"On croit en eux" : à Naples, malgré son alliance avec la Ligue, le Mouvement 5 étoiles reste porteur d'espoir
Giuseppe Conte, officiellement désigné président du conseil, se retrouve à la tête d'une coalition inédite entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, un parti d'extrême droite.
La pluie tombe sur Naples, un événement climatique plutôt rare en cette saison. Mais si les discussions tournent volontiers autour de la météo, mercredi 23 mai, elles reviennent rapidement à la politique. Giuseppe Conte, inconnu du grand public, doit être officiellement désigné président du conseil dans la journée. Cette nomination intervient après des semaines de négociations entre les anti-système du Mouvement 5 étoiles et la Ligue, anciennement La Ligue du Nord, son allié d'extrême droite.
Au pied du Vésuve, on se réjouit de la nouvelle. Si le M5S a obtenu 30% des voix au niveau national, lors du scrutin législatif du 5 mars, il a enregistré des scores dépassant les 50% dans cette région de Campanie, dont Luigi Di Maio, le leader du parti, est originaire. "Oui, il est d'ici et, mon espoir, c'est qu'il change l'Italie", s'enthousiasme Luigi, rencontré dans les ruelles étroites du quartier Montecalvario, où bat le cœur populaire napolitain.
"Luigi Di Maio sait ce qu'il faut faire"
Ce poissonnier de 22 ans, qui arbore une croix tatouée sur son bras, a placé ses espoirs dans le vote anti-système. Il travaille au noir, comme de nombreux Napolitains, et tient un discours très droitier : "Il y a trop d'immigrés qui ne travaillent pas. Et Luigi Di Maio sait ce qu'il faut faire pour arranger cela."
Il faut dire que le M5S, qui se définit comme "ni de droite ni de gauche", a mené une campagne très offensive sur le sujet. L'immigration illégale est au cœur de l'accord de gouvernement passé entre le M5S et la très droitière Ligue, qui prévoit "une politique efficace de renvois" vers leur pays d'origine des migrants rentrés irrégulièrement en Italie. Au milieu de ses étals de poissons où repose la pêche du jour, vendue entre 6 et 14 euros le kilo, Luigi voit d'un mauvais œil le rapprochement avec le parti de Matteo Salvini. Pour lui, cette alliance fait office de pis-aller.
Je suis contre la Ligue, elle est en Italie depuis longtemps et elle n'a jamais rien résolu. Mais cet accord est le seul moyen d'avoir le pouvoir.
Luigi, poissonnierà franceinfo
"Mezzogiorno" vs régions du Nord
Dans la circonscription de Naples, la Ligue n'a récolté que 2,9% des suffrages. Comment faire accepter aux habitants du Sud l'accord passé avec cet allié ? "Ce n'est pas une alliance", corrige Valeria Ciarambino, conseillère régionale du Mouvement 5 étoiles en Campanie, qui reçoit franceinfo dans son bureau. Elle préfère y voir "un programme partagé entre deux forces politiques qui ont le plus gagné et représentent 17 millions d'Italiens". L'élue se félicite de ce contrat commun dont les points-clés sont la lutte contre la corruption, l'allégement des impôts, le renforcement de la politique sécuritaire ou la création d'un revenu minimum.
Dans ce programme, pourtant, aucune mesure spécifique pour les régions du Sud. "Notre programme propose une vision pour l'ensemble du pays. C'est en cela qu'il répond aux problèmes du Sud, fait valoir Valeria Ciarambino, devant une photo sur laquelle elle pose aux côtés de Luigi Di Maio. Avant, quand on parlait de programmes spécifiques pour le Sud, il s'agissait juste d'effets d'annonce", assure-t-elle.
Les besoins sont pourtant réels : un Napolitain a une espérance de vie inférieure de 4 ans par rapport à celle d'un Florentin et le taux de chômage s'établit à 20% dans le Mezzogiorno (les régions du Sud), contre 7% en moyenne au Nord. "On espère surtout qu'ils apportent du travail pour les jeunes", soufflent Marie-Lourde et Stefania. Entre deux cours à l'université des Beaux-Arts, ces deux étudiantes sont venues se réfugier sous la tonnelle d'une terrasse d'un café, sur la Piazza Dante, au cœur du quartier historique et estudiantin de Naples.
Elles ont toutes les deux voté pour le M5S aux législatives, et saluent "l'innovation" que constitue, à leurs yeux, le nouveau gouvernement à venir. Elles envisagent déjà de quitter leur région après leur diplôme, comme tant d'autres avant elles. En février, le recteur de la prestigieuse université napolitaine Frédéric-II regrettait cette situation dans Libération : "Dans les cinq dernières années, environ 200 000 diplômés de l’université ont émigré." Principalement à l'étranger.
