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Une alliance entre les partis d'extrême droite au Parlement européen est-elle possible ?

A une semaine du scrutin, plusieurs leaders nationalistes et populistes européens se réunissent à Milan samedi. Nicolas Lebourg, historien spécialiste de cette famille politique, a répondu aux questions de franceinfo. 

Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Marion Bothorel
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Marine Le Pen et Matteo Salvini lors d'une rencontre au quartier général du syndicat Unione Generale del Lavoro, à Rome (Italie), le 8 octobre 2018. (CHRISTIAN MINELLI / NURPHOTO / AFP)

"Le projet d’alliance des souverainistes s’inspire du rêve européen de saint Jean-Paul II qui reconnaissait la diversité des cultures et des nations", a déclaré Matteo Salvini à Milan, début avril. Le ministre de l'Intérieur et chef de file de la Ligue du Nord avait réuni dans la capitale économique italienne des dirigeants d'autres partis d'extrême droite en Europe : l'Alternative pour l'Allemagne (Afd), les Vrais Finlandais et le Parti populaire danois (DFP). A l'issue de cette réunion, il a annoncé la création d'une famille parlementaire pour les rassembler : l'Alliance européenne des peuples et des nations. Il espère ainsi "former le groupe le plus important du Parlement" européen, à l'issue des élections de fin mai. Samedi 18 mai, Matteo Salvini réunit à nouveau à Milan plusieurs leaders nationalistes et populistes européens, parmi lesquels Marine Le Pen. 

A l'heure actuelle, les partis d'extrême droite qui siègent au Parlement européen sont divisés entre trois groupes parlementaires. Une concorde est-elle envisageable ? Franceinfo a posé la question à Nicolas Lebourg, membre de l'Observatoire des radicalités politiques et coauteur de l'ouvrage Les Droites extrêmes en Europe (Le Seuil, 2015).

Franceinfo. Quels grands courants peut-on identifier parmi les partis d'extrême droite européens ?

Nicolas Lebourg : On peut les diviser en trois ou quatre grandes familles. Il y a les partis nationaux-populistes, que l'on peut qualifier de "classiques", comme le FPÖ en Autriche [fondé par d'ex-nazis en 1956 avant de prendre un tournant libéral] et le Rassemblement national en France. Ils se retrouvent sur la dénonciation d'élites corrompues qui auraient, selon eux, trahi le pays. Ils estiment qu'il faut des dirigeants qui viennent du "vrai peuple" pour restaurer la nation. Le FPÖ est plus libéral économiquement et plus pro-européen que le RN, mais sur les autres sujets, ils ont une grande proximité.

Ensuite, il y a la famille des "néopopulistes", apparue aux Pays-Bas au début des années 2000, qui se distingue de l'extrême droite du XXe siècle. A l'image du Néerlandais Pim Fortuyn [assassiné en 2002], ils défendent les valeurs libérales, acquises par les sociétés européennes au XIXe siècle. Ils assurent vouloir défendre les droits des femmes, les juifs, les homosexuels, contre le "vrai" péril fasciste aujourd'hui qui serait l'islam ou les Arabo-Musulmans. C'est ce que Geert Wilders, le fondateur du Parti pour la liberté néerlandais, a voulu représenter pendant longtemps avant de changer de stratégie et de se tourner vers le national-populisme. Mais ce revirement n'a pas remporté l'adhésion, alors que les Néerlandais avaient l'air d'accrocher à sa proposition néopopuliste initiale : refus de l'"islamisation" et de la société multiculturelle, mais sans les dénoncer avec trop de virulence. Marine Le Pen a essayé en partie d'appliquer cette stratégie en mâtinant le national-populisme hérité de son père du néopopulisme de Geert Wilders.

Enfin, il reste quelques cas qui relèvent de l'extrême droite radicale. Par rapport aux autres familles, celle-ci veut créer un homme nouveau, qui balaie tout le libéralisme du XIXe siècle. On pense au nazisme et au fascisme de l'entre-deux-guerres. Aujourd'hui, les partis qui en sont les plus représentatifs sont Aube dorée, en Grèce, et le Jobbik, en Hongrie.

Quelle place Matteo Salvini occupe-t-il au sein de ces familles d'extrême droite ?

C'est intéressant. Il est arrivé à un national-populisme assez pur sur la question de l'immigration, de la fierté et de l'unité nationale. C'est hallucinant quand on connaît l'histoire de la Ligue, qui opposait Italie du Nord et Italie du Sud. Le ministère de l'Intérieur permet à Matteo Salvini d'avoir un poids et d'être un modèle en Europe. Aujourd'hui, il a damé le pion à Marine Le Pen à l'échelle européenne parce qu'il fait ce dont rêvent tous les dirigeants de partis européens d'extrême droite : pouvoir agir depuis le ministère de l'Intérieur sur les frontières.

Quels sont leurs points communs ?

Aujourd'hui, on observe une certaine convergence. Des partis populistes se sont un petit peu radicalisés sur les questions ethniques ces dernières années. Au départ, l'AfD représentait, par exemple, la droite souverainiste allemande, mais aujourd'hui, le parti s'est durci sur la question ethnique… Et de l'autre côté, il y a une modération d'un certain nombre de radicaux comme les Belges du Vlaams Belang et les Hongrois du Jobbik. Ce parti a mis beaucoup d'eau dans son vin ces dernières années : avant, ses membres avaient des allures de miliciens, un peu paramilitaires. Aujourd'hui, ils sont davantage en costard-cravate !

