Conflit au Proche-Orient : comment Israël pourrait répondre à l'attaque de l'Iran contre son territoire

Article rédigé par Elise Lambert - avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le cabinet de guerre réuni à Tel-Aviv autour du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, à la suite de frappes iraniennes contre l'Etat hébreu, le 14 avril 2024. (CHINE NOUVELLE/SIPA / SIPA)
De nombreux pays s'inquiètent d'un embrasement dans la région après l'envoi par l'Iran de drones et de missiles sur le sol israélien. Les Etats-Unis ont prévenu qu'ils ne soutiendraient pas une riposte directe envers Téhéran.

L'Iran considère l'affaire "close", mais comment va réagir Israël ? Dans la nuit du samedi 13 au dimanche 14 avril, l'Iran a mené une attaque inédite sur le sol israélien, lors de laquelle "plus de 300 drones et missiles" ont été lancés sur l'Etat hébreu, selon l'armée israélienne. Cette dernière assure que "99% des tirs" ont été interceptés, grâce notamment à l'aide des Etats-Unis et du Royaume-Uni. A la suite de cette attaque, la communauté internationale a fait part de sa grande inquiétude sur les risques d'une escalade dans la région.

La tension entre l'Iran et Israël était montée d'un cran le 1er avril, lorsqu'un raid avait tué 13 personnes dans un bâtiment diplomatique iranien en Syrie. L'attaque a été attribuée à Israël, mais Tel-Aviv ne l'a pas confirmée. 

Washington a prévenu dimanche que les Etats-Unis ne soutiendraient aucune riposte israélienne en Iran.

Une riposte "contenue" ?

C'est la première fois que l'Iran frappe directement le sol israélien. Mais les tensions entre les deux pays sont loin d'être nouvelles. Depuis des années, les deux pays s'opposent dans une "guerre de l'ombre" dont l'objectif est de maintenir une dissuasion suffisante pour éviter toute attaque frontale sur leur territoire, développe l'International crisis group, une ONG spécialisée dans la recherche sur les conflits.

Ces dernières années, Israël a été accusé d'avoir mené des actions pour saboter le programme nucléaire iranien, rappelle la BBC, ou d'avoir opéré des cyberattaques, poursuit le Times of Israel. Fin 2023, Israël a intensifié ses attaques en Syrie, ciblant des membres des Gardiens de la révolution et de sa force Qods. Le 25 décembre, le plus haut gradé des Gardiens de la révolution en Syrie, Razi Moussavi, a été tué lors d'une attaque imputée à l'Etat hébreu. Le 20 janvier, une frappe israélienne à Damas a fait 10 morts, dont cinq membres des Gardiens de la révolution.

Selon Héloïse Fayet, chercheuse à l'Institut français des relations internationales (Ifri), les Israéliens pourraient choisir de riposter aux frappes iraniennes en poursuivant cette "guerre de l'ombre"Cela pourrait prendre la forme "de cyberattaques menées contre des sites sensibles iraniens", avance-t-elle auprès de franceinfo. Ou des "d'opérations cyber entraînant le blocage de ports ou le ciblage d'infrastructures énergétiques iraniennes", ajoute David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques.

"On peut imaginer une riposte strictement confinée à une base militaire ou à une zone portuaire iranienne. De nuit par exemple, pour éviter tout risque de morts civils en Iran."

Frédéric Encel, spécialiste de géopolitique à Sciences Po Paris

sur franceinfo

Israël pourrait faire le choix de cette réplique "contenue" afin de ne pas entraîner "une autre réponse iranienne significative", analyse l'Atlantic Council, un think tank américain spécialisé dans les relations internationales. D'autant plus que l'attaque iranienne a fait peu de dégâts sur le sol israélien. Une enfant de 7 ans a été touchée par des éclats de missiles balistiques, relève le Times of Israelmais seuls quelques missiles balistiques sont "entrés et ont touché légèrement" le pays, a déclaré l'armée israélienne.

Des attaques sur le sol iranien très risquées

Le gouvernement israélien choisira-t-il une réponse plus frontale ? "Nous vaincrons tous nos ennemis" a déclaré sur X le Premier ministre Benyamin Nétanyahou, dimanche matin. "Si l'Iran attaque depuis son territoire, Israël réagira et attaquera en Iran", avait prévenu mercredi le ministre des Affaires étrangères israélien, Israël Katz, dans un message en persan sur X.

