Après la mort du chef du Hamas, pourquoi la réponse de l'Iran et de ses alliés inquiète-t-elle au-delà du Proche-Orient ?

Les assassinats d'Ismaïl Haniyeh et de Fouad Chokr, chef militaire du Hezbollah, fin juillet, font plus que jamais craindre à la communauté internationale un embrasement régional du conflit.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Une bannière à l'effigie d'Ismaïl Haniyeh, le chef du Hamas tué fin juillet, flotte à côté d'un drapeau iranien lors de son enterrement à Téhéran, en Iran, le 1er août 2024. (MORTEZA NIKOUBAZL / NURPHOTO / AFP)

Appels à quitter le Liban, renforcement du dispositif militaire américain dans la région, efforts diplomatiques en vue de l'apaisement des tensions… Les inquiétudes face à une escalade militaire au Proche-Orient s'amplifient, lundi 5 août, après la multiplication des menaces de l'Iran et de ses alliés contre Israël.

A l'origine de cette nouvelle hausse des tensions, l'Iran, le mouvement islamiste palestinien Hamas et le Hezbollah libanais ont accusé Israël de la mort du chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, le 31 juillet à Téhéran. Son assassinat est survenu quelques heures après une frappe revendiquée par l'Etat hébreu qui a tué le chef militaire du mouvement libanais Hezbollah, Fouad Chokr, mardi soir près de Beyrouth (Liban).

L'Iran et ses alliés – le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et les rebelles yéménites Houthis – ont juré de riposter à ces assassinats. De son côté, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a affirmé que son pays était prêt à faire face "à l'Iran et ses sbires sur tous les fronts". Alors que l'hypothèse de la régionalisation du conflit entre Israël et le Hamas est plus que jamais d'actualité, franceinfo fait le point sur les raisons de l'inquiétude de la communauté internationale.

Parce que l'Iran a été touché sur son sol

"Pour l'Iran, l'enjeu n'est pas tant la mort d'Ismaïl Haniyeh que le lieu où [la frappe] a eu lieu. Une attaque en plein cœur de Téhéran constitue une humiliation pour le pays, car elle viole sa souveraineté", décryptait début août sur franceinfo David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Pour ce dernier, il y aura "nécessairement une réponse" de l'Iran à l'assassinat du responsable du Hamas, même si sa forme est encore inconnue.

"En matière d'image, l'assassinat d’Ismaïl Haniyeh à Téhéran est pire pour la République islamique que la frappe contre son ambassade à Damas, le 1 avril. Parce qu'il a eu lieu en Iran, de surcroît quelques heures après l’investiture du nouveau président, et qu'il a touché un haut dignitaire du Hamas, abonde dans Le Monde Arman Mahmoudian, chercheur au Global and National Security Institute de l'université de Floride du Sud. Si l'Iran ne répond pas, surtout dans l'hypothèse où une attaque par missile ou au drone se confirme, cela sera interprété comme le signe d’une grande faiblesse."

Parce que l'Iran et ses alliés ont promis de répliquer sévèrement

Les assassinats des responsables du Hamas et du Hezbollah ont fait dire dimanche au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qu'Israël avait franchi des "lignes rouges". Le guide suprême d'Iran Ali Khamenei a, lui, agité dimanche la menace d'un "châtiment sévère". "L'Iran a légalement le droit de punir" Israël, a insisté lundi à Téhéran le porte-parole des Affaires étrangères, Nasser Kanani.

"Le régime sioniste recevra certainement la réponse à ce crime au moment et au lieu appropriés", ont aussi averti les Gardiens de la Révolution, armée idéologique du régime iranien. Les villes israéliennes de Tel-Aviv et Haïfa "font partie des cibles", a affirmé le quotidien iranien ultra-conservateur Kayhan. La représentation de l'Iran auprès de l'ONU a, de son côté, dit s'attendre à ce que le Hezbollah frappe en "profondeur" du territoire israélien, et "ne se limite pas aux cibles militaires".

Pour autant, il est probable que l'Iran mesure l'importance de sa réplique plus que ses paroles ne peuvent le laisser croire. "Téhéran ne veut pas susciter de grandes tensions avec les Etats-Unis, ce qui pourrait faciliter l'élection de Donald Trump", qui ne cache pas sa volonté de sévérité vis-à-vis du régime iranien, rappelle auprès du Monde Arman Mahmoudian.

Parce que les tensions avec Israël étaient déjà vives

Les morts d'Ismaïl Haniyeh et de Fouad Chokr interviennent alors que les tensions dans la région étaient déjà vives depuis plusieurs mois. En avril, après un raid meurtrier contre un bâtiment diplomatique iranien en Syrie, également imputé à Israël, Téhéran avait notamment mené une attaque inédite sur le sol israélien. "Plus de 300 drones et missiles" avaient été lancés, et presque tous interceptés, selon l'armée israélienne. 

