Guerre entre Israël et le Hamas : quelles conséquences la mort d'Ismaïl Haniyeh en Iran peut-elle avoir dans la région ?

L'assassinat du chef politique du Hamas fait craindre une nouvelle riposte de Téhéran, d'une ampleur encore incertaine, qui pourrait notamment s'appuyer sur ses alliés palestiniens et libanais.
Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des chercheurs de l'université de Téhéran brandissent le portrait du leader du Hamas Ismaïl Haniyeh, au milieu de drapeaux palestiniens et iraniens, après sa mort en Iran, le 31 juillet 2024. (FATEMEH BAHRAMI / ANADOLU / AFP)

Une escalade inévitable ? Le responsable du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a été tué à Téhéran, mercredi 31 juillet, ont annoncé les Gardiens de la Révolution iraniens. Le leader palestinien venait d'assister à la cérémonie d'investiture du nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian, lorsqu'il a été touché, de nuit, par une frappe imputée à Israël. "L'assassinat du chef Ismaïl Haniyeh est un acte lâche qui ne restera pas sans réponse", a aussitôt prévenu le Hamas. Ses alliés, à commencer par le président iranien, ont assuré qu'ils feraient "regretter aux envahisseurs terroristes leur acte lâche". Les Houthis du Yémen ont dénoncé "un crime terroriste odieux", tandis que le Hezbollah libanais s'est dit déterminé "à affronter l'ennemi sioniste".

A ce stade, Israël n'a fait aucun commentaire direct sur la mort d'Ismaïl Haniyeh. En revanche, l'Etat hébreu avait revendiqué, quelques heures plus tôt, la mort du haut gradé du Hezbollah Fouad Chokr, tué dans une frappe contre un immeuble de Beyrouth, au Liban. Selon Israël, la victime était "le commandant responsable du massacre de Majdal Shams", quatre jours plus tôt, quand un tir de roquette venu du Liban a causé la mort de douze enfants sur le plateau syrien du Golan occupé.

Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a évoqué, mercredi soir, "des coups sévères portés [aux ennemis d'Israël] ces derniers jours". Cet enchaînement d'événements risque-t-il de conduire à une guerre régionale plus intense ? Quelles conséquences pourrait-il avoir sur le conflit dans la bande de Gaza ? Eléments de réponse.

Une riposte incertaine de l'Iran et de ses alliés

"Il est de notre devoir de venger le sang qui a été versé sur le territoire de la République islamique d'Iran", a assuré le guide suprême iranien, Ali Khamenei, peu de temps après l'annonce de la mort du leader palestinien. Depuis les attaques du Hamas en Israël le 7 octobre, ce n'est pas la première fois que Téhéran est visé par l'Etat hébreu, ni qu'il promet des représailles. En avril, après un raid meurtrier contre un bâtiment diplomatique iranien en Syrie, également imputé à Israël, l'Iran avait mené une attaque inédite sur le sol israélien. "Plus de 300 drones et missiles" avaient alors été lancés, et presque tous interceptés, selon l'armée israélienne.

Après la mort d'Ismaïl Haniyeh, "il est peu vraisemblable que l'Iran réagisse de la même façon", estime David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). "En Syrie, les principaux responsables de la Force Al-Qods [unité d'élite des Gardiens de la Révolution] avaient été tués. Hier, aucun Iranien n'a été tué", fait-il remarquer à franceinfo. Toutefois, "même si l'attaque n'est pas de même nature, il y aura nécessairement une réponse", estime le chercheur.

"Pour l'Iran, l'enjeu n'est pas tant la mort d'Ismaïl Haniyeh que le lieu où elle a eu lieu. Une attaque en plein cœur de Téhéran constitue une humiliation pour le pays, car elle viole sa souveraineté."

David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Iris

à franceinfo

Une éventuelle réponse de Téhéran pourrait prendre la forme d'attaques contre des cibles spécifiques. "L'Iran pourrait planifier des attentats d'envergure à l'étranger, voire utiliser un relais palestinien en Israël pour mener une opération ciblée", comme il l'a déjà fait par le passé, pointe David Rigoulet-Roze. En septembre 2023, le sulfureux ministre de la Sécurité nationale israélien, Itamar Ben Gvir, avait ainsi échappé à une attaque déjouée d'un groupe téléguidé par l'Iran, rapportait le journal Israel Hayom.

L'Iran pourrait aussi répliquer en s'appuyant sur sa nébuleuse de groupes armés dans la région. "Contrairement à avril, la réaction iranienne impliquera probablement cette fois d'autres groupes de l'axe de la résistance", estime le chercheur Abdolrasool Divsallar, sur X. "Israël a frappé l'Iran, le Hezbollah et le Hamas en même temps", fait-il remarquer.