"L'affaire est supposée être close pour l'Iran, mais c'est peu probable qu'il en soit de même pour Israël, observe David Rigoulet-Roze. Le logiciel d'Israël, c'est que toute attaque implique mécaniquement une réplique à un niveau potentiellement supérieur pour faire prévaloir une forme de dissuasion".

"Les Israéliens vont vouloir restaurer une dissuasion potentiellement entamée, et rendre publique cette réplique."

David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient

à franceinfo

Cette riposte militaire pourrait aussi se concrétiser dans la poursuite des combats avec les groupes alliés de l'Iran, en Syrie ou au Liban. Selon l'Agence nationale d'information libanaise, une frappe israélienne a visé un bâtiment du Hezbollah dans l'est du Liban dimanche matin et l'armée israélienne a effectué plusieurs raids contre des localités du sud du Liban, frontalier d'Israël.

Autre possibilité : le ciblage des installations nucléaires iraniennes. "Pour attaquer en profondeur et détruire les sites nucléaires, Israël aurait besoin de bunker busters [bombes capables d'atteindre des cibles fortifiées]. Or, son arsenal actuel est assez réduit", observe Héloïse Fayet. Une telle attaque pourrait en outre convaincre Téhéran d'accélerer son programme d'obtention de l'arme nucléaire. L'Etat hébreu pourrait plutôt utiliser des drones longue portée ou des missiles "mais cela resterait très escalatoire", avertit Héloïse Fayet. 

"L'usage de drones ou de missiles longue portée, sans un soutien américain – pour le renseignement, le ciblage, le ravitaillement – serait encore plus complexe."

Héloïse Fayet, chercheuse à l'Ifri

à franceinfo

De son côté, l'Iran "peut intensifier ses actions s'il le souhaite car il a le choix entre diverses options, notamment le Hezbollah, des perturbations maritimes ou des frappes sur des cibles israéliennes vulnérables à l'étranger", analyse auprès de l'AFP Nishank Motwani, expert à l'Australian Strategic Policy Institute à Washington. Mais le pays pourrait ne pas avoir les capacités de faire face sur la durée. "L'équipement militaire iranien n'est, au mieux, adapté qu'à une guerre asymétrique. L'Iran ne peut pas compter sur le soutien international, même de la part de ses alliés, la Chine et la Russie, estime auprès du Guardian Maryam Alemzadeh, professeure d'histoire et de politique iranienne à l'université d'Oxford. Son économie est au bord de l'effondrement en raison d'années de sanctions internationales, de corruption et de mauvaise gouvernance".

La solution diplomatique pour éviter toute escalade

Face aux risques d'engrenage, reste la voie diplomatique. De nombreux pays ont appelé Israël et l'Iran à éviter toute escalade. Le Conseil de sécurité de l'ONU doit se réunir en urgence dimanche soir, tandis que les membres du G7 se sont retrouvés lors d'un sommet virtuel pour envoyer "des messages à Israël" et rappeler que "la plus grande prudence est nécessaire pour empêcher que la situation s'aggrave". Le président américain Joe Biden a rappelé son soutien "inébranlable" à Israël tout en prévenant qu'il ne soutiendrait pas Israël dans une attaque directe contre l'Iran. "Les Américains craignent d'être entraînés malgré eux dans une confrontation directe avec l'Iran", reprend David Rigoulet-Roze.

"Les Etats-Unis se retrouvent à être l’arbitre devant éviter à tout prix les prolongations."

Héloïse Fayet

à franceinfo

Téhéran a mis en garde les Etats-Unis, les exhortant à "rester à l'écart" de son conflit avec Israël. "Toute menace émanant du gouvernement terroriste américain et du régime sioniste (...) entraînera une réponse réciproque et proportionnée de la part de la République islamique d'Iran", ont averti les Gardiens de la révolution.

Même si les Etats-Unis tentent de raisonner Israël, leur influence n'est plus la même que durant la guerre froide, estime sur franceinfo Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales : "Les USA n'ont plus la main et Israël se plaît à le montrer", estime-t-il. L'Etat hébreu n'a par exemple pas averti Washington de sa frappe sur un bâtiment diplomatique iranien en Syrie début avril, rappelle le Washington Post.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.