La guerre à Gaza a par ailleurs entraîné l'ouverture de fronts contre Israël par le Hezbollah libanais et les Houthis yéménites. Samedi, le Hezbollah a affirmé avoir pour la première fois ciblé la ville de Beit Hillel dans le nord d'Israël avec des dizaines de roquettes, tandis que l'armée israélienne a riposté par des frappes dans le sud du Liban. Près de Tel-Aviv, dans la banlieue de Holon, une attaque au couteau menée dimanche par un habitant de Cisjordanie occupée a tué une femme de 66 ans et un octogénaire, selon la police.

Israël s'est dit prêt, ces derniers mois, à une guerre plus large, notamment avec le Liban. Dès avril, le ministre des Affaires étrangères israélien, Israël Katz, a estimé que son pays approchait "d'une guerre ouverte". Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a de son côté déclaré, en marge des funérailles de Fouad Chokr, le 1er août, que "la guerre [était] entrée dans une nouvelle étape", rapporte le média en ligne Orient XXI

Parce que Benyamin Nétanyahou joue sa survie politique

"Nous sommes déterminés à nous opposer" à l'Iran et ses alliés "sur tous les fronts, dans toutes les arènes, proches ou lointaines", a martelé dimanche le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, confronté à une baisse de popularité depuis le début de la guerre contre le Hamas. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant a aussi affirmé dimanche que l'armée était "prête à réagir rapidement ou à attaquer". Mais "pour l'instant", la politique de défense intérieure "n'a pas changé", a déclaré à la presse le porte-parole de l'armée, le contre-amiral Daniel Hagari, en réponse aux "rumeurs" sur la mise en alerte du pays.

Néanmoins, si une riposte de l'Iran et de ses alliés "devait faire des victimes en Israël, il y a de vrais risques qu'Israël se lance dans une fuite en avant et saisisse l'occasion pour régler son compte ou tenter de régler son compte aux milices pro-iraniennes dans la région", estime sur franceinfo Karim Emile Bitar, professeur à l'université Saint-Joseph de Beyrouth et chercheur associé à l'Iris.

"Il est à craindre que Benyamin Nétanyahou ne profite de ce créneau (...) pour assurer sa propre survie politique et changer les équilibres de forces géopolitiques avant que le successeur de Joe Biden ne soit connu."

Karim Emile Bitar, chercheur associé à l'Iris

sur franceinfo

En effet, "les Etats-Unis sont le seul pays capable d'inciter Israël à la retenue, en imposant une conditionnalité à l'aide américaine". Or, "à deux mois des élections, on voit mal les Etats-Unis changer de politique" vis-à-vis de leur allié israélien, estime Karim Emile Bitar. Le Pentagone a d'ailleurs annoncé vendredi que les Etats-Unis allaient déployer davantage de navires de guerre et d'avions de combat pour protéger leur allié d'une éventuelle attaque.

Le chercheur rappelle par ailleurs que "le traumatisme en Israël" après les attaques du 7 octobre "demeure extrêmement fort", et ne permet pas aux "conseils des alliés des Israéliens comme l'Amérique et l'Europe" de se faire suffisamment entendre face "au jusqu'au-boutisme d'une grande partie du cabinet de guerre".

Parce qu'une nouvelle escalade pourrait enterrer l'espoir d'une trêve à Gaza

L'assassinat du chef du Hamas et la crainte d'un embrasement régional compromettent les pourparlers en vue d'une trêve dans la guerre qui fait rage à Gaza depuis bientôt dix mois. Depuis l'attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien contre Israël le 7 octobre, le Qatar a joué un rôle de médiateur clé auprès du Hamas. Mais quelques heures après l'assassinat de Ismaïl Haniyeh, Doha s'est interrogée sur l'opportunité de continuer ses efforts. "Comment une médiation peut-elle réussir lorsqu'une partie assassine le négociateur de l'autre partie ?", a déclaré le Premier ministre qatari, Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani.

Par ailleurs, Ismaïl Haniyeh jouait un rôle crucial dans les discussions avec les médiateurs au Qatar, où le bureau politique du Hamas est installé depuis 2012. L'ex-chef du Hamas était "capable de débloquer certaines des difficultés au cours du processus de médiation et cela pourrait certainement être un atout perdu avec son assassinat", estime Andreas Krieg, analyste militaire et maître de conférences au King's College de Londres. A très court terme, "la médiation et la négociation sont probablement mortes", estime le chercheur. Mais bien qu'il ait "joué un rôle important, son assassinat ne compromet pas nécessairement toute forme de médiation à moyen terme", nuance-t-il.

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