Le Hamas espère encore "accroître" sa puissance

La disparition d'Ismaïl Haniyeh représente un coup dur pour le Hamas, déjà endeuillé par la mort de Saleh al-Arouri, son numéro 2, en janvier, à Beyrouth. La liste des dirigeants du groupe islamiste tués par l'Etat hébreu ces dernières années était déjà longue. En 2002, Salah Shehadeh, fondateur de la branche armée du Hamas, avait été assassiné lors d'un raid à Gaza. Deux ans plus tard, Abdel Aziz al-Rantissi, un des hauts dirigeants de l'organisation, avait à son tour été tué à Gaza.

Encore une fois, "le Hamas surmontera cette crise", a assuré un cadre du mouvement, mercredi, à l'AFP. Israël "a assassiné de grands dirigeants, comme le fondateur du mouvement, cheikh Ahmed Yassine [mort en 2004], et cela n'a fait qu'accroître la puissance du Hamas", a argué ce responsable.

Des manifestants portent le portrait du numéro 2 du Hamas, Saleh al-Arouri, le 4 janvier 2024, lors de ses funérailles à Beyrouth, au Liban, deux jours après sa mort dans une frappe israélienne. (ANWAR AMRO / AFP)

"Malgré son titre de leader politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh est remplaçable", estime Joost Hiltermann, spécialiste de la région à l'International Crisis Group, auprès du New York Times. "Le Hamas survivra", assure-t-il, avançant que la situation ne devrait pas dégénérer tant "que l'intérêt général de l'Iran n'est pas mis à mal". 

Pour Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen des relations internationales, rien n'est moins sûr. Cet "événement extrêmement traumatisant (...) pourrait enhardir les partisans de la ligne dure" au sein du Hamas, souligne-t-il auprès de l'AFP.

Israël déjà préparé à une "guerre ouverte"

Israël s'est dit prêt, ces derniers mois, à une guerre plus large, notamment avec le Liban. Dès avril, le ministre des Affaires étrangères israélien, Israël Katz, a estimé que son pays approchait "d'une guerre ouverte". Dans un tel scénario, l'Etat hébreu agira contre le Hezbollah "dans tout le Liban" et conquerra "de vastes zones du sud du Liban pour créer une zone tampon de sécurité" qu'il contrôlera. Depuis les attaques du 7 octobre, plus de 7 000 échanges de tirs ont déjà été menés à la frontière entre les deux pays, pointe Haaretz.

Une telle escalade pourrait être lourde de conséquences pour l'Etat hébreu. Le Hezbollah dispose de plus de 150 000 roquettes et missiles de longue portée, selon Haaretz. Le groupe détiendrait également une réserve importante de missiles balistiques, antiaériens, antichars et antinavires. Cet équipement pourrait être en capacité de saturer le système de défense aérien israélien, le Dôme de fer, et frapper des infrastructures civiles. Des Israéliens ont déjà commencé à acheter des batteries en cas de coupures d'électricité, rapporte le journal.

Un conflit "moins intense" à Gaza ?

Le développement d'un front au nord d'Israël pourrait avoir un retentissement dans la bande de Gaza. "Le conflit pourrait être moins intense", anticipe Nimrod Goren, chercheur au Middle East Institute, auprès de franceinfo. Après dix mois de guerre, le Hamas "a des capacités de représailles limitées" et "a perdu beaucoup de moyens", rappelle le chercheur. "Il ne pourra plus frapper dans les villes israéliennes comme il a pu le faire au début du conflit."

"Les combats dans les principales villes de la bande de Gaza sont terminés, la guerre est entrée dans une phase de moindre intensité. Beaucoup de militaires israéliens réclament plus de moyens pour le nord d'Israël."

Nimrod Goren, chercheur au Middle East Institute

à franceinfo

Face à ces perspectives, Benyamin Nétanyahou pourrait choisir de temporiser. "En refusant de commenter la mort d'Ismaïl Haniyeh, Israël se donne la possibilité du déni de responsabilité. Il ne veut pas pousser l'Iran ou ses alliés dans une riposte immédiate", analyse Nimrod Goren. 

Le gouvernement israélien doit aussi composer avec son opinion publique, qui le pousse à négocier un cessez-le-feu à Gaza et la libération des otages. "Les familles vont lui demander des comptes pour avoir pris le risque d'hypothéquer toute possibilité de finaliser un accord alors que des négociations étaient en voie de déboucher", ajoute David Rigoulet-Roze. Quel avenir, donc, pour cette solution diplomatique ? Le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, associé aux négociations pour une trêve, a affirmé que les Etats-Unis n'étaient pas "impliqués" dans la mort du chef du Hamas. "Le meilleur moyen de faire baisser la température partout est d'instaurer un cessez-le-feu à Gaza", a-t-il insisté.

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