Le point commun entre les radicaux et les modérés, ce qui mobilise aussi bien les Norvégiens que les Grecs, c'est l'idée que l'actuelle phase de la globalisation est celle d'une "orientalisation de l'Europe". C'est cette idée que développe Marine Le Pen lorsqu'elle fait du textile chinois la menace économique et de "l'islamisation" de la France, la menace culturelle. C'est l'idée centrale, à l'échelle de l'Europe, à laquelle répond l'exacerbation du sentiment communautaire. La présidente du RN fait par exemple référence à la France des années 1950, industrielle, avec la solidarité de classes…

Et quels sont, à l'inverse, les sujets qui les divisent radicalement ?

Il y a davantage de sujets qui opposent les partis d'extrême droite européens que de sujets qui les rassemblent. Par exemple, Marine Le Pen pourrait s'allier avec le parti flamand Vlaams Belang, mais ils ne pourraient pas s'entendre sur les questions de souveraineté. Les Flamands sont contre le retour à l'Etat-nation et prônent davantage une Europe des régions. Or c'est ce que dénonce Marine Le Pen : l'Europe des régions est, selon elle, un complot mondialiste pour détruire la France et les nations.

Si on prend le cas de la France et de l'Espagne, le RN a été un moment allié au Mouvement social républicain [Movimiento Social Republicano, 0,05% des suffrages aux européennes de 2014, dissous le 30 janvier 2018]. Ce parti voulait une Europe euro-asiatique qui incorpore une partie de l'Asie, avec des régions à l'intérieur. Ensuite, le RN s'est allié avec des catalanistes, ce qui est totalement délirant par rapport au point de vue idéologique du parti. Aujourd'hui, il va s'entendre bien plus facilement avec Vox [crédité de 10% d'intentions de vote aux européennes]. Il n'y a aucune cohérence, pour le RN, à nouer des alliances avec ces trois mouvements aux projets européens si différents. Les partis d'extrême droite font de l'opposition à la société multiethnique et multiculturelle leur priorité. La constitution d'une alliance sur le modèle d'une "grande Europe des nations" passe au second plan.

Et puis, il y a une divergence d'ordre économique : Marine Le Pen est beaucoup moins pro-européenne et beaucoup plus interventionniste économiquement que la quasi-totalité des extrêmes droites au Parlement européen. Matteo Salvini s'est allié avec elle sur une critique de l'Europe absolument obsessionnelle. Mais, par exemple, le FPÖ autrichien a toujours eu une dimension européenne classique, sobre, comparable à celle des Républicains. Il est pour un marché européen et pour un minimum de coordination entre les pays d'Europe. Les membres du FPÖ sont d'extrême droite mais considèrent que l'Europe est un instrument pratique.

Ces divisions se retrouvent-elles d'un point de vue géographique ?

Oui. Par exemple, dans toute la partie nord de l'Europe, qui s'étend au-dessus du Danemark, il y a tout un thème anti-fiscalité qui est très important depuis les années 1960, avec une critique de l'Etat-providence qui créerait une "société d'assistés" au détriment des classes moyennes. Plus au sud, dans des pays comme la France ou l'Italie, l'extrême droite va avoir une thématique plus sociale, plus populiste et plus interclassiste.

Il y a aussi la question de "l'hédonisme sécuritaire" [terme du politologue français Gaël Brustier] : aux Pays-Bas, par exemple, l'extrême droite dit très clairement "nous pouvons jouir sans entraves". Ainsi, pour Geert Wilders, l'avenir de l'Occident, ce sont des filles en minijupe et des gens qui dansent sur de la techno jusqu'à 8 heures du matin. Ce n'est pas exactement ce que pensent les post-phalangistes espagnols, comme les membres de Vox, qui s'opposent aux lois contre les violences faites aux femmes. Ils représentent fièrement l'Espagne la plus rétrograde. Ce ne sont même pas des conservateurs, ce sont des réactionnaires.

Et peut-on s'attendre à une alliance aujourd'hui, dans la perspective des élections européennes ?

La question qui va se poser, c'est celle du leadership. Trois personnes peuvent vouloir mettre la main sur les élections européennes. Marine Le Pen a ce projet en tête, même si elle n'est pas tête de liste. Il y a aussi Matteo Salvini, forcément, et le Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Mais qui sait ce qu'il fera après le 26 mai ? Dans quel groupe va-t-il siéger alors qu'il est contesté au sein du Parti populaire européen (PPE) ? Et sur quoi Salvini, Le Pen et Orban peuvent-ils s'entendre ? Ils demandent tous plus de démocratie directe, moins de technocratie, mais cela ne constitue pas un projet clairement défini. Sur de grands enjeux comme l'économie et la monnaie unique, le Rassemblement national a bien du mal à savoir ce qu'il veut.

Toutefois, l'Europe a un argument majeur : l'argent. Créer un groupe au Parlement européen, c'est obtenir des fonds qui permettent ensuite aux partis de faire de la politique interne. Il est donc possible qu'ils parviennent à faire alliance, car c'est dans leur intérêt.

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