandement le déroulement de la future présidence hongroise.
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