Attaque de l'Iran contre Israël : trois questions sur les "proxys" de Téhéran, ces groupes qui lui permettent de mener une guerre par procuration
Des alliés précieux. Pour mener son offensive contre Israël, dans la nuit de samedi 13 au dimanche 14 avril, l'Iran a compté une nouvelle fois sur ses proxys. Il s'agit d'une stratégie visant à s'appuyer sur ses alliés locaux, à l'image des houthis yéménites ou du Hezbollah libanais, afin d'éviter de s'impliquer directement dans un conflit.
Ces deux groupes ont ainsi participé ce week-end à l'envoi des quelque 350 drones et roquettes en direction d'Israël. Si, cette fois, l'Iran a choisi de s'impliquer directement dans l'attaque contre le territoire israélien, Téhéran avait jusque-là plutôt pour habitude de s'appuyer sur ses alliés locaux pour atteindre son ennemi. Franceinfo revient en trois questions sur cette stratégie.
1 Quelle est l'origine de la stratégie des "proxys" iraniens ?
Le terme proxy désigne l'usage, lors d'un conflit d'intermédiaire, d'acteurs tiers par un pays. L'Iran n'est pas le premier Etat à se tourner vers cette stratégie. Les Etats-Unis ont recouru aux proxys, notamment pendant la guerre froide. De son côté, la République islamique iranienne a cherché à tisser sa toile dès le lendemain de la révolution de 1979, en raison de son isolement diplomatique et des conflits en cours avec ses voisins. L'Iran "a su faire appel à divers groupes armés étrangers à travers le Moyen-Orient (Liban, Irak, Syrie, Etats du Golfe Persique, territoires palestiniens) et l'Asie (Afghanistan, Pakistan), comme autant de relais politiques et stratégiques", expliquent les chercheurs Morgan Paglia et Vincent Tourret, dans un rapport (document PDF) pour l'Observatoire des conflits futurs.
L'Iran a d'abord tenté de recruter ces groupes dans les pays "dotés d'importantes minorités chiites", ajoutent les mêmes auteurs dans un rapport pour l'Ifri (Institut français des relations internationales). La stratégie iranienne "repose sur un soutien politique, capacitaire et parfois opérationnel à des acteurs non étatiques, dont certains peuvent avoir été créés par l'Iran tandis que d'autres sont des partenaires de circonstances", poursuivent-ils. Cet "axe de la résistance", selon l'expression diffusée par Téhéran, se fédère notamment par son opposition à Israël et aux Etats-Unis.
2 Qui sont ces groupes et où sont-ils installés ?
Difficile d'établir une liste précise de ces proxys, puisqu'il s'agit plutôt d'une nébuleuse de groupes armés, généralement de confession chiite, agissant plus ou moins directement en faveur des intérêts de Téhéran. Parmi les alliés iraniens, le Hezbollah libanais est le premier groupe à avoir félicité l'Iran pour son attaque menée contre Israël. La milice chiite dirigée par Hassan Nasrallah, considérée par l'Union européenne comme un groupe terroriste, a d'ailleurs tiré deux salves de roquettes Katioucha sur des positions militaires israéliennes situées sur le plateau du Golan syrien occupé par Israël.
Mais pour Azadeh Kian, sociologue franco-iranienne, la branche irakienne du Hezbollah est la plus à même d'être qualifiée de proxy. "Les Kataeb Hezbollah sont les plus fidèles, explique la chercheuse à 20 Minutes. Les autres ne sont pas à l'ordre de l'Iran du matin au soir. Ils ont leur propre agenda." Elle rappelle ainsi que ce groupe est soupçonné d'être derrière l'attaque d'une base américaine en janvier, qui a fait trois morts près de la frontière entre la Jordanie et la Syrie.
Les différents groupes irakiens, regroupés sous la bannière de la Résistance islamique en Irak, se sont développés depuis 2003 et l'intervention américaine contre le régime de Saddam Hussein. Ces groupes ont aussi mené depuis le 7-Octobre 120 attaques contre des bases militaires abritant des troupes américaines et étrangères en Irak, affirme The Guardian. En réaction, les Etats-Unis n'hésitent pas à frapper ces milices pro-Iran. Un haut commandant des brigades du Hezbollah a ainsi été tué dans son véhicule début février par une frappe américaine à Bagdad.
Les rebelles houthis yéménites, dirigés par Abdul-Malik al-Houthi, ont également pris part à l'offensive du week-end contre Israël. Le mouvement politique armé Ansar Allah ("partisans de Dieu") se distingue depuis l'automne par des attaques contre des navires marchands en mer Rouge. D'autres groupes peuvent intégrer cette liste non exhaustive des proxys iraniens : le Hamas, et le Jihad islamique à Gaza, la Brigade du peuple de Zaynab au Pakistan ou encore les Forces de défense nationale en Syrie. Au total, l'"axe de Résistance" iranien est "estimé par certains experts à près de 200 000 combattants", rapportent Morgan Paglia et Vincent Tourret.
3 Comment agissent-ils pour le compte de l'Iran ?
L'objectif des proxys est avant tout de permettre à l'Iran d'agir sans s'impliquer directement. Cela peut passer par l'envoi aux différents groupes militaires d'une manne financière, de soutien logistique, de livraison d'armes, parfois accompagnée de conseillers militaires. Téhéran n'hésite pas non plus à exploiter les divisions au sein des Etats. "Face à la fragmentation des sociétés moyen-orientales, les tenants de cette stratégie s'appuient sur un réseau d'entrepreneurs identitaires (clercs, hommes politiques, chefs tribaux) capables d'exploiter les lignes de fractures ethniques et confessionnelles dans le sens des intérêts iraniens", expose le rapport de l'Ifri.
Au cœur de cette stratégie se trouve la force al-Qods. Cette unité d'élite créée dans les années 1980 a pour principale mission "de coordonner et d'appuyer l'action des milices", note le rapport. "Le périmètre des missions d'al-Qods s'est étoffé pour intégrer le renseignement, l'entraînement, la logistique (contrebande, réseaux clandestins), et les structures d'encadrement nécessaires à l'appui des groupes armés", détaille le rapport.
Grâce à ses proxys, l'Iran a donc la possibilité "de mener des actions offensives tout en bénéficiant d'un déni plausible de ses responsabilités, et évitant ainsi une périlleuse escalade", ajoute le rapport. Mais le fait que l'Iran a choisi pour la première fois d'attaquer directement le territoire israélien fait peser des risques pour la stabilité de la région. Une réplique israélienne contre l'Iran ou l'un de ses proxys pourrait conduire à un engrenage.
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