Si on pouvait rester à Naples pour travailler on aimerait. Mais il n'y a vraiment aucune certitude.
Stefania, étudianteà franceinfo
"Redonner confiance aux gens"
Mais reste à faire accepter cette alliance, vue par certains comme le mariage de la carpe et du lapin, aux habitants du Sud alors que la Ligue, parti né de la fusion de mouvements régionalistes, prônait encore il n'y a pas si longtemps l'autonomie des régions du Nord. Son leader, Matteo Salvini entonnait même en 2009 un chant de stade insultant les Napolitains, les accusant de "sentir mauvais". Malgré ses excuses, que rappelle Il Giornale (en italien), des affrontements ont eu lieu à Naples en marge d'une de ses visites, en mars 2017.
"De toutes façons, tout le monde parle toujours mal des Napolitains", balaie, fataliste, Gennaro, agent de nettoyage. Au contraire ce quinquagénaire à la barbe grisonnante accepte sans sourciller l'alliance passée avec le parti honni : "C'est positif, on doit changer la politique et redonner confiance aux gens." Car le discours dégagiste du M5S a fait mouche parmi les Napolitains, et notamment chez les déçus du Parti démocrate, qui n'a récolté que 12,2% des voix (contre 21,8% en 2013 et 30% en 2008). C'est le cas de Marinella, 50 ans. Cette institutrice croisée dans le quartier San Giuseppe, où le Mouvement 5 étoiles a enregistré le score de 48,2%, garde "l'espoir" que le parti "puisse changer les choses pour tout le monde".
Ce n'est plus possible de continuer avec des gens qui ne font rien pour le peuple.
Marinella, institutriceà franceinfo
"Berlusconi ne pense qu'à ses affaires et Renzi ne pense qu'à parler aux banques. Le M5S est un mouvement de rupture", vitupère Antonio devant son café, entre deux aboiements de son compagnon, Whisky. Un discours entendu à maintes reprises, comme chez Dino, coiffeur de 42 ans qui se grille une cigarette devant son salon, en plein quartier espagnol. "Cette alliance avec la Ligue, ça m'embête. Mais elle peut être bénéfique. Et si c'est pour le bien de tout le monde, je l'accepte, confesse-t-il. La Ligue est beaucoup plus dure par rapport à l'immigration et le Nord se porte mieux, alors pourquoi pas ?"
"C'est un laboratoire politique"
D'autres veulent voir dans cette recomposition politique l'avènement d'une nouvelle ère. "Jusque-là, les politiques ne se sont pas intéressés à la classe moyenne qui souffre. Le Mouvement 5 étoiles, on croit en eux", explique ainsi Loredana, mère de famille sans emploi qui attend que sa fille termine son cours de danse. La quadragénaire assure avoir confiance dans le M5S pour améliorer le marché de l'emploi, la retraite minimum ou encore l'accès aux services, dans une région où obtenir un rendez-vous avec un spécialiste dans un hôpital public peut prendre jusqu'à un an.
Dans le quartier chic de Chiaia, le Mouvement 5 étoiles a fait moins d'adeptes que dans les autres contrées de la ville. Le parti de Luigi Di Maio y a tout de même récolté 30% des voix et, ici aussi, le discours anti-système a trouvé un écho. Tatouage de lézard sur le bras, Antonio ne veut pas dire pour qui il a voté à l'élection législative, mais pour lui "il n'y a pas mieux" que cette alliance entre la Ligue et le M5S. "Ce sont les seuls qui peuvent simplifier les choses, alléger la fiscalité, la bureaucratie", affirme cet entrepreneur de 34 ans.
A deux pas de l'emblématique piazza del Plebiscito, Roberto, industriel naval de 62 ans reconnaît "du courage" au Mouvement 5 étoiles, même s'il ne se déplace plus aux urnes.
Cette alliance, pourquoi pas ? Ce sont des forces nouvelles qui essaient de changer les choses.
Roberto, industriel navalà franceinfo
"C'est un laboratoire politique, une expérimentation", abonde Vittorio, professeur à l'université. Le quinquagénaire dit maintenant scruter avec impatience la composition du nouveau gouvernement, appelé en Italie la coalition jaune-verte. Après trois mois d'incertitudes, un nouvel avenir se dessine. Dans les ruelles de Naples, le soleil s'est enfin décidé à percer les nuages.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.